On entend beaucoup dire aujourd’hui que nous connaissons tous quelqu’un qui a contracté le covid, ce qui n’était pas le cas lors de la première vague. A bien y regarder, nous avons aussi souvent parmi nos proches, nos voisins ou nos collègues, quelqu’un qui présentait une autre pathologie. Pathologie qui n’a pas été suivie ou détectée à temps.
Appelons-le Jean. Jean avait 70 ans et un sacré tonus. Cet été, alors que les hôpitaux reprenaient leur souffle après avoir contré le premier assaut de la pandémie, un cancer du pancréas a été diagnostiqué. Le crabe a emporté Jean en six semaines.
Rien ne dit que ce cancer aurait pu être neutralisé. Mais un diagnostic posé à temps aurait en revanche donné au patient un « capital chance » très différent.
Aujourd’hui, on estime que 86 cancéreux sur cent sont pris en main. Cette donnée couvre les neuf premiers mois de l’année. C’est mieux qu’à la fin du printemps dernier lorsque seulement un patient atteint du cancer sur deux était pris en charge.
D’une vague pandémique à l’autre, le retard pris dans les soins apportés aux patients souffrant de pathologie lourde a le plus souvent été réduit. Mais à quel prix ? Des malades sont décédés faute d’être traités à temps. D’autres ont survécu dans une souffrance peut-être accrue. Une surmortalité est attendue dans les prochaines années. Quant aux hôpitaux, ils n’ont pas connu de trêve durant l’été, précisément en raison de l’afflux tardif des cas non-covid. C’est un personnel fatigué qui s’est retrouvé dans le rôle du pompier face à la nouvelle flambée du virus. La qualité des soins prodigués a pu en souffrir.
Ce constat a un prolongement éthique. Le docteur Vincent Donckier qui s’exprime dans nos colonnes se demande ainsi s’il faut « réserver les forces médicales pour opérer une personne présentant un cancer avancé qui a 10 % de chance de survie à cinq ans ou pour opérer une personne âgée qui ne peut plus marcher et sera totalement revalidée si une prothèse de hanche était placée ? ». La réduction des ressources mises à la disposition de la médecine générale en raison du coronavirus a ainsi ravivé le questionnement sur la définition et la gradation des priorités, questionnement relevant davantage du débat de société que de la décision du seul corps médical.
Sur le terrain, la pandémie a projeté les hôpitaux dans une réalité inédite. Leur structure organique, leur personnel et leurs finances font face à un énorme bouleversement. On ne pourra donc pas faire l’économie d’un bilan sur la manière dont ils ont fonctionné depuis mars dernier. Il ne suffira pas d’acter les erreurs du passé. Mais de se projeter dans l’avenir.
C’est notre rapport à la médecine et à ses objectifs qui devra être redéfini. Pour se préparer à d’autres cataclysmes. Et pour que plus personne ne soit laissé sur le bord du chemin.