REPORTAGE - Une dizaine d'élèves monte un spectacle pour sensibiliser à la lutte contre les violences entre élèves. Une initiative qui s'inscrit dans le cadre du programme national «Phare», de lutte contre le harcèlement.
La sonnerie retentit, stridente. Un flot d'élèves s'échappe des salles de classe violettes du collège Charles Péguy, dans le 19e arrondissement de Paris. Il est 12h30 et une odeur de frites s'échappe du rez-de-chaussée, attirant les collégiens... Sauf une dizaine d'adolescents, qui passe en courant dans les couloirs : «On va être en retard à Phare», lâche l'une d'elles en trottinant, son sac à dos jaune battant la mesure de ses pas.
«Phare», c'est le nom d'un nouveau dispositif gouvernemental, conçu pour lutter contre le harcèlement scolaire. Testé depuis deux ans dans six académies françaises, il a été généralisé à l'ensemble des écoles et des collèges de l'Hexagone en septembre 2022. Sa mesure clé : associer les élèves et l'ensemble de la communauté éducative pour lutter à bras-le-corps contre le harcèlement. Un dispositif tout neuf, qui fait douloureusement écho à l'actualité du suicide du jeune Lucas, qui a mis fin à ses jours après avoir été victime de moqueries et d'insultes homophobes.
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Dix élèves ambassadeurs par établissement
Un cas de figure que Medhi Carlevato veut à tout prix éviter. Conseiller de prévention pour «Phare», il va d'école en école depuis maintenant cinq ans pour sensibiliser les élèves à la prévention des situations de harcèlement. «On veut ouvrir les yeux des enfants sur le fait qu'il existe des solutions, qu'ils ne sont pas seuls face à ces violences», explique-t-il en attendant les élèves qui s'installent. Ces dix collégiens, recrutés sur la base du volontariat, sont chargés de prévenir les situations de harcèlement, et de former leurs camarades dans leurs écoles.
C'est la troisième fois qu'ils se réunissent avec Mehdi dans cette salle de classe, dont les murs portent des affiches faites à la main de lutte contre les violences entre élèves. Melda, élève de troisième, écrit de sa jolie calligraphie ronde les mots-clés de la séance. Les expressions «violences répétées», «cyberharcèlement» et «isolement» apparaissent progressivement sur le tableau blanc. Une définition qui amène Mehdi à réexpliquer aux élèves le rôle que les enfants jouent auprès de l'école en tant qu'ambassadeurs. «On identifie les situations et on montre notre empathie à l'élève harcelé pour lui dire qu'il n'est pas seul», explique Jeanne, petite brune de quatrième, aussitôt complétée par son camarade Gabriel. «On alerte les adultes, et on doit aussi sensibiliser les autres sur notre rôle».
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Face aux chiffres affolants du harcèlement, l'Éducation nationale veut prendre ce problème très au sérieux. Selon la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement, ce serait 6 à 10% des élèves qui subiraient une forme de harcèlement, soit 800.000 à 1 million d'enfants victimes chaque année. 65% des enseignants s'estiment d'ailleurs mal armés pour réagir face à ce type de situations. Si la panoplie actuelle des instruments de lutte contre le harcèlement est assez étendue, beaucoup d'outils sont en réalité mal connus des élèves et de leurs parents.
Une méconnaissance des solutions que vise à combler le dispositif «Phare», en sensibilisant davantage les familles et les élèves aux réponses apportées pour endiguer un tel fléau. C'est que «Phare» est explicitement conçu pour couper la mauvaise herbe du harcèlement à la racine. «On apprend à détecter les prémices d'une telle situation : est-ce que l'enfant mange seul à la cantine, est-ce qu'il arrive souvent en retard ?», questionne Nora Fraisse, fondatrice et dirigeante de l'association Marion, La main tendue, jointe par téléphone. «On fait la météo du climat scolaire.»
Repérage de signaux faibles
Des signaux faibles que doivent repérer les élèves ambassadeurs, qui en connaissent long sur la question : la plupart ont assisté, ou ont été victimes de harcèlement au cours de leur scolarité. Dont Fatimah, discrète élève de quatrième. «Je suis arrivée ici et les gens n'étaient pas très avenants», souffle-t-elle timidement. «J'aime bien ce groupe, et puis ça me rappelle un peu ce que j'ai vécu...» Gabriel partage ce point de vue : «J'aime bien l'exercice parce que c'est concret.»
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La séance prend d'ailleurs un tour pratique : les dix ambassadeurs du collège Charles Péguy sont chargés de monter une pièce de théâtre participative sur ce sujet, qu'ils présenteront aux élèves de sixième après les vacances d'hiver. Les acteurs en herbe se mettent en place, devant Medhi qui fait office de public et de metteur en scène. Le rideau se lève sur une scène de harcèlement mimée par plusieurs élèves. Le ton est timide et les gestes encore un peu gauches, mais le cœur y est. «Rapproche-toi d'elle, il faut que tu l'écrases, que tu l'intimides !», lance Medhi à Anaïs, qui joue l'élève harceleuse. «Loin comme ça, tu ne harcèles personne», rajoute-t-il en souriant pour la mettre à l'aise. L'enjeu ? Proposer aux jeunes spectateurs une mise en situation concrète d'un cas de harcèlement : les sixièmes seront invités à participer et à poser des questions pour corriger les attitudes jouées par les ambassadeurs.
La pièce s'articule en plusieurs scènes, dont une qui voit un élève se référer à un professeur pour parler d'une situation de harcèlement dont il a été témoin. L'adulte se montre à l'écoute, et sanctionne les intimidateurs. Une situation théorique, «mais qui n'arrive pas souvent dans la vraie vie», déplore Anaïs, alors que ses camarades pointent un manque d'écoute de la part du personnel éducatif. «Quand j'étais au primaire, il y avait un garçon dans ma classe qui se faisait tout le temps harceler, raconte Gabriel. On avait prévenu les professeurs, mais rien n'avait changé. ll a fini par changer d'école et je n'ai plus eu de nouvelles de lui.»
Manque de bras
Une responsabilité manquée de l'école, également pointée du doigt dans l'affaire du suicide du petit Lucas début janvier. Le collège Louis-Armand de Golbey dans les Vosges, inscrit dans le dispositif Phare, était pourtant averti de son cas. «Ce drame aurait pu être évité», pointait la mère de Lucas en conférence de presse le 30 janvier, qui déplore un dispositif «vraiment pas au point». «C'est mon fils, et ce sont des milliers d'autres... Il n'y a pas assez de personnes formées. Il faut se pencher dessus.» Contacté, l'établissement n'a pas souhaité répondre aux sollicitations du Figaro.
«Ce n'est pas parce que le dispositif est généralisé, qu'il est exécuté», rappelle Nora Fraisse. «Il faudra deux à trois ans pour qu'il fonctionne à la pleine mesure de ses capacités.» Et ce d'autant plus que le programme «Phare» repose sur la base du volontariat. Si les élèves sont nombreux à se signaler pour devenir ambassadeurs, les 68.000 assistants d'éducation ne suivent la formation que s'ils se portent volontaires, formation dispensée par un dispositif «Phare» encore en manque de bras.
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