PODCAST - Le podcast Le Moment Philo est consacré aux grandes questions de la philosophie. Dans cet épisode, Aziliz Le Corre revient sur le temps objectif et la durée subjective du temps. Mais y a-t-il vraiment des minutes “plus longues” que d'autres? Henri Bergson, mais aussi Thomas Mann ont un avis sur la question.
Y a-t-il des minutes plus longues que d'autres ? [BERGSON]
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Vous souvenez de ces heures de cours, où peu inspirés par ce que racontait votre professeur de philosophie, vous regardiez longuement par la fenêtre ? Revenant à l'horloge qui trônait au-dessus du tableau noir, vous vous rendiez compte, désespérés, qu'à peine cinq minutes venaient de s'écouler… Vous aviez le sentiment de toucher du doigt un morceau d'éternité.
À l’inverse vos cinq minutes de pause cigarette se dissipaient aussi vite que celle-ci se consumait…
Y a-t-il alors, des minutes plus longues que d'autres ?
Dans LaMontagne magique, Hans Castorp, ce fade bourgeois allemand dépeint par Thomas Mann, philosophe :
Le temps n'a aucune « réalité ». Lorsqu'il vous paraît long, il est long, et lorsqu'il vous paraît court, il est court, mais de quelle longueur ou de quelle brièveté, c'est ce que personne ne sait. »*
Thomas Mann
Ce à quoi son cousin Joachim Niemssen réplique :
Comment donc ? Non. Puisque nous le mesurons. Nous avons des montres et des calendriers, et lorsqu'un mois est passé, il est passé pour toi et pour moi, et pour nous tous. »*
Joachim Niemssen
Joachim ne confondrait-il pas le temps scientifique et le temps vécu ? C'est en tout cas ce que lui aurait rétorqué Bergson !
Dans ses Essais sur les données immédiates de la conscience, sa thèse de doctorat présentée en 1889, Bergson oppose durée de la conscience et temps objectif.
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Selon lui, le temps objectif est le temps mesuré grâce au mouvement des objets dans l'espace : l'aiguille sur le cadran de votre montre ou le balancement du pendule de grand-maman.
La durée, quant à elle, est subjective. Elle est le sentiment vécu de la continuité des évènements successifs.
La durée toute pure est la forme que prend la succession de nos états de conscience quand notre moi se laisse vivre »*
Henri Bergson, Essais sur les données immédiates de la conscience [1889], PUF, 2010, p. 74-75.
La durée est donc un flux continu, que le temps objectif mesure et découpe en instants.
Si la différence vous échappe encore, servez-vous un café et plongez-y un morceau de sucre… C'est ce qu'a fait Bergson, dans un verre d'eau, devant les élèves du Collège de France !
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Si vous posez un chronomètre, vous pourrez savoir que ce morceau de sucre a mis une minute ou moins à fondre.
Mais vous, seul devant votre tasse, à attendre que le sucre se dissolve, vous expérimentez un temps intime, qui ne sera le même ni pour vous ni pour moi.
Votre impatience à avaler votre gorgée de caféine ne vous laissera pas la même impression que votre attente consentie à laisser votre expresso refroidir.
Finalement, le temps est peut-être ce qui échappe à toute mesure.
Vous y penserez désormais, chaque matin, devant votre café fumant, au cours de votre journée, pendant vos pauses cigarettes ou quand une réunion vous paraîtra un peu trop longue...