Depuis des décennies, la Commission européenne a été mandatée par les pays membres de l’Union européenne pour multiplier les accords de libre-échange avec des pays tiers sur fond de dumping social, fiscal et environnemental. Dans de nombreux secteurs industriels, cela s‘est traduit par des délocalisations de productions et par la réimportation de produits finis en provenance des pays à bas coûts de main d’œuvre. Cette politique de casse industrielle a beaucoup contribué au réchauffement climatique en cours. On a détruit beaucoup d’usines en bon état de marche en France et en Europe pour en monter d’autres dans les pays à bas salaires afin de produire les mêmes objets dans le seul but d’augmenter les profits des firmes.
La même politique a prévalu dans le secteur agricole via les accords de libre-échange. En 2016 fut signé le CETA entre la Commission européenne et le Canada, avant un autre accord du même type avec les pays Mercosur le 28 juin 2019. La Commission vient de signer un nouvel accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande et elle continue de négocier pour conclure un autre avec l’Australie. Il doit permettre à ce pays déjà très impacté par le réchauffement climatique d’exporter toujours plus de produits agricoles en Europe afin de faire baisser les prix payés aux paysans européens. Ces dernières années, tous ces échanges agricoles ont beaucoup contribué à la déforestation dans les pays exportateurs, comme le Brésil, notamment durant la présidence de Jair Bolsonaro qui quittera le pouvoir à la fin de ce mois de décembre 2022.
L’intérêt d’une dépêche très matinale de l’AFP
Hier, une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) publiée à 2H50 du matin était ainsi titrée: «Déforestation: ultimes tractations pour verdir les importations de l’UE ». Il s’agissait d’un compte rendu aussi objectif que possible du débat en cours entre la Commission, les Etats membres de l’Union et les parlementaires européens. On y lisait que « plusieurs points cruciaux sont au cœur des négociations entre le Parlement européen et les Etats membres. A l’origine de 16% de déforestation mondiale par le biais de ses importations, l’UE est le deuxième destructeur de forêts tropicales derrière la Chine, selon l’ONG WWF », précisait la dépêche.
Partant de ce constat, elle indiquait que « pour limiter cet impact, la Commission européenne a proposé d’interdire l’importation dans l’UE de six produits (soja, viande bovine, huile de palme, bois, cacao et café, et produits associés comme le cuir ou l’ameublement), si leur production est issue de terres déboisées après décembre 2020. Les Etats ont repris cette liste, mais les eurodéputés ont réclamé d’ajouter le caoutchouc- dont la culture menace les forêts d’Afrique de l’Ouest-, le maïs, la viande de porc et de mouton, la volaille, le charbon de bois et le papier, avec une interdiction concernant les terres déboisées après décembre 2019, soit un an plus tôt».
Un texte à finaliser le 5 décembre au soir
Supposons que les attentes de l’Europe soient prises en compte par les pays exportateurs. Les importations de tous les produits cités plus haut seront autorisés à la seule condition que leur production soit effectuée sur les terres qui ont été déboisées avant décembre 2020 pour les six premiers produits cités et avant décembre 2019 pour des produits la comme la viande de volaille, de porc, de mouton. La dépêche de l’AFP indiquait que le texte en discussion à Bruxelles devait être finalisé dans la soirée le 5 décembre, à savoir hier soir.
Elle indiquait aussi que selon les discussions en cours à Bruxelles, « les entreprises importatrices seront responsables de leur chaîne d’approvisionnement, devant certifier la traçabilité à l’aide de données de géo-localisation des cultures et photos satellitaires. Les contrevenants s’exposeront à des amendes proportionnelles aux dommages environnementaux. Le niveau d’exigence réclamé varierait selon le risque de déforestation dans la région productrice ». On peut toutefois se demander comment les « contrevenants » pourront savoir si une récolte de soja issue d’une terre défrichée à une date postérieure à 2020 ne sera pas mélangée à celle d’une terre a défrichée avant cette date dans les silos avant l’exportation.
Mais supposons que toutes ces consignes soient respectées par toutes les entreprises européennes importatrices de soja, de maïs, d’huile de palme, de viande de volaille, de viande de porc. Cela nous garantira seulement que ces denrées ont été produites en exploitant des terres défrichées avant décembre 2020, voire décembre 2019. Mais rien n’empêchera les pays exportateurs de continuer à raser des forêts pour satisfaire leurs besoins intérieurs et pour exporter dans des pays qui ne formulent pas les mêmes exigences que l’Europe des 27.
Pascal Canfin dans le rôle de l’idiot utile
Se pose donc une question. Les commissaires européens, les ministres et les députés européens qui participent à ces échanges sont-ils assez stupides pour croire ce qu’ils racontent dans cette affaire telle que nous la livre une dépêche très précise et bien résumée par l’AFP ? Elle cite Pascal Canfin, président de la Commission Environnement au Parlement européen, qui semble avoir choisi d’endosser le rôle de l’idiot utile. Selon lui « c’est un signal très fort » qui va être donné. Mais la dépêche de l’AFP cite aussi le WWF selon lequel « la production pourrait simplement être déplacée vers d’autres écosystèmes, le texte ne ferait que protéger un écosystème au détriment des autres »; ce que Pascal Canfin ne semble pas capable de comprendre.
La dépêche cite enfin l’ONG Golbal Witness selon laquelle selon laquelle « les banques basées dans l’UE ont accordé entre 2016 et 2020 près de 35 milliards d’euros de financement aux principaux groupes responsables de la déforestation, principalement dans l’agroalimentaire ».
Ainsi donc, deux semaines après la conclusion d’une COP 27 jugée décevante, l’Europe nous offre un voyage en « Absurdistan » avec la complicité de la France!