Bolsonaro n’est pas une parenthèse. C’est un moment de l’histoire brésilienne engagé depuis plusieurs décennies qui continuera de peser sur la politique.
Anaïs Fléchet, Maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris-Saclay Olivier Compagnon, Professeur d’histoire à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine
Le bilan est amer. Déjà malmenées par le coup d’État parlementaire contre Dilma Rousseff en 2016, les institutions démocratiques ont été fragilisées par la remise en cause du système électoral, par une militarisation de l’appareil d’État ou encore par des assassinats politiques impunis (notamment celui de Marielle Franco). Alors que la lutte contre la corruption des élites politiques avait été l’un des slogans de la campagne bolsonariste de 2018, les pratiques clientélistes et les détournements de fonds publics se sont multipliés. Le 7 septembre 2022, l’appel lancé à ses partisans de manifester à Brasilia arme en poche a laissé planer le spectre d’une contestation des résultats des élections et d’un possible assaut du Capitole à la brésilienne.
Dans un contexte international tendu, la potion néolibérale du ministre de l’Économie, Paulo Guedes, n’a pas permis de retrouver une croissance forte et durable. La pauvreté a augmenté et les immenses inégalités se sont encore creusées. Sur le plan environnemental, le démantèlement de dispositifs de protection et l’appui inconditionnel à l’agrobusiness, moteur de la déforestation, ont fait de l’Amazonie, mais aussi du Pantanal ou du Mato Grosso des espaces martyrs. La négation de la pandémie de Covid par l’État fédéral a conduit à un bilan démographique désastreux, notamment parmi les populations indiennes et afro-descendantes. Incapable de conquérir une légitimité au-delà des frontières brésiliennes, Bolsonaro, plus isolé que jamais depuis la défaite électorale de Trump et le nouveau virage à gauche de l’Amérique latine, a aussi contribué à un déclassement du Brésil sur la scène internationale.
Une simple parenthèse avant des lendemains qui chantent alors ? On aurait tort de le penser. Bolsonaro est le produit d’un temps long où l’ombre des militaires, qui ont dirigé le pays d’une main de fer entre 1964 et 1985, pèse structurellement sur le politique. Il est aussi le symptôme d’un régime, issu de la Constitution de 1988, qui ne permet jamais l’émergence de majorité parlementaire stable et soumet tous les acteurs politiques aux obscures négociations et aventureuses compromissions. Comme en France ou en Italie, où l’essor de l’extrême droite relève d’une dynamique processuelle de plusieurs décennies ; le bolsonarisme est un moment de plein droit dans l’histoire brésilienne. Désormais allié à la droite conservatrice et confronté à un contexte économique qui n’a plus rien à voir avec celui des années 2000, Lula devra composer avec cet électorat radical, attaché aux valeurs traditionnelles de la famille et de la religion, souvent lié aux églises évangélistes et prompt à dénoncer les ennemis de l’intérieur qu’incarneraient les communautés LGBTQIA +, les artistes contestataires et tant d’autres.
Pour se faire par soi-même une idée de la personnalité du président sortant, il suffit de lire un petit florilège de certaines de ses déclarations.
Hervé Théry, Directeur de recherche émérite au CNRS, professeur invité à l’université de São Paulo
Un bilan complet du mandat de Jair Bolsonaro est en train d’être établi par un groupe d’experts et sera publié prochainement dans la nouvelle formule de la revue Problèmes d’Amérique latine. En attendant de pouvoir s’y reporter, il nous a paru opportun, pour que les lecteurs se fassent par eux-mêmes une idée de sa personnalité, de laisser la parole à Jair Bolsonaro lui-même. Un premier florilège de ses déclarations avait été recueilli en 2019 dans le n° 56 de la revue Outre-Terre.
« En réalité, la cavalerie brésilienne a été très incompétente. La cavalerie américaine a été bien plus compétente, elle a décimé les Indiens et de nos jours ce problème ne se pose plus dans son pays. » « L’erreur de la dictature a été de torturer au lieu de tuer. » « Pinochet aurait dû tuer plus de monde. » « J’ai eu quatre fils, la cinquième fois j’ai eu un moment de faiblesse et ça a été une fille. » « Je ne pourrais pas aimer un fils homosexuel. Je ne serai pas hypocrite : je préférerais qu’un de mes fils meure dans un accident plutôt que de le voir arriver avec un moustachu. Pour moi il serait alors vraiment mort. » « Dans ces couples homosexuels 90 % des garçons adoptés seront homosexuels et vont se prostituer, sans aucun doute. » « Dieu avant tout. Pas question d’État laïc. L’État est chrétien et que la minorité qui est contre s’en aille. Les minorités doivent s’incliner devant les majorités. » « Je suis allé dans un quilombo (1) à Eldorado Paulista. Ces Afro-descendants, ils ne font rien ! Je pense qu’ils ne sont même plus bons à procréer. » « Trump fait un excellent gouvernement dans son pays. » « Je ne te viole pas parce que tu ne le mérites pas » (en décembre 2014, à la députée fédérale Maria do Rosário).
Un second ensemble de déclarations a été recueilli sur le site Poder360.com, sous le titre « Deux ans de Covid : rappelez-vous 30 phrases de Bolsonaro sur la pandémie », en signalant à chaque date le nombre de morts du Covid dans le pays. Le 9 mars 2020 (0 décès) : « Le pouvoir destructeur de ce virus est surdimensionné. Peut-être même qu’il est exagéré pour des raisons économiques. » Le 28 avril 2020 (5 050 décès) : « Et alors, je suis désolé. Que voulez-vous que j’y fasse ? » Le 2 juin 2020 (31 199 morts) : « Nous sommes désolés pour tous les morts, mais c’est le destin de tout le monde. » Le 17 décembre 2020 (184 827 décès) : « Si tu prends le vaccin et deviens un alligator, je n’ai rien à voir avec ça. » Le 5 janvier 2021 (197 777 décès) : « Le Brésil est fauché. Je ne peux rien faire. » Le 17 mai 2021 (436 537 décès) : « Il y a des idiots qui, même aujourd’hui, restent à la maison. » Le 8 septembre 2021 (584 421 décès) : « Le Covid a juste raccourci leur vie de quelques jours ou de quelques semaines. » Le 22 janvier 2022 (622 801 morts) : « Je suis profondément désolé, mais c’est un nombre négligeable. » Au 26 septembre 2022, le Brésil avait atteint un total de 34 638 288 cas de Covid et de 685 835 morts de cette maladie.