Sous le titre « Paris Grain Conférence » un colloque s’est déroulé le 26 et le 27 janvier au Méridien Étoile près de la porte Maillot à Paris. L’initiative était sponsorisée par le Crédit Agricole et huit autres entreprises moins connues dans le business vert. Les échanges se déroulaient en anglais. Les participants français bénéficiaient d’une traduction en s’équipant d’un casque fournit par les organisateurs. En amont de la tenue de ce « Paris Grain Conférence » le document de présentation indiquait que « l’année 2022 a été marquée par une grande agitation mondiale sur les plans géopolitique et économique. L’impact de l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’est ressenti sur les marchés financiers, de l’énergie, des engrais et de l’agriculture (…) Axée sur les thématiques de la croissance et des opportunités, le programme de cette conférence 2023 prévoit une analyse poussée des évolutions qui façonnent les marchés internationaux des céréales et des oléagineux. Ne manquez pas l’occasion de venir échanger directement avec des grands acteurs du secteur et de bénéficier de leurs points de vue et nouer des liens avec eux » était-il écrit dans l’invitation, également envoyée aux journalistes.
Chaque table ronde était présentée par Michel Portier, directeur général du cabinet Agritel. Ce cabinet affirme concevoir sa mission de la manière suivante : « apporter son savoir-faire à l’ensemble des opérateurs de l’amont et de l’aval des filières agricoles et agro-industrielles, y compris aux partenaires de l’agriculture ». Parmi les intervenants figurait Nicolay Gorbachev, président d’Ukrainian Grain Association. Il a participé à la table ronde du 26 janvier présentée sous le titre suivant : « Quels changements fondamentaux a subi le commerce de céréales suite au conflit, et comment les acheteurs mondiaux gèrent-ils les approvisionnent en céréales dans ce contexte ? ».
Vers un fort recul de la production céréalière en Ukraine
Nicolay Gorbachev a expliqué que les exportations céréalières de l’Ukraine demeurent perturbées malgré le corridor négocié en mer Noire, car une partie croissante des exportations s’effectue désormais par voie de chemin de fer alors que les écarts entre les voies ne sont pas les mêmes en Ukraine et dans des pays importateurs de l’Union européenne. Toujours en raison de la guerre, l’Ukraine n’aura semé que 3,5 millions d’hectares de céréales d’hiver l’automne dernier en prévision de la récolte de 2023, contre 7 millions d’hectares en 2022. Il a aussi confirmé que certaines récoltes de maïs et de tournesol n’ont pu se faire en automne 2022 en raison de la guerre.
Avant comme après l’intervenant ukrainien, tous les orateurs ont fait état de l’incertitude des marchés pour l’année 2023, évoquant des prix spéculatifs en cas de risque de pénurie. Mais plusieurs intervenants ont aussi montré que ces pénuries existeraient déjà si la Russie n’avait pas exporté d’énormes quantités de blé en 2022. D’autres ont montré que la Russie exportait aussi beaucoup plus de charbon et de gaz qu’avant 2022 dans d’autres régions du monde, depuis que les pays membres de l’Union européenne ont décidé de réduire les importations de ces deux énergies en provenance de Russie.
Le soja face au double marché du diester et des tourteaux
Concernant le soja, un intervenant brésilien a expliqué que les débouchés étaient en forte augmentation dans la filière diester, le carburant qui remplace le gazole dans les moteurs diesel. Il a aussi expliqué que le développement de cette énergie renouvelable est freiné dans la mesure l’alimentation du bétail au niveau mondial n’offre pas assez de débouchés aux tourteaux de soja, un coproduit de la distillation, et ce malgré les gros volumes importés par les pays membres de l’Union européenne. Selon cet intervenant, il faudrait trouver plus de débouchés pour les tourteaux dans le monde entier en élevant plus de volailles, de porcs, mais aussi de poissons en pisciculture. Des débouchés accrus pour les tourteaux sont indispensables pour que le diester tiré de soja soit rentable dans la durée. Cela déboucherait sur plus de déforestation et plus de consommation de viande, ce qui n’est pas de nature à réduire les émissions de CO2.
Lors des six tables rondes, toutes les interventions étaient des plaidoyers consistant à faire croître les cultures céréalières afin de produire des carburants en plus de la nourriture, mais aussi pour produire de gaz pouvant être transformé en électricité via la méthanisation des effluents d’élevage. Mais pour rentabiliser cette pratique on ajoute beaucoup de végétaux dans les fosses à lisier afin d’accroître la fermentation qui permet d’accélérer la production de gaz. Cette table ronde était présentée comme pouvant apporter un complément de revenu aux agriculteurs. Mais les intervenants n’abordèrent jamais les effets pervers que l’on observe déjà en Allemagne. Dans ce pays, les cultures de maïs qui vont dans la fosse à purin sans passer par la panse des vaches ont été doublées en superficie depuis dix ans. Ce doublement a débouché sur un doublement du prix de vente des terres agricoles durant la même période, ce qui est de nature à renchérir le prix de revient des produits alimentaires.
La dépêche très matinale de l’AFP qu’il fallait lire le 27 janvier
Alors que se tenait cette seconde journée d’échanges à Paris le vendredi 27 janvier, l’Agence France Presse (AFP) publiait, à 1 h 6 minutes et 57 secondes du matin, une dépêche faisant état de l’inquiétude de chercheurs brésiliens et américains. En voici quelques extraits :
« Plus du tiers de la forêt amazonienne pourrait avoir été dégradé par l’activité humaine et la sécheresse, selon une étude scientifique dévoilée jeudi dans la revue Sciences, entraînant des appels à légiférer pour protéger cet écosystème vital en danger. Les dommages infligés à cette forêt, qui recouvre neuf pays, sont significativement plus importants que ceux qui avaient été observés auparavant, ont indiqué les chercheurs, issus notamment de l’université brésilienne Universidage Estadual de Campinas. Au cours de cette étude, ils ont analysé les conséquences des incendies, de l’exploitation forestière, de la sécheresse et des changements ayant touché les habitats en lisière de la forêt, ce qu’ils appellent des effets de bordure. Hors sécheresse, ces phénomènes ont dégradé au moins 5,5 % du reste des forêts qui composent l’écosystème amazonien, soit 264.748 kilomètres carrés, entre 2001 et 2018 selon l’étude. Lorsque les effets de la sécheresse sont inclus, la zone détériorée représente alors 2,5 millions de kilomètres carrés, soit 38 % du reste des forêts composant l’écosystème amazonien. L’extrême sécheresse est devenue de plus en plus fréquente en Amazonie du fait de l’évolution des manières d’exploiter le sol et du changement climatique induit par les humains qui affectent la mortalité des arbres, le nombre d’incendies et les émissions de carbone dans l’atmosphère ».
Ces questions-là ne furent jamais abordées au cours des deux journées d’échanges dans le cadre du « Paris Grain conférence ».