La rencontre, jeudi 1er décembre à Paris, devait permettre de mesurer tout le travail mené depuis un an par la Commission reconnaissance et réparation (CRR) auprès des victimes d’agressions sexuelles par des religieux. Organisée au Forum 104, à Paris, elle fut surtout l’occasion de révéler une fois encore tout le chemin qui reste à parcourir pour rendre justice aux personnes victimes.
Délais de réponse trop longs, difficultés pour établir le contact, nécessité de répéter encore et encore les faits si douloureux, agresseurs encore trop souvent protégés… Succédant aux tables rondes plus analytiques, la parole des victimes a tranché, exprimée parfois avec une colère à peine contenue. Des interventions qui rappelaient que la parole libérée devait encore être entendue dans la durée.
Une année d’activité
Créée le 19 novembre 2021 à Lourdes à l’occasion de l’Assemblée plénière de la Conférence des religieuses et religieux de France (Corref), la Commission reconnaissance et réparation (CRR) a été contactée par 559 personnes victimes. 130 d’entre elles ont été redirigées vers l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), qui suit les abus constitués par des prêtres diocésains. « 450 personnes ont donc été reconnues et accompagnées par la CRR », a précisé son président, Antoine Garapon. 85 % des victimes étaient mineures au moment des faits, et 70 % de ces victimes mineures sont des hommes, pour des faits très anciens, principalement dans les années 1960 à 1980. Parmi les 15 % des victimes majeures reconnues, les deux tiers sont des femmes.
Si les personnes victimes suivies à leur demande par la CRR ont souligné la difficulté de mise en route de l’accompagnement, celui-ci s’avère particulièrement apprécié. Vingt-cinq « commissaires » sont mobilisés. Chacune des victimes est suivie par un duo composé d’un homme et d’une femme, qui peuvent être juriste, psychologue, sociologue, etc.
À l’issue de cet accompagnement qui peut prendre plusieurs mois, un contact est établi entre la victime et la congrégation dont est issu l’agresseur. « Nous avons réglé 80 recommandations de réparation transmises aux congrégations concernées », poursuit Antoine Garapon. La réponse appartient alors aux congrégations. La réparation pourra être pécuniaire, mais sera aussi souvent une rencontre entre la victime et le supérieur religieux, parfois même dans les lieux où a été vécue l’agression. « Nous avons fait rouvrir les églises et des couvents fermés et désaffectés pour que la rencontre puisse avoir lieu », note encore le président de la CRR, qui précise encore que, sur ces 80 dossiers, « le montant moyen de réparation est de 40 000 € ». Trente-sept situations ont été menées à terme à ce jour. « Ce qui peut paraître peu, insiste Antoine Garapon. Il faut prendre le temps pour accompagner la victime. »
Perdre de sa superbe
Présidente de la Corref, sœur Véronique Margron a insisté sur la qualité de l’accompagnement qui s’est adapté au fur et à mesure durant les douze mois de fonctionnement. « Il faut prendre au sérieux les personnes et leur histoire, mettre les victimes à l’honneur », a-t-elle confié, elle-même engagée quotidiennement dans l’écoute des victimes. Des démarches qui nécessitent une réelle ambition et en même temps beaucoup de modestie : « Sans prétendre faire la vérité, il faut mettre un peu de clarté dans ces situations, et que l’Église perde un peu de sa superbe. »
Si le dispositif de réparation est en place pour accueillir les victimes reste la difficulté de faire connaître ce recours possible. « En 2023, il faut que nous allions les chercher, insiste Antoine Garapon, que nous fassions connaître le travail de la commission. » Une solidarité entre les victimes qu’a exprimée avec force François Blondelle, victime, pendant deux ans, d’agressions sexuelles de la part de frères maristes lorsqu’il avait 10 ans : « Il faut se battre pour trouver à qui s’adresser, pour être reconnu », confirme-t-il en reconnaissant qu’il a « toujours un peu de haine » envers l’Église.
Pour aider au processus, la CRR a établi des questionnaires et des barèmes d’indemnisation allant de 5 000 à 60 000 €. Saluant l’accompagnement de la CRR, François Blondelle a toutefois fait remarquer combien « il est difficile de remplir des formulaires, d’être mis dans des cases… », révélant que, notamment par la création de collectifs, ce sont souvent les victimes elles-mêmes qui savent le mieux accompagner. Ce que résumait bien l’une d’entre elles, lors de cette rencontre : « On va bientôt passer de victime à témoin. »