Dans leur recherche effrénée de nouveaux revenus, les clubs utilisent depuis plusieurs années le trading de joueurs. En d’autres termes, il s’agit de recruter de jeunes talents à fort potentiel, mais encore peu valorisés, et de les revendre très cher le plus rapidement possible. Comme toujours dans le football où la dérégulation règne en maître, ce qui à l’origine n’était qu’une pratique utilisée par quelques clubs s’est vite multiplié sur le Vieux Continent. La revente n’intervenant pas toujours rapidement, la technique du prêt a eu tendance à dériver vers une industrie au détriment des joueurs.
Effectifs pléthoriques, jeunes trimballés d’une équipe à l’autre, prêts avec option d’achat obligatoire pour étaler les paiements dans le temps, partenariats avec des écuries faisant partie de la « galaxie » d’un club pratiquant la multipropriété… le foot business n’est jamais à court d’idées. « Le prêt peut être intéressant dans un parcours de postformation, pour se tester ailleurs, se confronter à un environnement différent. Mais ce modèle a été détourné, constate Sylvain Kastendeuch, coprésident de l’UNFP, le syndicat français des joueurs. Quand un joueur est prêté continuellement ou à des fins spéculatives, cela devient une industrie au service de l’inflation des effectifs. Et cela ne contribue pas à l’épanouissement du joueur. »
LE PRÊT FAIT BARRIÈRE AUX TALENTS DES CENTRES DE FORMATION ET LES PRIVE D’UNE CHANCE DE PERCER.
Certains clubs en ont même fait une spécialité. La saison dernière, l’Atalanta Bergame ne comptait pas moins de 65 joueurs en prêt (53 cette année). « Dans la comptabilité des clubs, les joueurs représentent des actifs, explique Jean-Pascal Gayant, économiste du sport. Il y a ceux qui vont prendre de la valeur, d’autres moins ou pas. Mais un joueur qui ne joue pas se déprécie. Avec le prêt, les clubs ont trouvé un système commode pour les faire jouer, les mettre en valeur et espérer des plus-values à leur revente. C’est de la pure marchandisation et pure spéculation. Le système a été dévoyé. » Selon un rapport de la Fédération internationale de football (Fifa), plus d’une mutation sur quatre concernait un prêt ou un retour de prêt en 2020, contre seulement 11,6 % pour les transferts de joueurs sous contrat.
Anticoncurrentiel
En ratissant le plus large possible, les clubs enlèvent aussi à la concurrence de futurs talents et s’assurent une certaine emprise sur le mercato en déterminant les équipes auxquelles seront prêtées leurs pépites. Les fonds d’investissement, qui rachètent des clubs, ont bien compris également qu’acquérir de jeunes joueurs pour effectuer de juteuses reventes leur assure un retour sur investissement bien plus rapide que si leurs clubs devaient eux-mêmes les former. « Ils font de plus en plus de trading et de moins en moins de formation, car la formation ça coûte cher et ça prend des années », déplore Jean-François Brocard, économiste au Centre de droit et d’économie du sport, à Limoges.
Dans les faits, la technique du prêt permet aussi à de nombreux clubs de renforcer temporairement un secteur de jeu sans débourser d’indemnités (sauf en cas de prêt payant). Ils n’ont alors que le salaire du footballeur à payer, ce qui allège les charges du club propriétaire tout en permettant à son joueur de s’aguerrir. Tout le monde y trouverait donc son intérêt. Pas vraiment, en fait, car le prêt fait barrière aux jeunes talents des centres de formation et constitue un mécanisme qui les prive souvent d’une chance de figurer en équipe première et donc de percer.
Pour une fois, la Fifa, soucieuse de « favoriser le développement des jeunes joueurs et l’équilibre compétitif », a décidé d’y mettre son nez. Une réforme progressive, qui est passée inaperçue, a commencé timidement à entrer en vigueur cet été, mais peu de clubs sont menacés pour l’instant par cette évolution réglementaire qui doit s’inscrire dans un projet plus global.
Une timide offensive de la Fifa
Depuis le 1er juillet, le nombre de prêts par saison et par équipe est limité à 8, dans les deux sens de circulation (8 départs et 8 arrivées au maximum). Il doit diminuer progressivement (7 en 2023-2024) pour être limité à 6 pour le début de la saison 2024-2025. Mais cette réforme ne s’appliquera pas aux joueurs de 21 ans ou moins, ni aux footballeurs formés au club, ce qui la rend moins contraignante pour les grands clubs dont le lobbying a payé.
Ce règlement ne concerne pour le moment que les transferts internationaux. La Fifa donne trois ans aux ligues nationales pour adapter leur règlement domestique à ce cadre. Néanmoins, en limitant à trois le nombre de joueurs pouvant être prêtés à la même équipe, cette réforme s’attaque aux dérives de la multipropriété de clubs qui abusent du prêt vers leurs clubs « satellites ». En 2018-2019, Monaco, actionnaire majoritaire du Cercle Bruges, avait ainsi prêté la bagatelle de neuf joueurs au club belge… Presque une équipe entière.