Dans son rapport de 322 pages, qui sera rendu public ce mercredi 1er février, la Fondation Abbé Pierre dresse un terrible état des lieux : la France compte 4,1 millions de mal logés et 330 000 sans abris.
"D’une crise à l’autre". C'est le titre du rapport de la Fondation Abbé Pierre qui ne cesse de tirer la sonnette d’alarme année après année sur le mal-logement en France. Après deux exercices marqués par la crise sanitaire, l’année 2022 par le conflit en Ukraine puis l’inflation qui a suivie, voilà que la crise du logement s’invite dans ce concert de pessimisme et de galères.
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"Les prix du logement sont devenus insoutenables pour une grande partie des ménages les plus modestes", soutient Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. Qui regrette "l’absence de politique publique d’envergure" et qui se manifeste par un indicateur d’une rare violence : "Le nombre croissant d’enfants à la rue".
Des loyers trop peu encadrés
Après Paris, puis Lille en 2017 et plus récemment, Lyon, Bordeaux, Montpellier, la mesure d'encadrement des loyers n'a pas encore apporté des réponses convaincantes pour lutter contre le mal-logement. A Paris, le nombre d'annonces non conformes a diminué de 35 à 31 %. "Les amendes et recours sont encore beaucoup trop faibles, l’État ne consacre que trop peu de moyens à sa mise en œuvre", regrette Christophe Robert. Il est par ailleurs nécessaire de généraliser cette mesure partout où la tension est forte "en particulier pour les volontaires comme Grenoble, Orly, Rennes, St-Denis de la Réunion, Strasbourg, Marseille et Bayonne".
4,1 millions de mal logés, 330 000 sans abris
Dans son rapport de 322 pages, les chiffres parlent d’eux-mêmes. 12,1 millions de personnes sont touchées à des degrés divers par la crise du logement. 4,1 millions de personnes sont mal logées et, parmi elles, 1 098 000 personnes sont privées de logement personnel.
La Fondation Abbé Pierre estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile. 643 000 personnes sont hébergées chez des tiers de manière très contrainte. Il faut ajouter les mal-logés : 2 819 000 personnes qui vivent dans des conditions de logement très difficiles et près d’un million en surpeuplement dit "accentué", c’est-à-dire qu’il manque deux pièces minimum au logement pour vivre à peu près décemment.
Précarité énergétique
Au-delà de la crise du logement, les ménages modestes sont en plus confrontés à la précarité énergétique. Plus de 3,5 millions de personnes ont eu froid car la dépense des logements représente, en moyenne, 35 % de leur revenu.
Un chiffre en hausse car les prix de l’immobilier continuent de flamber : "C’est d’autant plus vrai sur toutes les zones littorales où la pression démographique et touristique, l’augmentation des résidences secondaires ou des locations Airbnb réduisent l’offre de résidence principale", note Manuel Domergue, directeur des études de la fondation.
Moins de logements sociaux construits
À ce sujet, la Fondation Abbé Pierre redoute une crise majeure de l’immobilier. Le rythme de construction de logements sociaux a même fortement diminué, passant de 124 000 en 2016 à 95 000 en 2021 "et probablement autant en 2022, note Christophe Robert. Très loin de l’objectif gouvernemental de 150 000 HLM par an".
Des inégalités liées au genre ?
Les femmes et les hommes ne sont pas égaux dans l’accès au logement. Pire, les violences conjugales apparaissent dans le rapport comme "un facteur particulièrement aigu du mal-logement". Une femme est souvent doublement victime. De son mari ou compagnon violent d’abord puis, quand elle veut partir du domicile conjugal, des difficultés pour retrouver un foyer décent. Sur les 210 000 femmes victimes chaque année, 40 % de celles qui ont besoin d’un hébergement se retrouvent sans solutions (et 30 % avec enfants). Cela crée souvent des situations d’endettement et "l’accès au logement social relève rapidement du parcours du combattant en cas de séparation ou de divorce", souligne Manuel Domergue.
Les chiffres montrent que les femmes sont moins propriétaires. Un phénomène accentué par "une pratique discriminatoire fréquente de l’héritage à l’encontre des femmes". Conséquence, selon la Fondation, l’hébergement chez un tiers va engendrer des contreparties genrées comme la réalisation de tâches ménagères pouvant aller jusqu'au danger d'entrée en prostitution.
Ce n’est pas mieux sur les mises en chantiers et la construction de logements reste inférieure à 400 000 par an et le "choc de l’offre", promis par Emmanuel Macron en 2017 n’a jamais eu lieu. Pire, "certaines politiques publiques se retournent parfois contre les pauvres", rappelle Manuel Domergue. À l’instar de la baisse de 5 € des APL pour les étudiants ou contre l’occupation illicite de logements… Autant d'indicateurs qui font craindre que le situation ne s'améliore pas de sitôt pour les plus précaires.