Novembre, de Cédric Jimenez, France, 1h40
Cédric Jimenez aime s’inspirer du réel pour épouser avec gourmandise la fiction. Et un certain sens de la virtuosité. Dans « BAC Nord », elle n’avait pas suffi à effacer le malaise d’un récit raconté uniquement du point de vue des policiers. De retour avec « Novembre », une œuvre qui suit la traque des terroristes des attentats du 13 Novembre par la sous-direction antiterroriste, le cinéaste signe un thriller percutant, exaltant le collectif et le service public.
Quelles règles vous êtes-vous assignées en vous engageant dans la réalisation de « Novembre » ?
La règle principale est de ne jamais être au-dessus du sujet. Bizarrement, ce n’est pas si facile pour un réalisateur ni même pour des acteurs d’être vraiment au service du film. Et de ne jamais mettre de l’emphase dans les personnages et dans la mise en scène. Je me suis privé de faire des plans qui auraient été beaux cinématographiquement, certainement accomplis et réussis. Mais je restais avec ma caméra à l’épaule près des personnages. C’est la mise en scène qui devait servir le sujet.
« C’est un service protégé, avec des dossiers sensibles, classés secret-défense. En même temps, il faut être fidèle à son organisation et à son fonctionnement sans percuter l’instruction judiciaire par des révélations potentiellement dangereuses »
Qu’implique la mise en scène d’un film au cœur de la Sdat, la sous-direction antiterroriste ?
Elle implique d’essayer de reconstituer des choses que les gens ne savent pas, sans toutefois dévoiler ce qu’ils ne doivent pas savoir. C’est un service protégé, avec des dossiers sensibles, classés secret-défense. En même temps, il faut être fidèle à son organisation et à son fonctionnement sans percuter l’instruction judiciaire par des révélations potentiellement dangereuses. Il est aussi important pour moi de dire que c’est un service de la fonction publique dont la responsabilité est terrible. Il doit évidemment garder sa fonction démocratique, en respectant l’instruction judiciaire et les lois. J’ai évidemment ma liberté de dire ce que j’ai envie de dire. La sous-direction antiterroriste est une police très particulière. Ce sont un peu des moines-soldats. Ils prônent la discrétion.
Pourquoi avoir mis en lumière tant de personnages ?
Ce service travaille énormément sur le collectif. Ils sont très interdépendants les uns des autres. C’est vraiment un travail de fourmi. Pendant ces cinq jours, la plupart ont dormi au bureau. Ils ont vécu ensemble avec un seul objectif. Les pistes sont si nombreuses et l’enquête si tentaculaire qu’évidemment elle concerne tout le service. Il était important de représenter cet esprit collectif.
Ce collectif est pluriculturel, pluriethnique et plurigénérationnel…
C’est la réalité du service. J’ai rencontré plein de profils très différents. J’ai vu des jeunes, des blacks, des rebeus. Il n’y a pas de désir représentatif particulier mais un désir de fidélité à la réalité.
Que vous a inspiré la tentative de récupération de votre film « BAC Nord » par l’extrême droite ?
De la désolation. Les partis qui l’ont récupéré sont à l’opposé de mes convictions. Ils cristallisent tout leur discours sur une reconstitution très fictionnelle. Que le RN s’en serve comme discours de campagne met en lumière son vide politique et son absence totale d’arguments. Quand des candidats à la présidentielle prennent pour argument un film, on est rendu au ras des pâquerettes.
Cette polémique vous a-t-elle conduit à une remise en question sur votre responsabilité de cinéaste ?
Bien sûr. Je serais bien idiot de ne pas me poser de questions dans ces moments-là. Une polémique prend si des gens réagissent. Mais ce n’est pas une raison pour ne plus faire de films qui nous mettent en danger. Il faut aussi savoir prendre du recul, travailler et savoir pourquoi on fait les choses. Je sais pourquoi j’ai fait « BAC Nord ». Je suis un enfant des quartiers Nord. J’ai grandi dans une cité. Ma mère a été toute sa vie fonctionnaire à la caisse d’allocations familiales. Je n’ai pas dit dans « BAC Nord » : les flics sont des gentils ; en face, ce sont des méchants. Le film est beaucoup plus complexe. J’avais envie de raconter l’histoire de ces policiers telles qu’ils l’ont vécue. Cela ne veut pas dire je suis d’accord avec tout ce qu’ils font ou tout ce qu’ils sont. Je continuerai à faire des films tels que je les ressens. S’ils font réagir, c’est que, quelque part, ils ne sont pas inintéressants. Vu d’où part la polémique, elle me navre, me désole, m’agace et me gâche aussi une partie du plaisir du succès du film.
Vous parlez des policiers mais n’est-ce pas plutôt la représentation des habitants qui pose problème ?
Mais il n’y a pas de représentation des habitants des quartiers Nord dans « BAC Nord », mais celle des réseaux de drogue, donc d’une centaine de personnes. On m’a reproché de leur mettre des cagoules mais ils sont cagoulés pour ne pas être reconnus et dénoncés par les habitants. S’ils sont torse nu, c’est parce que, à Marseille, beaucoup de gens le sont. Il n’y a pas, comme j’ai pu l’entendre, de volonté d’en faire des animaux. Je prends une des cités les plus chaudes de Marseille pour la représenter telle qu’elle est. Je pourrais parler des heures de la solidarité dans les cités où l’on mange les uns chez les autres, de ma mère qui passait son temps à aider tout le monde à faire des dossiers. Mais ce n’était pas le sujet de mon film. Le sujet, c’est pourquoi trois policiers se retrouvent incarcérés après avoir dérapé en tentant de démanteler un réseau de drogue. On m’a reproché de ne pas avoir mis de contre-point de vue. Si les personnages en avaient eu, ils n’auraient pas réagi de cette manière.
Craignez-vous une polémique similaire avec « Novembre » ?
Avec ces sujets, il y a une possibilité. Mais on ne va pas arrêter de faire, de filmer ou d’écrire parce que les sujets sont sensibles. Ce qui m’importe, c’est de ne pas blesser les gens concernés, les victimes, ceux qui ont aidé l’enquête. Le reste ne m’appartient pas.
« La première fonction de la République et de la démocratie est d’aider leurs concitoyens. Cette fonction publique est au centre du film. Le manque de moyens que peuvent avoir la Sdat, la police, l’éducation, la santé se ressent»
Que raconte la séquence où des agents de la Sdat interrogent des victimes ?
Je ne voulais pas me servir de la souffrance des victimes pour un quelconque pathos. Je ne voulais pas non plus éviter leur présence puisque le film parle de l’enquête et adopte son point de vue. Les enquêteurs sont rentrés en contact avec des victimes puisqu’elles étaient les témoins oculaires. J’ai essayé de les filmer de la façon la plus pudique qui soit avec des images lointaines ou des focales obstruées. Cela me paraissait la seule façon d’intégrer les victimes avec respect.
Vous avez décidé de ne pas représenter les attentats.
La reconstitution serait obscène et malvenue. En plus de la raison morale, le film adopte le point de vue de ceux qui ne sont pas sur le terrain et doivent se regrouper le plus vite possible dans leurs locaux pour démarrer l’enquête. C’est aussi la raison pour laquelle je ne montre pas Abaoud. Les flics ne l’ont jamais vu, si ce n’est mort. Je n’allais pas le montrer en mille morceaux sous les décombres.
Il y a quelque chose de l’ordre de la grosse machine et à la fois d’artisanal dans leur façon de travailler…
La France est un pays dont la fonction publique est absolument extraordinaire. Mais elle manque parfois de moyens. La première fonction de la République et de la démocratie est d’aider leurs concitoyens. Cette fonction publique est au centre du film. Le manque de moyens que peuvent avoir la Sdat, la police, l’éducation, la santé se ressent. Je crois à la démocratie, à la République dans les hôpitaux, les écoles. Je ne suis pas un capitaliste de droite. J’aime payer des impôts pour financer cette fonction publique. Quand elle dysfonctionne, il faut le dire. Quand elle fonctionne, aussi.