Mouvement d’humeur ou tentative de coup d’État d’une partie des troupes ? C’est à tout le moins un coup de force potentiellement explosif aux contours flous qui se déroule dans la capitale burkinabè depuis le vendredi 30 septembre. Vers 4 h 30 du matin, des tirs retentissent du côté du palais présidentiel et au camp militaire Baba Sy, le quartier général de la junte qui a pris le pouvoir en janvier. Des militaires occupent des points stratégiques de la ville, bloquant notamment l’accès au centre-ville. Et la Radiodiffusion Télévision du Burkina cesse d’émettre momentanément. Tous les indices d’un coup d’État en cours, auxquels les Burkinabés sont désormais familiers.
Un mouvement d’humeur
Comme le suggère un membre de l’entourage de Paul-Henri Damiba, président du Burkina Faso : « Il était conscient des velléités de putsch autour de lui, mais il a sans doute baissé un peu la garde ces derniers temps. »
Dans un communiqué diffusé par la présidence du Faso à la mi-journée, Paul-Henri Damiba a qualifié la situation de « mouvement d’humeur de certains éléments des forces armées nationales ». « Des pourparlers sont en cours pour ramener le calme et la sérénité. L’ennemi qui attaque notre pays ne souhaite que la division entre Burkinabé pour accomplir son action de déstabilisation. »
Toujours en fin de matinée, tandis qu’un calme relatif régnait dans la majorité des quartiers de la capitale, un haut gradé confirmait à La Croix : « Le conclave se poursuit. Nous sommes dans une zone grise entre la mutinerie et le coup d’État. » Lionel Bilgo, porte-parole du gouvernement, déclarait quant à lui à l’Agence France-Presse : « C’est une crise interne à l'armée, les échanges se poursuivent pour un dénouement sans écueil. »
Les suites de l’embuscade de Gaskindé
Plusieurs observateurs affirment que les hommes déployés dans les rues de Ouagadougou sont des membres des forces spéciales de l’unité Cobra. Ces derniers réclameraient le paiement de primes non versées. Mais au vu de l’ampleur des événements, il pourrait s’agir d’un leurre. Selon l’expert en stratégie territoriale Kalifara Séré, « l'unité Cobra a perdu plus de 30 de ses éléments dans l'embuscade de Gaskindé ». Lundi 26 septembre, un convoi de ravitaillement escorté par l’armée a été attaqué à hauteur de Gaskindé, près de Djibo, dans la région du Sahel. Selon un bilan encore provisoire, 11 militaires ont trouvé la mort.
Deux jours plus tard, Silas Keïta, ministre délégué en charge de la défense, déclarait que les assaillants avaient bénéficié de « complicités malheureuses ».
Des divisions au sein du pouvoir
Mais les tensions au cœur du pouvoir n’avaient jamais pris une telle ampleur. Car en huit mois, Paul-Henri Damiba, n’est pas parvenu à unifier l’armée à sa suite. « Des factions du MPSR [mouvement créé par Paul-Henri Damiba suite à son coup d’État, NDLR] réclament un changement de régime », pointe un autre haut gradé. Quatre courants s’opposeraient ainsi au sein de l’armée autour de quatre lieutenants-colonels : le président du Faso Paul-Henri Damiba, le chef d’état-major de la gendarmerie nationale Evrard Somda, le commandant de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers Naon Daba et le Commandant des Opérations du Théâtre National Yves Didier Bamouni. Kalifara Séré ajoute : « Les tentatives de ressouder un “bloc jeunes officiers” ont toutes échoué. Damiba tentait ces derniers jours de concilier ceux qui sont sur la même ligne que Goïta [à la tête de la junte militaire au Mali, NDLR] et les autres. »
En début d’après-midi, plusieurs centaines de personnes s’étaient réunies dans les rues de Ouagadougou. Ajoutant de la confusion à une situation extrêmement volatile, certains manifestants arboraient des drapeaux russes et burkinabés.