Bâtiment et transition énergétique : un monde d’innovations

Le bâtiment est un enjeu prioritaire pour la transition énergétique et environnementale. Dans les pays développés, son fonctionnement représente plus de 40 % (44 % en France) des consommations énergétiques et près de 25 % (23 % pour la France) des émissions de gaz à effet de serre. Si, dans les pays en voie de développement, la priorité est de construire des bâtiments neufs à faible contribution d’émissions de CO² et à faible consommation énergétique, dans les pays plus matures, l’enjeu est de rénover le parc existant. Face à ce défi, tous les pays développés ont lancé des plans de rénovation énergétique des bâtiments. La France annonce, depuis plus de dix ans, des plans de rénovation énergétique de 500 000 logements par an, mais cet objectif est malheureusement loin d’être atteint.

Qu’en est-il des solutions techniques à mettre en œuvre, pourtant peu évoquées dans le débat public ? De nombreuses solutions existent déjà, mais le besoin en innovations dans le domaine de la construction reste important. L’amélioration des performances énergétiques d’un bâtiment passe avant tout par son isolation. Son principe général est d’apporter une couche d’air immobile au contact de la paroi du bâtiment. En effet, l’air est un gaz à faible conductivité thermique. Accessible et gratuit, il a toutes les qualités nécessaires : encore faut-il l’immobiliser dans un matériau poreux aussi léger que possible pour en faire un bon isolant. C’est pour cela que les laines naturelles (bois, coton…) ou minérales (verre, roche…), ainsi que les plastiques expansés (polyuréthanes, polystyrènes…) sont les matériaux les plus courants en matière d’isolation. Pourtant, ces solutions largement utilisées ne sont pas toujours satisfaisantes, en particulier lorsqu’il s’agit d’isoler des bâtiments par l’intérieur. L’épaisseur nécessaire – 20 à 30 cm au moins – empiète sur la surface des pièces de vie, ce qui est une limitation à leur usage, en particulier dans les centres-villes européens où le coût du mètre carré est élevé.

Il faut donc développer des isolants minces, aux performances bien supérieures à celles obtenues avec de l’air. Deux solutions existent, basées sur des phénomènes physiques connus. La première consiste à produire des isolants sous vide entourés de papier aluminium très mince : le vide empêche la diffusion thermique alors que l’aluminium coupe la transmission thermique par rayonnement. Cette solution, largement utilisée pour les éléments frigorifiques, est toutefois encore nouvelle et peu répandue dans le monde du bâtiment. La seconde solution exploite «l’effet Knudsen», du nom du physicien qui l’a découvert. Elle consiste à utiliser le fait que la diffusion thermique d’un gaz diminue drastiquement lorsqu’il est confiné dans un milieu poreux dont les pores sont très petits (d’une taille inférieure au micromètre). Mais fabriquer de tels matériaux reste difficile. Des progrès relativement récents ont permis de mettre au point des matériaux fabriqués à base de silice précipitée – des aérogels –, qui possèdent cette propriété. Des pistes basées sur des matériaux organiques sont en développement (polyuréthane, cellulose…).

Du double vitrage...

Ces solutions ont été développées pour isoler des murs opaques, mais qu’en est-il des ouvertures transparentes (fenêtres, baies vitrées…) ? Un progrès notable est venu du double puis du triple vitrage, qui améliore à la fois les propriétés acoustiques et d’isolation. Il s’agit de constituer une couche de gaz – initialement de l’air, puis rapidement un gaz «noble» (argon, krypton ou xénon) possédant une conductivité thermique plus faible – entre deux (puis trois) lames de verre.

Ces performances ont été largement améliorées par l’apparition du verre à couches. Celui-ci est fabriqué par dépôt de multiples couches nanométriques de matériaux conducteurs (argent) ou semi-conducteurs, ce qui permet de contrôler la pénétration des rayonnements électromagnétiques : ultraviolets (UV), lumière visible, infrarouges (IR). La succession de couches la plus courante permet de réfléchir les infrarouges, empêchant une perte énergétique par les vitrages en hiver et limitant la pénétration de la chaleur par rayonnement IR en été. Le principe général est de construire, avec cette succession de couches, un filtre laissant passer la lumière visible et réfléchissant ou absorbant les UV et les IR.

... aux vitrages actifs

L’ensemble de ces solutions relève d’un comportement passif des matériaux. Mais de plus en plus de méthodes actives sont développées, qui permettent d’adapter de façon dynamique le matériau à des sollicitations extérieures et ainsi d’améliorer le confort et/ou d’économiser de l’énergie. On peut donner deux exemples de vitrage actif : le vitrage à opacité variable et le vitrage électrochrome. Leurs fonctions sont différentes mais sont toutes deux contrôlées électriquement.

Le vitrage à opacité variable est un vitrage transparent qui, par sollicitation électrique, peut devenir turbide, comme un verre dépoli. Lorsqu’il est transparent, on peut voir à travers comme dans un vitrage classique. Dans sa version dépolie, il laisse passer la lumière mais on ne distingue plus les objets et personnes qui sont de l’autre côté. On l’utilise classiquement pour des salles de bains ou des salles de réunion. La technique employée consiste à placer un matériau cristal-liquide entre deux verres recouverts d’une couche conductrice électrique en surface. En mettant les deux verres sous tension, on peut orienter ou désorienter le matériau cristal-­liquide qui, selon le cas, laisse passer normalement la lumière ou bien la diffuse dans toutes les directions.

Le verre électrochrome est, quant à lui, un verre qui change de teinte de manière réversible selon l’intensité d’un courant électrique. Il peut passer continûment d’une transparence presque totale à une couleur bleu foncé intense, ce qui permet de moduler la quantité de lumière arrivant dans une pièce. Le principe est de constituer une véritable pile composée de deux couches de verre recouvertes d’une couche conductrice très mince. Lorsque cette pile est chargée, les atomes qui la composent n’absorbent pas la lumière (ils sont incolores) ; lorsque la pile est déchargée, ils absorbent la lumière (ils sont colorés). Ce type de vitrage est utilisé depuis un certain temps sur des surfaces de petite taille (rétroviseur intérieur, hublot d’avion). On voit apparaître depuis quelques années des vitrages de grande taille pour les bâtiments utilisant cette solution. En Europe ou aux États-Unis, un tel équipement permettrait d’économiser jusqu’à 50 % de l’énergie de certains immeubles.

Gérer les apports extérieurs d’énergie

Dans le domaine actif, pour des murs, on peut exploiter la capacité des matériaux à stocker de l’énergie pour gérer les apports extérieurs d’énergie dans un bâtiment (par exemple, l’énergie apportée par le soleil). Le principe est d’utiliser la propriété de stocker et de restituer de l’énergie sous forme de chaleur lorsqu’un matériau passe de l’état solide à liquide ou de l’état liquide à gazeux.

Lorsqu’on chauffe de l’eau à 0 °C, sous forme mixte liquide et solide (glaçons surnageant), elle reste à 0 °C jusqu’à ce que tous les glaçons aient disparu. L’apport de chaleur permet de transformer la glace en eau liquide et non pas d’augmenter la température de l’eau liquide. Inversement, si l’on refroidit de l’eau, à l’apparition du premier glaçon, la température du mélange eau-glace reste constante à 0 °C jusqu’à ce que l’ensemble se soit transformé en glace et continue de refroidir en dessous de 0 °C. Lors du passage du solide au liquide, le matériau consomme de l’énergie ; dans l’autre sens, il en restitue. Il en est de même lors de la transition entre eau liquide et vapeur (à 100 °C). De l’énergie est stockée lors de chacune de ces transitions de phase. Ce mécanisme peut être exploité pour stocker et restituer de la chaleur lorsqu’on en a besoin (par exemple, dans les patchs autochauffants réutilisables qui contiennent des sels dans de l’eau).

Dans le domaine du bâtiment, il peut être utilisé par exemple dans des matériaux de construction en encapsulant un produit adapté (transition de phase solide-liquide vers 25-40 °C, généralement des paraffines ou des sels aqueux). Dans la journée, ces produits stockent de l’énergie sous l’action du soleil pour la restituer la nuit.

Ce rapide tour d’horizon montre combien le monde des matériaux de construction est un domaine innovant, offrant sans cesse de nouvelles solutions. Pour les développer, il existe de nombreuses collaborations entre des entreprises et des instituts de recherche publics en France et à l’étranger (par exemple, trois laboratoires mixtes CNRS/Saint-­Gobain à Aubervilliers, à Cavaillon et le Nims au Japon).

Si ces nouvelles solutions reposent sur des matériaux modernes existants ou en développement, notons que, sans forcément connaître les fondements scientifiques des phénomènes impliqués, nos ancêtres savaient déjà mettre en place empiriquement des solutions utilisant ces principes physiques pour améliorer leur confort, en l’absence de sources d’énergie facilement accessibles. Ainsi l’igloo est l’exemple d’un habitat construit avec un matériau isolant utilisant de l’air immobile : la neige. Il utilise aussi le fait que la chaleur émise par les humains sous la forme de rayonnement infrarouge est diffusée à nouveau vers eux par les parois de l’igloo. De même, dans les pays chauds, les habitats traditionnels en terre crue absorbent pendant la nuit de l’eau qui s’évapore progressivement dans la journée sous l’effet du soleil, maintenant ainsi une certaine fraîcheur à l’intérieur.

La compréhension fine des phénomènes physiques en jeu nous permet aujourd’hui de les maîtriser et de les exploiter de manière systématique pour aider l’humanité à s’adapter aux problématiques de transition énergétique.

EN SAVOIR PLUS

• Le site de l’Académie des sciences : academie-sciences.fr
• 8 matériaux de construction innovants et méconnus, 4 janvier 2016. Sur techniques-ingenieur.fr
• Innovation, circularité, diversification : les matériaux réinventés, 16 mars 2021. Sur leonard.vinci.com
• Science et architecture : l’urgence, colloque de l’Académie des sciences et de l’Académie des beaux-arts, 24 septembre 2022. Sur academie-sciences.fr, notamment La matière de nos bâtiments : coût, masse, émission, avec D. Roux, E. Bermejo et W. Sobek (à 6 h 13 min de la vidéo).