Au 462e jour, la guerre en Ukraine a-t-elle pris un nouveau tournant ? L’extension du conflit sur le sol russe est clairement posée. Après des tirs et affrontements répétés dans les régions frontalières (Belgorod, Koursk, Krasnodar, Briansk, Rostov), la région de Moscou a été la cible, mardi matin, d’une attaque d’une dizaine de drones ukrainiens.
Le ministère russe de la Défense en totalise huit, dont « cinq ont été abattus » par le système de défense aérien et les trois autres déviés par le brouillage électronique. Depuis un mois, les habitants de la capitale russe ont découvert que les GPS et navigateurs ne fonctionnaient plus correctement. Un brouillage d’ondes qui est continu depuis la première attaque de drones sur le Kremlin, début mai. Des responsables américains ont récemment jugé, dans le New York Times, que cette opération avait probablement été orchestrée par « l’une des unités militaires » ou « de renseignement spéciales ukrainiennes ».
« On a juste entendu une détonation et la chute d’objets. Depuis, tout est bouclé par la garde nationale »
L’opération menée mardi matin, la plus importante visant la capitale russe et sa région depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, n’a fait que deux blessés légers et causé des dégâts « partiels », selon les autorités.
Elle a impacté plusieurs endroits à la périphérie ouest de Moscou : Razdory, Joukovka, Istra, Barvikha… Une zone à une dizaine de kilomètres de la capitale surnommée « Roubliovka » qui accueille les datchas de l’élite politique, économique, militaire et médiatique.
La résidence officielle de Vladimir Poutine à Novo-Ogaryovo s’y trouve également. « On a juste entendu une détonation et la chute d’objets. Depuis, tout est bouclé par la garde nationale, les voitures de police, les pompiers, des ambulances », décrit Olga (1), une habitante. Dans un communiqué, le ministère de la Défense a accusé, mardi, le « régime de Kiev » d’avoir commis un acte « terroriste ».
La crainte de l’engrenage
La répercussion est palpable chez une partie des Moscovites. Malgré une zone de conflit qui se trouve à plus de 1 000 kilomètres, la guerre est entrée dans les foyers avec les mobilisations ou les sanctions. « Les événements de ce matin (mardi – NDLR) nous replongent dans un quotidien auquel tous souhaitent échapper. La population s’est préparée à une guerre longue mais elle ne l’accepte pas forcément. On s’y soumet. Par contre, le débat monte sur le loupé des systèmes de sécurité et de défense antimissile », juge Katia (1) qui vit dans le centre de Moscou.
Du côté du président russe, Kiev a réagi à des « frappes contre les centres de prise de décision », dont « le quartier général du renseignement militaire (ukrainien), attaqué il y a deux ou trois jours ». Depuis une quinzaine de jours, le Kremlin a multiplié les frappes quotidiennes contre Kiev et plusieurs points stratégiques autour de Dnipro, dans l’est de l’Ukraine.
L’intensification des attaques par Kiev répond-elle à celle menée par la Russie ? Une autre interrogation surgit. Ces opérations s’inscrivent-elles dans le cadre de la future offensive promise par les autorités ukrainiennes ? Alors que la guerre entre dans son 16e mois, plusieurs régions à la frontière sud-ouest du pays se retrouvent entraînées dans le conflit, subissant des bombardements et même des incursions armées.
L’émergence d’une multitude d’unités ukrainiennes capables de mener des opérations limitées à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie
Des drones ont ainsi touché la ville de Krasnodar, vendredi, dans le sud du pays, au sein du Caucase russe. À environ 200 kilomètres de la Crimée et de Sotchi, la cité d’un million d’habitants n’a connu que des dégâts légers, sans faire de victimes, a indiqué le gouverneur régional, Veniamin Kondratiev. Belgorod a essuyé également une nouvelle salve de tirs, fin mai, après avoir connu une opération menée par deux bataillons paramilitaires composés de néonazis et suprémacistes russes. Venus depuis l’Ukraine, ils ont été abattus par l’armée russe, avait indiqué le ministère de la Défense.
Cette escalade inquiète l’administration Biden, qui craint que Moscou ne blâme Washington et ne riposte. À chaque envoi de nouveau matériel de guerre (drones, missiles, obusier, tanks, avions), les États-Unis avaient réclamé aux autorités ukrainiennes de ne pas frapper le sol russe avec.
Mais les agences de renseignement constatent l’émergence d’une multitude d’unités ukrainiennes capables de mener des opérations limitées à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie, soit en utilisant leur propre personnel, soit des partenaires travaillant sous leur direction.
Une situation qui échapperait au président ukrainien, Volodymyr Zelensky. « Quand on sait que les prochains équipements ont une capacité supérieure, sans parler des F-16 qui n’arriveront pas avant la fin 2023, la possibilité d’une réplique russe n’est pas à sous-estimer. On flirte avec les lignes rouges », analyse un militaire français.
Retour de la menace nucléaire
Face à cette extension du conflit, la Russie a acté, jeudi dernier, la signature d’un pacte avec la Biélorussie qui permet désormais à Moscou de déployer des armes nucléaires tactiques chez son voisin. Ce changement de posture nucléaire n’est pas anodin. C’est la première fois depuis la fin de guerre froide et la chute de l’URSS en 1991 que le Kremlin déclenche une manœuvre de ce type sur un sol étranger.
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Cette décision intervient alors que le président russe a promulgué un oukase sur la doctrine nucléaire, le 2 juin 2020. Dans un document intitulé « Les fondements de la politique de la Fédération de Russie en matière de dissuasion nucléaire », Vladimir Poutine déclare modifier l’approche exclusivement défensive, pour élargir les conditions d’utilisation.
Pire, ce texte formule un cadre doctrinal pour l’emploi de nouvelles capacités à des fins préstratégiques, comme l’analyse le chercheur Igor Delanoë dans une note datée du 8 juin 2020. L’emploi d’armes tactiques nucléaires en premier pour remporter un conflit est évoqué. Il serait temps de stopper un engrenage de plus en plus inquiétant pour la sécurité de l’ensemble des Européens.