La guerre en Ukraine et les nouvelles ambitions militaires allemandes alimentent le débat sur le retour du service militaire, mais les obstacles sont légion.
De notre correspondante à Berlin, Pascale HuguesTemps de lecture : 3 min
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Le service militaire sera-t-il réintroduit en Allemagne ? La guerre en Ukraine et la nécessité de rendre plus performante l'armée allemande ont rouvert un vieux débat que l'on croyait enterré à jamais. C'est le tout nouveau ministre de la Défense Boris Pistorius qui a remis le sujet sur la table. Il y a quelques jours, il faisait savoir qu'à ses yeux l'abolition de la conscription en 2011 avait été une erreur. Le mur était alors tombé depuis deux décennies et l'éventualité d'une nouvelle guerre en Europe relevait de la science-fiction. Unifiée, entourée d'amis, l'Allemagne faisait des économies sur ses dépenses militaires et renvoyait les jeunes appelés à leurs foyers. Boris Pistorius évoque avec nostalgique cette époque révolue où « un conscrit était assis à la table d'une cuisine allemande sur deux ». Aujourd'hui, les jeunes peuvent se porter volontaires pour effectuer une année de service. Selon la Bundeswehr, ils n'étaient que 9 600 à avoir offert leurs services de leur plein gré en 2022.
Le ministre social-démocrate n'est pas le seul au sein de la coalition à vaguement évoquer un éventuel retour des jeunes dans les casernes. Marie-Agnes Strack-Zimmermann, présidente de la commission du Bundestag pour la Défense et membre du petit parti libéral, cite l'article 12a de la Constitution qui stipule qu'en cas d'agression militaire contre l'Allemagne tous les hommes à partir de 18 ans peuvent être appelés à rejoindre l'armée, les unités de contrôle aux frontières ou les services civils. « L'abolition du service militaire, rappelle-t-elle, n'est valable qu'en temps de paix. En période de tension ou au cas où le pays aurait à assurer sa propre défense, la conscription peut à nouveau être activée. »
À LIRE AUSSILes Allemands divisés sur l'envoi d'avions de combat en UkraineDes ardeurs que Christian Lindner, chef du parti et ministre des Finances, s'est empressé de freiner. « Il n'en est pas question ! Il s'agit là d'un débat fantôme. » Pour lui, il faut focaliser tous les efforts sur la constitution d'une armée hautement professionnelle. Quant aux jeunes, on a besoin d'eux sur le marché du travail qui souffre d'un manque de main-d'œuvre qualifiée dans toutes les branches.
Plusieurs obstacles
Si l'idée de rappeler les jeunes Allemands sous les drapeaux peut sembler logique au moment où Olaf Scholz a décidé de moderniser la Bundeswehr qui connaît à la fois une pénurie en armes et en effectifs, sa mise en application coûteuse se heurterait à plusieurs obstacles pratiques de taille.
Premièrement, l'armée n'est plus ce qu'elle était. Eberhard Zorn, l'inspecteur général des armées, s'est immédiatement prononcé contre la réintroduction du service militaire. Ce dont une armée moderne a besoin aujourd'hui, dit-il, c'est d'un personnel bien formé et en partie hautement spécialisé. Les armes sont désormais beaucoup plus sophistiquées et ont besoin d'être maniées par des soldats ayant suivi une formation très pointue.
Deuxièmement : la conscription serait ouverte aux femmes, ce qui augmenterait considérablement le nombre des appelés et poserait de nouveaux problèmes logistiques. En 2011, la Bundeswehr s'est empressée de vendre casernes, terrains de manœuvres et autres bâtiments. Elle a démantelé toute l'infrastructure nécessaire pour effectuer les tests d'aptitude.
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Au cours des dernières années de conscription, la Bundeswehr accueillait et formait chaque année 30 000 conscrits. Si on réintroduisait le service militaire aujourd'hui, quelque 700 000 jeunes, hommes… et femmes, âgés de 18 ans, seraient concernés. Assurer leur formation et les loger représenterait un effort colossal et des dépenses importantes pour une armée sous-équipée tout occupée à gérer la pénurie. Le chancelier Scholz a, certes, débloqué une enveloppe de 100 milliards d'euros pour moderniser la Bundeswehr. Mais cette somme, que le nouveau ministre de la Défense à peine désigné a jugée totalement insuffisante, est destinée en priorité à l'achat de nouvelles armes et à la remise en l'état du matériel. Ce qu'un éditorialiste résume en ces mots peu flatteurs : « Avec le budget serré dont elle dispose, la Bundeswehr a d'autres priorités en ce moment que d'assurer la formation de recrutés de force de 19 ans modérément motivés. »