Plus que jamais, l’inquiétude et l’incertitude concernant l’avenir de la profession agricole s’expriment en ce début d’année chez les syndicalistes paysans à l’occasion des vœux à la presse. Ce fut récemment le cas chez les responsables de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) de la FNSEA. La Confédération paysanne et le MODEF ont également exprimé leurs inquiétudes en ce début d’année, de même que le syndicat Jeunes Agriculteurs, dont les adhérents deviennent des membres de la FNSEA après avoir dépassé le cap des 35 ans.
Véronique Le Floc’h est productrice de lait dans le Finistère. Cette ancienne championne de cyclisme est la nouvelle présidente de la Coordination rurale, second syndicat en influence électorale avec 21,55 % des voix aux élections de 2019 aux Chambres d’Agriculture. Lors de la rencontre avec la presse le 30 janvier à Paris elle a insisté sur le fait que la sous-rémunération du travail des paysans rend de plus en plus difficile l’installation des jeunes alors que les chefs d’exploitation ont désormais plus de 50 ans de moyenne d’âge. Selon elle, « faute de repreneurs parmi les jeunes, ce sont les industriels et les financiers qui achètent les terres et se substituent aux exploitations familiales. La loi Egalim ne fonctionne pas au service des agriculteurs dès lors que les prix sont déterminés l’offre et la demande au niveau mondial » a-t-elle ajouté.
Quand une ferme laitière arrête la production…
Selon sa collègue Sophie Lenaerts, vice-présidente de ce même syndicat et productrice de lait dans l’Oise, « la possibilité d’importer sans limite permet aux metteurs en marché de faire baisser les prix au départ de la ferme, sans tenir compte de l’évolution des coûts de production. Mais quand une ferme laitière arrête la production, elle n’est plus reprise par la suite » alors qu’il est toujours possible de changer de production quand on ne produit que des végétaux.
Agriculteur dans les Hauts de France, et responsable de la filière « pommes de terre » à la Coordination rurale, Patrick Legras a montré comment la hausse des coûts de l’énergie complique la vie des producteurs et diminue la rentabilité de cette production. Mais la situation des producteurs d’endives, très nombreux dans cette région est beaucoup plus difficile. Car pour faire pousser ce légume qui se mange cuit ou cru, il faut d’abord maintenir les racines au frais autour de 0°C avant de faire monter la température à 20°C quand vient le moment de faire pousser les feuilles qui deviendront comestibles. Selon Patrick Legras, la multiplication par trois ou quatre du prix de l’énergie en 2022 a rendu de plus en plus incertaine la production d’endives dans les Hauts de France. Après ces fortes hausses en 2022, l’INSEE indiquait dans une note diffusée le 1 er février que « les fournisseurs d’électricité estiment que les prix de vente de l’électricité aux clients professionnels devraient augmenter de 84 % en 2023 (en moyenne annuelle par rapport à 2022) avant la prise en compte de mesures telles que »l’amortisseur électricité« , le »guichet d’aide au paiement des factures de gaz et d’électricité« ou le »plafonnement pour les très petites entreprises« . Voilà qui n‘est pas de nature à rassurer les producteurs d’endives.
La filière des betteraves à sucre dans une totale incertitude
Patrick Legras a également insisté sur le fait que la betterave à sucre pourrait voir ses superficies diminuer considérablement en 2023, suite à la décision européenne, acceptée par le France, d’interdire l’enrobage des graines par des néonicotinoïdes. Cet enrobage permettait de lutter contre la jaunisse provoquée par des invasions de pucerons. La raison officiellement invoquée pour justifier cette interdiction est la protection des insectes pollinisateurs dont font partie les abeilles et qui viennent butiner dans les champs. Mais la faiblesse de cet argument tient au fait que la betterave ne fleurit jamais entre le semis du printemps et la récolte de l’automne. Pour faire des fleurs, puis des graines, la betterave doit rester en terre une seconde année. Il serait donc possible de ne plus autoriser les néonicotinoïdes pour la production de graines destinées aux semis, tout en l’autorisant pour les racines destinées aux sucreries. Mais ce sont là des réalités que l’on semble ignorer à Bruxelles comme à Paris chez notre ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
Patrick Legras a également mis en cause l’attitude des coopératives agricoles qui produisent du sucre et cherchent toujours à réduire le prix payé aux paysans pour chaque tonne de matière première livrée aux sucreries. »Un doublement du prix de la tonne de betterave payée au producteur se traduirait par une augmentation de seulement 2 centimes du prix de revient d’une bouteille de coca-cola« , selon lui.
Répondant à une question sur la prochaine mise en place de produits alimentaires très bon marché souhaitée par le gouvernement afin de limiter la facture alimentaire pour les ménages à petit budget, Sophie Lenaerts a estimé que la solution est à rechercher dans l’amélioration du revenu mensuel des ménages les plus pauvres plutôt que dans la mise sur le marché de produits »premiers prix« qui seront souvent des produits d’importation dont on ignore les conditions dans lesquels ils ont été produits et transformés. Elle a aussi noté que les promotions du genre »un produit gratuit pour deux achetés« profitaient davantage aux ménages qui ont les moyens de stocker qu’à ceux qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois en France.