Près de 20 ans après la disparition du chanteur, sa femme Hélène se confie à Midi Libre sur leur relation et sur la maison qu'ils avaient achetée dans les Corbières en 1994. "Je resigne pour la même vie, sans l'ombre d'un doute", dit-elle quand on lui demande quel bilan tire-t-elle de sa vie avec Nougaro, même s'il n'était pas facile de vivre avec un homme qui noyait ses souffrances dans l'alcool.
Qu’étaient donc venus faire Claude Nougaro et son épouse Hélène dans cette petite maison de village sur les hauteurs de Paziols, à la limite de l’Aude et des Pyrénées-Orientales ? Au point d’y passer des séjours réguliers dans les dix dernières années de la vie du chanteur ?
C’est en fait au détour d’un concert, dans les années 90, que le couple fait la connaissance de Bernard Champey, globe-trotter ambassadeur du sport-boules. Champey, qui a une maison dans les Corbières, les invite dans l’Aude. Ils y viennent à plusieurs reprises. Claude Nougaro tombe amoureux de ce coin-là. Au point d’y avoir un pied-à-terre ? "Il n’y a qu’une maison qui m’intéresse, c’est celle-là", lance le chanteur. C’est la vue sur les Corbières qui lui a tapé dans l’œil, au sommet du village.
La phrase lancée en l’air aurait pu retomber comme un soufflé. Le couple n’y a d’ailleurs plus pensé. La maison, de toute façon, n’était pas en vente. Et puis, miracle, deux ans plus tard. Une future voisine, Jacqueline, alerte le couple. Le propriétaire veut se payer un voilier. Il veut vendre. C’est Hélène qui l’achète pour une bouchée de pain.
Il fallait se projeter. La maison de vendangeurs était en piteux état. Les Nougaro la font rénover. Claude commande à un artiste la sculpture d’une naïade cohabitant avec un démon, le tout dans une jolie fontaine en céramique.
Ils ont 32 ans d’écart
La boutade du début a accouché d’une improbable réalité. Le destin ? "Le hasard est une loi qui voyage incognito", aimait à dire Claude Nougaro. L’aléa a poussé le vice un peu loin : les Nougaro installent un vitrail qu’un ami du chanteur, le peintre-verrier toulousain Henri Guérin, a offert au couple comme cadeau de mariage. Ils s’apercevront plus tard que dans l’église de Paziols, à cinquante mètres de leur maison, trône déjà un vitrail… d’Henri Guérin.
Le hasard-destin suit le couple depuis longtemps. Ils se sont connus en 1984. Hélène vient d’obtenir son diplôme de kiné. Elle est…Toulousaine et fait un remplacement à La Réunion. La jeune femme de 22 ans est au bord d’une piscine. Nougaro, qui doit se produire en concert, n’est pas loin. Il a mal au dos. L’un de ses techniciens, qui apprend qu’Hélène est kiné, et en plus Toulousaine, les met en contact. Coup de cœur réciproque. Ils ont pourtant 32 ans d’écart. Elle a l’âge de sa fille Cécile.
"Il m’a invitée à son spectacle. Et puis au suivant à l’île Maurice. Il est rentré à Paris. Il m’a appelée, je l’ai rejoint. Il était déprimé. Il m’a dit “Tu ne peux pas rester avec moi !”. Je suis repartie à Toulouse. Il m’a retéléphoné en me disant “Viens me rejoindre, je suis à Tulle”. On ne s’est plus jamais quittés."
Elle rachète le café
Ils ont vécu vingt ans ensemble, jusqu’à la mort du chanteur d’un cancer du pancréas le 4 mars 2004, à 74 ans. Le hasard a poursuivi Hélène après le décès de son époux. Elle est devenue galeriste à Paris. Elle aimait l’art mais n’avait aucune expérience. Le propriétaire du cabaret des Trois Mailletz lui a proposé le local voisin pour en faire une galerie. Elle a foncé. En 2021, elle a dû renoncer. Les héritiers du propriétaire ont voulu récupérer les murs. Même loi du hasard, à Paziols, il y a un an. Sa voisine Jacqueline, toujours elle, lui annonce que le café du village est en vente. "Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’un café ?", répond-elle. Elle n’a jamais bu une goutte d’alcool et ne fréquente pas les bars. Le cousin de Jacqueline est cuisinier et cherche un travail. "Si j’achète le café, tu le tiens ?", demande-t-elle quand même au cousin, Thierry Guignard. Banco. Il a développé une activité pizza et ne vend que des vins de Paziols, lui-même en produisant un.
Le vin, c’était l’un des péchés pas toujours mignons de Claude Nougaro. Une consommation jusqu’à l’excès. Mais s’il parlait du "Dieu Fitou", il n’aimait pas la région que pour ses vignes. "Après son opération du cœur, comme il fallait qu’il marche, on était venu ici à Paziols et on patrouillait sur les chemins." Les crêtes avec vue sur le Canigou, le château d’Aguilar. Ou la rivière, le Verdouble, sur laquelle il a écrit une chanson, Une rivière des Corbières. L’album s’intitulait L’enfant phare. Il l’a répété avec ses musiciens à Paziols. Et plusieurs autres chansons en ont le goût : Comme l’hirondelle, Beaucoup de vent… Ce n’était pas gagné d’avance : Nougaro était "vraiment un citadin", confirme Hélène.Il vivait à Paris, s’était emballé pour New York au point d’en écrire Nougayork. Il disait qu’il y avait "le Nougarat des villes et le Nougaro des champs". Avec 32 ans d’écart, sa femme, elle aussi citadine, se fait à son tour rattraper par l’appel des Corbières. "Je pense que je viendrai davantage. J’adore Paris mais la bascule va se faire doucement.Je me rends compte que plus on vieillit, plus on a envie de nature et moins on a envie de ville."
"Il disait qu'il était maniaco-dépressif"
Il aurait 93 ans. Elle en a 61. Quel bilan de vie, les yeux dans le rétro ? "Je resigne pour la même vie, sans l’ombre d’un doute !" Avoir vécu avec une telle personnalité, "ça ne se fait pas deux fois, une fois c’est bien". Elle ne gomme pas les souffrances. Elle n’a pas eu d’enfants. "Claude voulait qu’on soit toujours avec lui. Quand on a des enfants, la femme ne peut pas être en tournée tout le temps."
Elle était devenue intermittente du spectacle, accompagnant son mari sur les routes en tant que régisseur administratif, relais sur les tournées de l’agent de son époux auprès des musiciens, des techniciens, des organisateurs. Comme Claude Nougaro ne conduisait pas, elle était également chauffeur. Elle a enduré les états "très up and down" du chanteur. "Ce n’était pas facile tous les jours. Quand on est avec quelqu’un qui est mal, on se remet soi-même en cause. Il disait qu’il était maniaco-dépressif. Maintenant, on dirait bipolaire. C’est vrai qu’il pouvait rester trois semaines sans sortir de la maison et puis pendant des périodes être toujours dehors. Il suffisait que la tournée recommence pour que la dépression s’arrête."
Il était un compagnon pas toujours tendre quand l’alcool prenait le dessus. Il pouvait même être "horrible". Il s’était "quand même bien calmé" dans sa consommation le temps où ils ont vécu ensemble, assure-telle. "L’alcool était un désinhibiteur et un euphorisant, il allait plus facilement vers les autres", lui qui était "un solitaire". "Il était plus sombre que très optimiste sur la condition humaine, ça c’est sûr." Il traînait comme un boulet les traumatismes de l’enfance, lui le gamin élevé par ses grands-parents à Toulouse, loin de ses parents. Des parents pas commodes, qui plus est.
"Fondamentalement, et pourtant on n’était qu’en 2004 au moment de sa mort, il en avait déjà marre de l’évolution du monde. Il se sentait étranger à beaucoup de choses. Il y avait déjà les portables qu’il appelait “insupportables”. Qu’est-ce qu’il dirait aujourd’hui !"
La vie d’Hélène Nougaro s’est construite sur des bizarreries. "J’étais pas du tout attirée par le show-business, la chanson. Pour l’inauguration du palais des sports à Toulouse, toute ma famille était allée au concert de Claude, sauf moi. J’étais pas showbiz, je suis tombée sur un chanteur. J’étais pas bistro, j’ai acheté un café." A-t-elle refait sa vie ? "On ne refait pas, mais on peut continuer sa vie. Oui, j’ai un ami."
Un événement l'an prochain
Hélène Nougaro a créé l’association Claude Nougaro, dont elle est présidente, avec "des gros concerts organisés place du Capitole à Toulouse". Une logistique lourde qui a eu raison des énergies au fil des ans.
Si l’association est aujourd’hui plus ou moins en sommeil, un rebond s’annonce autour de l’anniversaire des 20 ans de la disparition du chanteur, l’année prochaine. La fille de Claude Nougaro, Cécile, a par ailleurs aménagé à Toulouse une péniche en Maison Nougaro, avec un musée sur la vie et l’œuvre de son père, une brasserie et une salle de spectacle.