Justice. Qu'est-ce que « l'affaire Alexis Kohler » ?

Coup de tonnerre lundi dans l'exécutif : quelques heures après l'annonce du renvoi du ministre de la justice Eric Dupond-Moretti devant la Cour de Justice de la République, on apprenait la mise en examen du bras droit d'Emmanuel Macron, Alexis Kohler, pour prise illégale d'intérêts dans l'enquête sur ses liens avec l'armateur italo-suisse MSC. Le point sur cette enquête.

Qui est Alexis Kohler ?

Le strasbourgeois Alexis Kohler, 49 ans, est le puissant secrétaire général de l'Élysée qui canalise, arbitre et parfois bride les grandes décisions tout en restant dans l'ombre d'Emmanuel Macron, depuis 2017. Jamais, depuis Dominique de Villepin (1995-2002), un n°2 de l'Élysée n'était resté aussi longtemps à ce poste prestigieux, qui fait figure de tremplin, notamment vers Matignon (Villepin, Bérégovoy, Balladur) ou... la présidence de la République (Macron).

Alexis Kohler est surtout un très proche de l'actuel chef d'État. Sorti de l'ENA quatre ans avant Emmanuel Macron, ils se sont rencontrés en 2010 jusqu'à devenir "inséparables", selon sa mère, qui témoignait dans les Dernières nouvelles d'Alsace en 2017. A partir de 2014, il devient son directeur de cabinet au ministère de l'Économie jusqu'à la démission du ministre en 2016. Alexis Kohler se reconvertit alors - pour quelques mois - comme directeur financier de la compagnie Mediterranean Shipping Company (MSC), numéro 2 mondial du fret maritime, un armateur italo-suisse fondé et dirigé par les cousins de sa mère, la famille Aponte. Parallèlement, il fait partie de l'équipe qui élabore et chiffre le programme économique du candidat d'En Marche!. Il est nommé secrétaire général de l'Élysée le 14 mai 2017.

D'où vient l'affaire ?

« L'affaire Alexis Kohler » a démarré en 2018, avec la parution d'une enquête de Médiapart sur un éventuel conflit d'intérêts entre ses différents postes dans la fonction publique et ses liens familiaux avec MSC. Basé à Genève, l'armateur - l'un des plus grands transporteurs de conteneurs au monde et dont MSC Croisières est une filiale - est un important client de l'entreprise STX France (aujourd'hui renommé Chantiers de l'Atlantique) qui gère les chantiers navals de Saint-Nazaire.

Suite aux articles de médiapart, le Parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête préliminaire, qu'il avait classée sans suite en août 2019 en indiquant que l'analyse des éléments recueillis « ne (permettait) pas de caractériser les infractions initialement suspectées ». Mais l'association anticorruption Anticor a obtenu la relance des investigations en juin 2020 grâce à une plainte avec constitution de partie civile, qui a entraîné la désignation d'une juge d'instruction.

Que s'est-il passé le mois dernier ?

Le 23 septembre, Alexis Kohler, a été mis en examen en septembre à Paris pour prise illégale d'intérêts (traduction pénale du conflit d'intérêts) dans le cadre de l'information judiciaire visant ses liens familiaux et professionnels avec MSC. Il a été également placé sous le statut plus favorable de témoin assisté pour trafic d'influence, et ne fait l'objet d'aucune mesure de contrôle judiciaire, a précisé dans un communiqué le Procureur national financier Jean-François Bohnert. C'est ce qui a été révélé lundi par Franceinfo.

Le communiqué du Parquet national financier

Comment ont réagi Alexis Kohler et l'Élysée ?

Alexis Kohler « conteste avec force avoir commis tout délit », a réagi dans un communiqué son avocat, Me Eric Dezeuze. « Sans que soient pris en considération à ce stade les nombreux éléments objectifs à décharge, Alexis Kohler a été placé sous le statut de mis en examen pour prise illégale d’intérêt pour des faits pouvant remonter à plus de dix ans », explique Me Dezeuze, affirmant que « la suite de la procédure, à laquelle il a désormais accès » allait « lui permettre de démontrer son innocence ». Le numéro 2 de l'Élysée reste à son poste auprès d'Emmanuel Macron, a confirmé le palais présidentiel.

Qu'a montré l'enquête ?

Au cours de l'enquête préliminaire, les investigations de la Brigade de répression de la délinquance économique avaient donné lieu à la rédaction de deux rapports contradictoires. Dans un premier, en juin 2019, un enquêteur écrit par exemple qu'Alexis Kohler « ne prend aucune mesure pour organiser un déport formalisé », à savoir ne pas intervenir sur les questions liées à MSC lorsqu'il travaille au cabinet de Pierre Moscovici, ministre de l'Économie de 2012 à 2014, ou qu'il « ne met en place aucun déport » quand il est ensuite directeur de cabinet d'Emmanuel Macron. Dans un second rapport, le mois suivant, le même enquêteur détaille au contraire que des déports d'Alexis Kohler ont bien été organisés quand il a travaillé à Bercy.

Emmanuel Macron avait lui-même pris la plume via une « note personnelle » en juillet 2019 envoyée au parquet national financier (PNF) par son avocat, assurant que son collaborateur n'était jamais intervenu, au moment où il était son directeur de cabinet à Bercy, dans des dossiers liés à l'armateur italo-suisse MSC. Le PNF avait alors classé l'enquête.

Mais après deux ans d'instruction, la juge d’instruction Virginie Tilmont a estimé quant à elle qu’il existait suffisamment d’indices graves et concordants pour mettre en examen Alexis Kohler. Selon Médiapart, les liens familiaux d'Alexis Kohler auraient « pu inciter Alexis Kohler à garder ses distances, à éviter tout dossier en lien avec MSC. Au contraire. Il accepte de devenir administrateur, représentant l’État, à la fois au port du Havre et chez STX France. Deux sociétés en relation directe avec le groupe MSC. En dépit des obligations sur les déclarations d’intérêts, il garde secrets ses liens avec MSC (...) cachant soigneusement à la fois ses liens familiaux et ses interventions en faveur du groupe ».