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Archie, 12 ans, est décédé. Où commence l’acharnement thérapeutique déraisonnable? Quand est-on mort?

Une carte blanche de Jean-Louis Vincent, professeur de soins intensifs de l’Université libre de Bruxelles (ULB), membre titulaire de l’Académie royale de médecine de Belgique, ancien président de la Société belge de soins intensifs, ancien président de la European Society of Intensive Care Medicine, ancien président de la World Federation of Societies of Intensive and Critical Care Medicine.

La mort était considérée dans les temps anciens comme l’arrêt de la respiration (le souffle de vie), identifié par la buée qui disparaît sur le miroir placé devant le visage. La découverte du rôle du cœur a déplacé le critère respiratoire vers celui de l’arrêt de la fonction cardiaque, identifié par la cessation du pouls. L’arrêt cardiaque ne signifie plus toujours la fin de la vie, puisque les techniques modernes de réanimation cardiopulmonaire peuvent parfois restaurer l’activité cardiaque et rendre une vie de qualité… tant que le cerveau n’a pas trop souffert. Finalement, la mort est devenue l’arrêt définitif des fonctions cérébrales, le coma profond irréversible.

Les parents d’Archie Battersbee ont été cruellement confrontés à la réalité de la mort cérébrale. Cet enfant britannique de 12 ans avait souffert de lésions cérébrales majeures à la suite d’un épisode d’asphyxie provoquée dans le cadre d’un défi TikTok le 7 avril dernier. Le cœur d’Archie a cessé de battre ce samedi 6 août, lorsque le support de soins intensifs a été arrêté… alors qu’Archie était déjà mort depuis plusieurs semaines. Le cœur d’un mort s’est arrêté.

Une réalité morbide

Les parents d’Archie ne pouvaient pas accepter cette évidence de mort cérébrale. On peut aisément comprendre leur désarroi face à une situation on ne peut plus triste, injuste, dramatique. Qui plus est, la vue, le toucher d’Archie ne "collait" pas à cette réalité morbide : le cœur bat régulièrement, la tension artérielle semble bonne, la peau est chaude… Il y a bien un tube dans la gorge connecté à un respirateur, mais les poumons respirent calmement à chaque insufflation de la machine. Le jeune garçon semble profondément endormi, trop endormi pour réagir aux stimulations.

La question est lancinante : "Docteur, dites-moi qu'il va se réveiller…" Avec toujours la même réponse, invariablement négative. Le maintien du respirateur et des médications pour soutenir la circulation n'avait plus de sens. Dans une logique anglo-saxonne, les parents se sont désespérément tournés vers la justice pour tenter d'interdire l'arrêt pourtant inévitable du support cardiorespiratoire, mais le juge a naturellement suivi l'avis des spécialistes médicaux.

La mort cérébrale ne doit pas être vue comme une forme particulière de mort. Il n’y a qu’une mort, mais elle n’est plus définie par l’arrêt du cœur. Nous avons développé des techniques élaborées qui permettent de soutenir les organes lorsque le cerveau est irrémédiablement atteint. Sans ce respirateur, sans les médicaments perfusés, le cœur se serait arrêté depuis longtemps. La mort cérébrale était inconnue jusqu’au développement des techniques médicales modernes. L’expérience récente du Covid-19 a illustré le recours possible aux assistances extracorporelles pour suppléer les poumons et le cœur.

Qu’on ne se méprenne pas : la mort cérébrale est bien reconnue aujourd’hui. Officiellement depuis 1968, et les critères précis, basés sur l’examen clinique attentif, l’électroencéphalogramme et surtout l’imagerie cérébrale ne posent pas question : il n’y a plus de circulation cérébrale.

Le don d’organes

La mort cérébrale entraîne immanquablement la question de don d’organes. Puisque la fonction des organes est généralement préservée, on peut considérer la transplantation de ces organes pour aider d’autres personnes à continuer à vivre - ou mieux vivre. Le corps entier est devenu inutile.

La mort, c’est la perte définitive de l’activité cérébrale cognitive. Si on admet cela, on peut accepter l’arrêt d’un traitement chez toute personne dont le cerveau est tellement altéré qu’il n’y aura jamais plus de vie relationnelle et donc plus de qualité de vie. Dans ces cas où tous les critères de mort cérébrale ne sont pas présents, même s’il y a encore une certaine activité cérébrale, elle est devenue insuffisante pour espérer la récupération d’une certaine activité relationnelle. Alors la poursuite des traitements est questionnée. Après tout, nos contacts sociaux sont les fondements de notre vie humaine.

Les situations possibles sont multiples : délabrements crâniens permettant le maintien d’une faible circulation cérébrale, certains accidents vasculaires cérébraux massifs, des hémorragies cérébrales étendues… La limite entre la vie et la mort devient floue…

Où commence l’acharnement thérapeutique déraisonnable?

Ces cas de "quasi-mort cérébrale" peuvent être vus comme très différents, puisque les critères précis de mort cérébrale complète ne sont pas rencontrés, mais aussi très semblables, puisque tout espoir de récupération d’une vie relationnelle est perdu. Ici la question est de savoir où commence l’acharnement thérapeutique déraisonnable… une question d’appréciation individuelle. Qu’aurait voulu notre parent, notre ami ? Quoi que certains puissent prétendre, les directives anticipées ne peuvent répondre à la question, puisque chaque situation est différente et trop complexe pour être prévue.

Si une décision d'arrêt thérapeutique est prise, et pas avant, et si certains organes sont fonctionnels, la transplantation d'organes peut être ici aussi proposée aux proches. On parle alors de don d'organes à cœur battant, ou Donation after Circulatory Death (DCD), à côté de la Donation afte r Brain Death (DBD) en cas de mort cérébrale. La question n'est pas d'être "pour" ou "contre" ces possibilités, mais d'offrir à chaque personne l'option de décider en fonction de ses idées et convictions personnelles. De ne pas laisser passer l'opportunité lorsqu'elle se présente, d'aider les autres. À la réflexion, c'est un peu la survie des organes après la mort de l'individu…

Le visage de la mort a changé

L’évolution de la médecine rend ces questions relatives à la mort plus "vivantes" que jamais. Le visage de la mort a changé. Qu’est la mort après tout ? Quels en sont les critères, et en quoi ces critères peuvent être différents pour chacun d’entre nous ? Question compliquée, qui mérite réflexions et discussions.

En fait, ces questions nous taraudent depuis la nuit des temps. En retournant aux premières lignes de ce texte, dans la Bible, la mort est vue comme un endormissement profond, jusqu’à l’arrêt du souffle de vie, entraînant la séparation entre le corps qui reste ici et le cerveau (ou l’âme) qui s’en va là-bas…