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La préfecture annonce 40 000 manifestants alors qu’elle en avait comptabilisé 26 000, le 19 janvier. Si la CGT donne le chiffre de 205 000 participants, d’autres sources syndicales avancent le chiffre de 55 000 personnes. Les syndicats ont réussi leur pari de faire grossir le flot des manifestants.
Le point, à la mi-journée, sur ce deuxième jour de mobilisation contre la réforme des retraites
- D’Arras à Marseille en passant par Toulouse et La Réunion, les opposants à la réforme des retraites ont commencé à défiler mardi matin. A Paris, le cortège doit s’élancer place d’Italie à 14 heures. En tout, près de 250 rassemblements sont prévus à travers le pays.
- Douze jours après l’acte 1 de la contestation dans la rue – qui avait rassemblé entre un et deux millions de manifestants selon les sources –, les syndicats espèrent mobiliser au moins autant. « Si la première ministre n’a pas entendu le message, aujourd’hui on va le lui dire plus haut, plus fort et plus nombreux », a dit le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez.
- Une réunion intersyndicale doit avoir lieu mardi à partir de 18 heures au siège de FO pour décider des suites du mouvement, et probablement annoncer au moins une nouvelle journée de mobilisation.
- La grève est très suivie dans les transports avec une circulation des métros et RER « très perturbée » en région parisienne. Sur le réseau ferré, les trains circulent au compte-gouttes.
- Le ministère de l’éducation nationale comptabilisait à la mi-journée un taux d’enseignants grévistes de 25,92 % – dont 26,65 % dans le primaire et 25,22 % dans le secondaire (collèges et lycées), en recul par rapport au 19 janvier. Le SNES-FSU, premier syndicat du secondaire, chiffrait, lui, à 55 % le nombre de professeurs des collèges et des lycées en grève.
- Mardi matin, des lycéens se sont mobilisés, notamment dans une poignée d’établissements parisiens. Des étudiants étaient également mobilisés, comme au site Saint-Charles de l’université Aix-Marseille. A Paris, Sciences Po a été occupé dans la nuit par une cinquantaine d’étudiants.
- La CGT a annoncé 75 à 100 % de grévistes dans les raffineries et dépôts de TotalEnergies. Quant aux grévistes d’EDF, ils ont occasionné, dans la nuit de lundi à mardi, des baisses de charges dans les centrales électriques de « près de 3 000 MW » – l’équivalent de trois réacteurs nucléaires –, mais sans provoquer de coupures.
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Référendum sur les retraites : la motion du Rassemblement national va être la seule soumise au vote de l’Assemblée
La demande d’un référendum sur les retraites a peu de chances d’être adoptée par l’Assemblée nationale car seule la motion déposée par le groupe du Rassemblement national (RN) va être soumise au vote des députés. Ce au grand dam de la Nupes qui dénonce un « détournement démocratique ».
A l’initiative des communistes, les élus de gauche avaient déposé leur « motion référendaire » le 23 janvier, un jour avant les députés d’extrême droite. S’appuyant sur le règlement de l’Assemblée, les députés de la Nupes affirmaient qu’elle seule pouvait être mise au vote, le 6 février, premier jour des débats dans l’Hémicycle sur le projet très controversé de réforme des retraites.
Mais la conférence des présidents de l’Assemblée, en l’absence de jurisprudence, a décidé d’un tirage au sort. Et c’est le groupe du RN, emmené par Marine Le Pen, qui en est sorti gagnant, a-t-on appris de sources parlementaires.
« Scandaleux ! [La présidente de l’Assemblée] Yaël Braun-Pivet et la Macronie changent les règles de l’Assemblée pour offrir sur un plateau la motion référendaire au RN », s’est exclamée en réaction sur Twitter la cheffe de file des députés « insoumis », Mathilde Panot. « Ils choisissent une opposition de confort », a-t-elle ajouté devant la presse, en relevant que la motion Nupes avait, elle, une chance d’être adoptée.
« C’est un détournement démocratique », a abondé le patron du groupe communiste, André Chassaigne, indiquant que les partenaires de gauche allaient se concerter pour définir une « position commune » concernant la motion portée par le RN.
« Hors de question » de voter cette motion d’extrême droite, a déjà prévenu la présidente des députés écolos, Cyrielle Chatelain. Et, les députés socialistes ont acté qu’ils ne participeraient pas au vote.
La motion RN doit être soumise au vote en premier lieu, si tous ses signataires sont bien présents le 6 février. Si cela n’était pas le cas, il serait toutefois possible que la motion Nupes soit mise aux voix, là aussi avec la nécessité que tous les signataires soient présents.
Interrogée par la presse sur la contestation de la gauche, Marine Le Pen a affirmé que « les règles ont été appliquées ». Les élus Nupes « peuvent s’agacer contre la chance [du RN au tirage au sort], mais contre personne d’autre ». « Nous invitons toutes les oppositions, sans sectarisme, à voter ce texte », a ajouté Mme Le Pen. Le patron du groupe indépendant Liot, Bertrand Pancher, a dit qu’il se prononcerait pour.
Nadine Jaddus, retraitée à Saint-Nazaire : « Une reforme pas juste, tout simplement »
« La réforme des retraites voulue par Macron n’est pas juste, tout simplement », estime Nadine Jaddus, 64 ans, retraitée de la fonction publique, ayant travaillé au service des élections à Nantes. La militante de terrain, syndiquée à la CGT, passée aux Jeunesses communistes avant de rallier le Parti socialiste, a fait « le choix de partir avec des trimestres en moins il y a deux ans ».
« Je gagnais 1500 euros net par mois, égraine l’intéressée. Là, ma retraite est de 909 euros. Faut se débrouiller avec. Mais il était temps que j’arrête de travailler, je n’en pouvais plus. L’ambiance se dégradait, et je perdais de l’argent dans les déplacements depuis que j’avais décidé de m’installer dans la région nazairienne ».
La retraitée dit ne pas supporter « les éléments de langage » du gouvernement visant à faire passer la réforme, comme « les accusations faites aux syndicats de bordéliser le pays ou les messages laissant entendre qu’on est tous des fainéants ».
« Ne pas mieux prendre en compte la pénibilité est un scandale. Et le fait de demander aux femmes de faire un effort en travaillant plus longtemps, c’est tout bonnement inacceptable. Alors je manifesterai tout le temps qu’il faudra pour que ce projet soit retiré », argue-t-elle.
A Marseille, 40 000 manifestants se sont mobilisés mardi selon la préfecture, soit davantage que le 19 janvier
Le long cortège marseillais qui est arrivé sur le coup des 14 heures à la porte d’Aix, plus de trois heures après son démarrage, était bien plus dense que celui, déjà imposant, du 19 janvier. La préfecture de police des Bouches-du-Rhône annonce 40 000 manifestants alors qu’elle en avait comptabilisé 26 000 lors de la première journée de manifestation contre la réforme des retraites. Si la CGT donne le chiffre de 205 000 participants, d’autres sources syndicales estiment plutôt la mobilisation marseillaise autour de 55 000 personnes. Malgré un parcours différent, les syndicats ont en tout cas réussi leur pari de faire grossir le flot des manifestants.
Dans un cortège dont l’avant-garde était formée par les salariés de l’industrie du pourtour de l’Etang de Berre et les dockers du Port de Marseille, sous étendards CGT, soignants et enseignants suivaient en nombre dans le cœur du défilé.
Calots bleus ou verts sur la tête, les soignants de l’hôpital de Salon-de-Provence avaient fait le déplacement jusqu’à Marseille. « Nous étions six le 19 février, nous sommes quinze aujourd’hui », comptabilisait la secrétaire Force ouvrière (FO) de l’établissement hospitalier, Magali Rouillard. « Après la période Covid, les soignants prennent cela [cette réforme] comme une gifle. Ce n’est pas compliqué de mobiliser face à cette réforme que tout le monde trouve injuste, poursuivait la cadre de santé. Car pour un patient, être pris en charge pour une infirmière qui a 25 ans et une qui a 67 ans, ce ne sera pas la même chose. »
Denis Beaubiat, professeur de mathématiques au lycée Diderot de Marseille, avait lui fait ses propres statistiques, loin de celles du ministère de l’éducation : « À 10 heures, 53,6 % des enseignants du lycée étaient en grève » comptait-il. « Cette semaine, nous avons fait des assemblées générales dans notre secteur où l’on a senti que tout le monde était vent debout », abondait Françoise Julia, professeur de français et d’histoire-géographie dans le même lycée. « Beaucoup de camarades sont dans l’idée de reconduire la semaine prochaine » se projetait-elle déjà.
A Paris : « Nos cotisations, est-ce qu’on va en profiter ? », se demande un manifestant
Avenue des Gobelins à Paris, où les manifestants se sont rassemblés avant le départ du cortège, Benoît Fossoux a déjà quelques kilomètres dans les jambes. Ce chef de rang dans un palace parisien se rend au travail à pied depuis son domicile de Vitry, grève des transports oblige - une heure quarante de trajet -, et sera de la manifestation avant de prendre son poste, de 15 heures à 1 heure du matin.
Un métier pénible, il sait ce que c’est : horaires décalés, port de charges, vie de famille en pointillé et « reconversion obligatoire », envisage déjà le jeune homme de 36 ans. Alors, de son point de vue, les régimes spéciaux que le gouvernement veut abolir « ont une raison d’être ». Quant au report de l’âge légal de départ en retraite, il se demande : « Nos cotisations, est-ce qu’on va en profiter ? »
Ce père d’un enfant de 4 ans soutient la manifestation mais s’inquiète de l’image que donnerait du mouvement un blocage réel de l’économie, auquel appellent certains syndicats : « Les gens vont parler de prise d’otage, alors que la prise d’otages en question, elle n’est pas effectuée par ceux qui se battent pour leurs droits. »
« Il y a de l’argent qui part à foison », soutient-il, évoquant l’écart presque inconcevable entre le salaire d’un smicard et la fortune d’un milliardaire. Il ne pense pas nécessaire de modifier le régime des pensions, et déplore que les gouvernements entreprennent « réforme sur réforme pour exister ». Sa conclusion : « Si on ne marche pas aujourd’hui, c’est un message clair au gouvernement : tu peux continuer à tout casser. »
A ses côtés, Romain Lefèvre, 35 ans, est professeur en sciences et techniques médico-sociales, et prépare des élèves au bac pro d’éducateur spécialisé. « Moins politisé » que son camarade, il déplore autant que lui que l’exécutif n’en fasse pas davantage pour les emplois précaires et physiques. Il juge aussi la réforme injuste pour les femmes dont les carrières sont souvent hachées ou marquées par le temps partiel. Lui-même, qui a fait « papa au foyer » pendant sept mois, sait que c’est du boulot.
Chez EDF, 40,3 % de grévistes, contre 44,5 % le 19 janvier, d’après la direction
Le taux de grévistes chez EDF s’élevait mardi à la mi-journée à 40,3 % de l’effectif global, contre 44,5 % lors de la première journée de mobilisation contre le projet gouvernemental de réforme des retraites, a annoncé la direction du groupe énergétique.
Le mouvement social entraîne des baisses de charge (de production) sur les sites de production électrique d’EDF qui atteignaient à 11 heures, 3 210 MW, soit l’équivalent de trois réacteurs nucléaires. Le 19 janvier, lors de la première journée d’actions, la baisse de production avait été de 7 000 MW selon la CGT et de l’ordre de 5 000 MW selon RTE, le gestionnaire du réseau électrique français.
A Lyon, « si cette manif réussit, ça va faire bouger les choses »
« Si cette manif réussit, ça va faire bouger les choses, on est à un point de bascule » estime Jacques Cuingnet, 66 ans, ancien salarié de la vallée de la chimie, en rejoignant le cortège qui s’apprête à partir, sous le soleil hivernal. « Mes collègues qui atteignent la soixantaine sont très inquiets. Les entreprises les poussent dehors, à leur âge on ne trouve plus de boulot. On leur enlève des années d’espérance de vie » dit l’ancien délégué syndicat Force ouvrière durant 15 ans.
« Nous sommes là pour nos enfants, ils sont dans le privé, ce n’est pas facile pour eux. Cette réforme c’est pour remplir les caisses de l’Etat, ce n’est pas pour leur bien » ajoute à ses côtés Jacques Janin, 65 ans. L’enseignant à la retraite s’est organisé pour rejoindre le défilé, alors qu’il n’était pas venu au précédent, en espérant « une forte mobilisation ».
A Lyon, la manifestation s’annonce massive, à voir la foule qui s’amasse devant la Manufacture des Tabacs. Comparable à celle du 19 janvier, qui avait vu 30 000 manifestants rejoindre la place Bellecour. Sera-t-elle plus importante ? « Les adhérents se sont renseignés pour savoir les conditions pratiques de la grève, beaucoup plus que pour celle du 19 janvier » assure David Teyssier, 43 ans, référent départemental CFDT santé-socio.
Début de la manifestation à Paris
Plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont commencé à défiler mardi après-midi à Paris contre la réforme des retraites, avec à leur tête les responsables des principaux syndicats français.
Le cortège s’est élancé à 14 h 15 de la place d’Italie (13e arrondissement), emmené par les leaders de l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU) rassemblés derrière la banderole « Réforme des retraites : travailler plus longtemps, c’est non » qu’ils arboraient déjà le 19 janvier.
Le cortège de tête s’est lancé depuis le Boulevard de Port-Royal, suivi par le reste du cortège qui descend doucement le boulevard. Il doit rejoindre en début de soirée la place Vauban (7e arrondissement).
Dans le cortège parisien, Elise et Jonathan, enseignants, sont venus manifester pour s’opposer au report de l’âge de la retraite
Jonathan et Elise sont enseignants au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), en élémentaire. Elle a 44 ans et lui 43 ans. Ils sont syndiqués à la FSU et attendent le départ du cortège parisien sur l’avenue des Gobelins. Ils ont déjà participé aux manifestations de 2019 et à celle du 19 janvier contre la réforme des retraites.
« On a fait une simulation, explique Élise. Si je veux la retraite à taux plein, il faudrait que je travaille jusqu’à 68 ans ». Pourtant, elle « ne se voit pas avec des petits jusqu’à cet âge-là. »
Le couple, qui a trois enfants, dit ne plus rien comprendre aux histoires de trimestres et de bonus. Lors de la présidentielle, ils ont voté pour Jean-Luc Mélenchon puis Emmanuel Macron. Ils estiment que pour que les choses changent, il faudrait que les gens aillent voter, se sentent concernés. Surtout les jeunes.
Environ 16 000 manifestants à Quimper, selon les syndicats
Vers 13 heures, dans le centre-ville de Quimper, la manifestation prend fin là où elle avait commencé, place de la Résistance. La foule se disperse rapidement, la faim ayant raison de ceux qui n’avaient pas emporté leur déjeuner. Ils auront été environ 16 000, mardi, à défiler contre la réforme des retraites, selon Gilbert Gléonec, secrétaire de l’union départementale CGT. La police annonce, de son côté, 12 000 manifestants contre 13 000 le 19 janvier. Une mobilisation qui reste importante pour une ville de 63 500 âmes, où les retraités représentent près de 30 % des plus de quinze ans.
Avec 10 000 personnes à Morlaix, 30 000 à Brest (20 000 selon Ouest-France), 6 000 à Quimperlé (5 000 selon la police) et 2 000 à Carhaix (1 900 selon la police), le secrétaire CGT se félicite d’une mobilisation plus importante que le 19 janvier au niveau départemental. D’autant qu’au-delà des défilés, « ça bouge dans les boîtes aussi, certaines débrayent mais les salariés ne viennent pas forcément manifester ». Comme son collègue de la CFDT, Gilbert Gléonec est persuadé que les revendications des manifestants dépassent la seule réforme des retraites : « Les salaires, la perte de sens, les conditions de travail ou encore le management brutal : le niveau de mal travail en France est juste extrêmement élevé. »
Tassés autour du camion qui distribue sandwichs, bière et boissons chaudes, les élus syndicaux attendent la réunion intersyndicale nationale, mardi soir, pour décider de la suite à donner à cette mobilisation. « Le plus grand intérêt est de garder l’intersyndicale et l’unité », conclut Gilbert Gléonec.
Maud Renou, institutrice en Loire-Atlantique : « A 64 ans, on est usé. J’ai vu des collègues qui laissent couler tellement elles ou ils sont épuisés »
La pancarte de Maud Renou, 45 ans, institutrices à Blain, à 40 kilomètres au nord de Nantes, vaut pour programme : « Elisabeth, la borne, c’est 62 ans ». Un dessin montre aussi une enseignante marcher avec un déambulateur, en lançant gaiement à ses élèves : « Les enfants, suivez-moi : on va au gymnase ».
Ce cauchemar-là, l’idée de travailler deux années supplémentaires, pas question de le vivre, énonce Mme Renou : « J’aime mon métier mais je ne me vois pas faire classe à 24 enfants de 6 ans dans une vingtaine d’années, ni même avoir l’énergie de monter des projets comme je le fais aujourd’hui, dit-elle. À 64 ans, on est usé. J’ai vu des collègues qui laissent couler tellement ils ou elles sont épuisés ».
Selon l’enseignante - qui a voté pour l’écologiste Yannick Jadot lors du premier tour la présidentielle, avant de s’abstenir au second tour – Emmanuel Macron « n’a pas été élu pour mener cette réforme des retraites, contrairement à ce qu’il dit ». Elle ajoute : « Le chef de l’Etat a mon âge, je ne comprends pas comment il peut se montrer aussi méprisant envers les gens qui ont peu. Comment le gouvernement peut-il défendre que cette réforme est juste, alors que les femmes sont perdantes ? Et ce, alors que souvent, elles prennent des temps partiels pour s’occuper de leurs enfants quand ils sont en bas âge. »
Dans le cortège, Mélanie Le Blay, animatrice périscolaire de 28 ans à Saint-Nazaire, est sur la même longueur d’onde : « Se trouver face à une cinquantaine d’enfants qui se mettent à crier dans une salle, c’est quelque chose qu’il faut éprouver pour comprendre ce que c’est. Il y a une vraie pénibilité aussi dans nos métiers. Porter des enfants, changer les couches : je vois bien que pour des collègues plus âgées, c’est compliqué. Il y a la fatigue, et la patience qui parfois fait défaut. Tout le monde aspire à bosser convenablement mais il faut que les règles restent humaines ».
A Valenciennes, « vaut mieux perdre quelques heures de salaires maintenant plutôt que quelques années plus tard »
« On avait un peu peur qu’il y ait moins de monde, finalement ça a été. » Alors que les manifestants valenciennois se dispersent après une déambulation de deux heures dans le centre-ville, Christine, professeur des écoles de 60 ans, est rassurée. Ils étaient 5 000 mardi matin d’après la préfecture, et 10 000 selon la CGT. Les syndicats étaient présents en nombre. En revanche, jeunes, étudiants et salariés du privé ont fait défaut. La manifestation du 19 janvier avait rassemblé plus de 6 000 personnes.
« Perdre deux jours de salaire sur un mois, c’est compliqué pour certains », reconnaît Céline, professeure en école maternelle. « Vaut mieux perdre quelques heures de salaires maintenant plutôt que quelques années plus tard », rétorquait Dominique, 56 ans. Avec la réforme, cette professeure des écoles devrait travailler un an de plus pour partir à taux plein – « si j’ai bien compris parce que c’est flou » – et ça ne l’enchante pas vraiment : « On ne fait plus le même métier qu’il y a vingt ans. Non seulement on doit gérer des enfants-écrans, intolérants à la moindre frustration, mais aussi leurs parents, mécontents quand on réprimande leurs gamins ». Alors travailler à 64 ans, c’est non.
36,5 % de grévistes à la SNCF, contre 46,3 % le 19 janvier, selon les syndicats
De source syndicale, le taux de gréviste atteint 36,5 % à la SNCF mardi pour la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, contre 46,3 % le 19 janvier. La direction de la SNCF n’a pas souhaité confirmer ces chiffres.
La journée se déroule conformément aux prévisions de la direction.
Niveau circulation, seul un TGV sur trois circule en moyenne, quasiment pas d’Intercités et deux TER sur dix. Le mouvement de mobilisation affecte beaucoup le trafic des trains de banlieue en Ile-de-France, avec en particulier un train sur dix, en moyenne, sur les lignes C, D, E, J, L, N, P et R qui, pour la plupart d’entre elles, ne fonctionnent qu’aux heures de pointe et/ou sur une partie de leur parcours.
A Colmar : « Ce n’est pas ce monde que je veux laisser à mes enfants. »
Ils étaient environ 300 à manifester mardi matin devant le siège de la Collectivité européenne d’Alsace, à Colmar (Haut-Rhin), à l’appel de la CGT. Une mise en jambe pour certains, à l’image de Yacine Lemkiti, qui prévoit d’aller ensuite défiler à Mulhouse. A 28 ans, le cheminot se mobilise pour un sujet qui ne le concernera pourtant pas avant plusieurs décennies. « Mais si les jeunes ne s’engagent pas, qui va le faire ? Ce n’est pas ce monde que je veux laisser à mes enfants. » Secrétaire de la section CGT de Colmar, il est surpris par l’ampleur de la mobilisation. « Des plans de transport à zéro train, on n’avait jamais connu ça ! (...) C’est un mouvement de solidarité, tout le monde est impacté », note-t-il.
Véronique Haefflinger non plus ne se bat pas pour elle : à 58 ans, elle est jeune retraité de l’éducation nationale. Elle s’était déjà mobilisée à Mulhouse le 19 janvier. Aujourd’hui, elle est venue avec plusieurs amies. « La précédente réforme fait que je suis partie avec une décote de 9 %, après pourtant quarante années de services. Cette réforme est encore plus injuste. Le service public est en miettes, il n’est pas à l’image de la France des Lumières », dit-elle.
« Plus de monde » dans la rue que le 19 janvier, selon Berger (CFDT)
Le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, a affirmé mardi à la mi-journée qu’il y avait « plus de monde » dans la rue que lors de la dernière journée de mobilisation contre la réforme des retraites. « Tout ce qui nous remonte partout en France ce sont de très très gros chiffres, largement aussi bien voire mieux que le 19 janvier », a-t-il déclaré, tandis que son homologue de la CGT, Philippe Martinez, a jugé que les manifestants étaient « au moins aussi nombreux ».
« Ce qu’on attend maintenant c’est que le gouvernement rouvre le dossier et renonce aux 64 ans et se mette enfin autour de la table parce qu’il y a un rejet massif de sa réforme. Il faut qu’il entende », a plaidé M. Berger.
« Si le gouvernement et le président de la République continuent avec ce ton dédaigneux des mobilisations, il faudra durcir le ton, et la question des grèves reconductibles est posée », a pour sa part prévenu M. Martinez.
A Quimper : « la retraite, c’est comme la galette, on la veut complète »
A Quimper, c’est surtout contre le report de l’âge légal de départ et la fin des régimes spéciaux que Bruno, 58 ans, est remonté. Chauffeur routier, il voit s’éloigner, avec la nouvelle réforme, son droit à une pré-retraite à 57 ans. Or, « après, on est inapte à la conduite et on risque tous de finir notre carrière en longue maladie », anticipe-t-il. Alors, si le gouvernement maintient son projet, « on n’aura pas d’autre choix que de bloquer les routes », dit-il, assumant le risque de perdre son permis de conduire – sanction possible à l’encontre des routiers participant à des blocages. Bruno devait partir en retraite en mai.
Plus à l’arrière du cortège, qui semble s’étendre sans fin dans les rues du centre-ville quimpérois, Julie, 40 ans, défile avec ses collègues. Aide à domicile depuis vingt ans, elle souhaite que la pénibilité soit davantage prise en compte dans son métier. Tous les jours, elle porte ses patients, les transfère du lit au fauteuil, elle les lave et fait aussi le ménage. Aujourd’hui, elle s’est arrangée : elle a déplacé des heures et a cherché à se faire remplacer pour manifester. Sous un air de « la retraite, c’est comme la galette, on la veut complète » crié dans un mégaphone, Julie, Bruno et le cortège poursuivent leur route.
A Toulouse : « De toute façon, je crois que notre génération, vu l’état du monde, ne bénéficiera même pas d’une retraite »
A Toulouse, près de 80 000 manifestants déambulaient dans les rues selon Cédric Caubère, secrétaire général de la CGT Haute-Garonne, et 34 000 selon la police. Un chiffre en légère augmentation par rapport au 19 janvier.
Dans le cortège qui noircit les allées Jean-Jaurès, Clément (30 ans) et Caroline (37 ans) font partie de la petite délégation des « Airbusiens », comme on dit à Toulouse : tous deux sont ingénieurs chez Airbus. « En 2019, Macron disait que le report à 64 ans serait hypocrite, il serait bon qu’il s’en souvienne », lance Clément, qui précise : « j’ai voté contre Le Pen et pas pour Macron comme des milliers de Français, il le sait aussi ».
Pour Caroline, c’est tout l’avenir du régime des retraites qui est en danger : « Qui nous dit que dans dix ou quinze ans, on nous prolongera pas encore ? » Pour cette mère de deux enfants, « de toute façon, je crois que notre génération, vu l’état du monde, ne bénéficiera même pas d’une retraite ».
Clément préfère souligner le fait que « même si les conditions de travail sont bonnes à Airbus, il faut savoir qu’on fait des études longues. Cinq à six ans pour un ingénieur, donc on partira encore plus tard. Pour ma part, après avoir simulé ma carrière, ce sera 64 ans au lieu de 62 ans, c’est inacceptable ! »
Phillippe GagnebetLes archives sont cruelles. Emmanuel Macron s’en agace. Lorsque, invité de l’émission « L’Evénement », pour un grand entretien politique sur France 2, le 26 octobre 2022, la journaliste Caroline Roux lui rappelle ses mots de 2017 sur les retraites, le président de la République se fâche. « Ce n’était pas le même monde ! », se défend-il. A l’époque, le chef de l’Etat avait affirmé : « Je ne propose pas de décaler l’âge de départ à la retraite, ce n’est pas juste. Et les sacrifiés, ce sont ceux qui ont aujourd’hui autour de 60 ans ».
Depuis, explique-t-il, le Covid-19, la dette générée par le « quoi qu’il en coûte » et les effets de la guerre en Ukraine ont changé la donne. Assez pour justifier, six ans plus tard, une réforme préconisant, initialement, un départ à la retraite à 65 ans. La Terre tourne, c’est un fait.
Dans la même émission, le chef de l’Etat explique qu’« il n’y a qu’un moyen de faire, si on est lucide, c’est de travailler plus longtemps ». Bien qu’« ouvert » aux requêtes des partenaires sociaux tendant à assouplir sa copie, il « n’y a aucune hypothèse de travail où l’on peut s’arrêter à 63 ans à horizon de ce quinquennat », pointe-t-il. Trois mois plus tard, c’est pourtant cette hypothèse qui est retenue, avec un décalage progressif de l’âge de départ à la retraite de 63 ans en 2027, pour aller jusqu’à 64 ans en 2030, à moins qu’une clause de revoyure à la fin du quinquennat ne stoppe cet élan.
Lire aussi : Emmanuel Macron et les zigzags de la réforme des retraites
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A Saint-Nazaire : « J’ai envie de profiter de ma retraite, pas de mourir avant »
Au milieu d’un cortège réunissant près de 14 000 personnes à Saint-Nazaire (selon la police), Sébastien Angibaud, 49 ans, le dit tout net : il ne veut pas devoir continuer à travailler au-delà de 62 ans. « Le soir, quand je rendre chez moi, j’ai déjà les genoux fatigués, confie cet électricien qui travaille à la Sides (Société industrielle pour le développement de la sécurité), usine de construction de véhicules d’incendie et de secours. Même si d’autres font sans doute un métier encore plus pénible que le mien, je sens que ça tire dur dans le corps. On passe la journée à monter et descendre de camions, et nos positions de travail ne sont pas faciles. »
L’homme, en couple et père d’une enfant, gagne 1 800 euros net par mois et pâtit déjà d’une carrière tronquée du fait de contrats précaires « alignés en début de carrière dans le domaine socioculturel ». « J’ai envie de profiter de ma retraite, pas de mourir avant, décoche-t-il. Autour de moi, je vois bien qu’à partir de 62 ans, il y a des gens qui commencent à ne pas être bien ».
M. Angibaud, qui a voté pour Yannick Jadot (écologiste) au premier tour de la présidentielle avant de voter Emmanuel Macron au deuxième tour, se fend de la mise au point suivante : « Macron a gagné l’élection, c’est vrai, le score est là. Mais il n’a pas le droit d’oublier le contexte de cette élection. J’aurais bien aimé ne pas voter pour lui, mais j’ai estimé qu’il n’y avait pas le choix. En tout cas, ma voix n’était certainement pas pour son programme sur les retraites. »
A Valenciennes : « Ca bougera pas. Pour qu’ils retirent la réforme, il faudrait faire la grève tous les jours… »
A Valenciennes (Nord), le cortège s’étend sur plus d’un kilomètre. Selon les observateurs présents aux manifestations de mardi et du 19 janvier, l’affluence serait toutefois moindre qu’il y a deux semaines. La préfecture a annoncé 5 000 personnes, contre 6 000 le 19 janvier.
Dans le cortège de la CFTC, on est clairement moins nombreux. « Certains ont préféré aller à Maubeuge, Lille et Paris », explique David, 53 ans, vendeur chez Carrefour. Deux ans de travail en plus ? Impossible selon lui : « j’ai déjà mal aux genoux quand je mets les articles en rayon ». Il manifeste donc, mais sans espoir. « Ca bougera pas. Pour qu’ils retirent la réforme, il faudrait faire la grève tous les jours… Comme en Mai 68 ou comme les mineurs qui lâchaient pas l’affaire eux… Là, les vacances vont arriver. Après on en parlera plus. »
Le 19 janvier, Anaïs, professeure dans une école primaire à Denain, était accompagnée de dix-sept de ses collègues de l’école. Aujourd’hui, ils ne sont que deux. « Ils ne voulaient pas reperdre une journée de salaire ». Avec la réforme, Anaïs a fait ses calculs : elle devra attendre 67 ans si elle veut partir avec une retraite à taux plein et toucher 1 800 euros par mois. Mais à cet âge, « les cris, les pleurs… j’aurai plus la patience, ni l’énergie ».
Le contexte
- Deuxième round. Galvanisés par le succès de leur première mobilisation contre la réforme des retraites – 1,12 million de manifestants selon les autorités, plus de deux millions d’après les organisateurs –, le 19 janvier, les huit principaux syndicats appellent à manifester « encore plus massivement », mardi 31 janvier. Nos journalistes et photographes vous racontent cette journée depuis Quimper, Toulouse, Valenciennes, Paris ou Marseille.
- D’Arras à Marseille en passant par Toulouse et La Réunion, les opposants à la réforme des retraites ont commencé à défiler mardi matin. A Paris, le cortège doit s’élancer place d’Italie à 14 heures. En tout, près de 250 rassemblements sont prévus à travers le pays.
- Douze jours après l’acte 1 de la contestation dans la rue – qui avait rassemblé entre un et deux millions de manifestants selon les sources –, les syndicats espèrent mobiliser au moins autant. Le numéro un de la CFDT, Laurent Berger, a affirmé à la mi-journée qu’il y avait « plus de monde » dans la rue que le 19 janvier. Une réunion intersyndicale doit avoir lieu mardi à partir de 18 heures au siège de FO pour décider des suites du mouvement, et probablement annoncer au moins une nouvelle journée de mobilisation.
- La grève est très suivie dans les transports avec une circulation des métros et RER « très perturbée » en région parisienne. Sur le réseau ferré, les trains circulent au compte-gouttes. De source syndicale, le taux de gréviste atteint 36,5 % à la SNCF mardi pour la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, contre 46,3 % le 19 janvier. La direction de la SNCF n’a pas souhaité confirmer ces chiffres.
- Le ministère de l’éducation nationale comptabilisait à la mi-journée un taux d’enseignants grévistes de 25,92 % – dont 26,65 % dans le primaire et 25,22 % dans le secondaire (collèges et lycées), en recul par rapport au 19 janvier. Le SNES-FSU, premier syndicat du secondaire, chiffrait, lui, à 55 % le nombre de professeurs des collèges et des lycées en grève. Mardi matin, des lycéens se sont mobilisés, notamment dans une poignée d’établissements parisiens. Des étudiants étaient également mobilisés, comme au site Saint-Charles de l’université Aix-Marseille.
- La CGT a annoncé 75 à 100 % de grévistes dans les raffineries et dépôts de TotalEnergies. Chez EDF, 40,3 % de grévistes, contre 44,5 % le 19 janvier, d’après la direction. Ces derniers ont occasionné, dans la nuit de lundi à mardi, des baisses de charges dans les centrales électriques de « près de 3 000 MW » – l’équivalent de trois réacteurs nucléaires –, mais sans provoquer de coupures.
- Elisabeth Borne s’est montrée ferme dimanche, affirmant sur Franceinfo que le report de l’âge légal de départ à 64 ans (au lieu de 62 ans actuellement) n’était « plus négociable ». Alors que le texte est très critiqué sur ses conséquences pour les femmes, la première ministre s’est, en revanche, dite ouverte à une discussion sur une meilleure utilisation des trimestres « éducation » et « maternité » obtenus au cours de leurs carrières. La fermeté affichée par Mme Borne a fait bondir les oppositions.
- L’examen du projet de loi a commencé lundi en commission. Plus de 7 000 amendements ont été déposés, essentiellement par la gauche, qui entend faire durer les débats, tandis que la droite cherche à faire monter les enchères, consciente que ses voix seront cruciales pour adopter la réforme. Le gouvernement doit aussi composer avec sa propre majorité, car certains députés La République en marche renâclent à voter le texte en l’état.
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