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"La France abandonne le journaliste syrien Hussam Hammoud. J'en ai honte"

Une tribune de Noé Pignède, journaliste, correspondant au Moyen-Orient.

Hussam Hammoud, 30 ans, est journaliste syrien. Depuis 2018, il collabore avec de nombreux médias internationaux, dont la Libre Belgique. Réfugié en Turquie après avoir fui sa ville de Raqqa, il risque d’être expulsé vers son pays d’origine, où le régime de Bachar al-Assad assassine ses opposants. À travers des messages de menaces, les cellules de Daesh toujours présentent sur le territoire turc, lui promettent le même destin. Mais malgré cette situation extrême, la France a pour l’instant refusé de le lui accorder un visa humanitaire.

Cher Hussam Hammoud,

Nous avons parfois collaboré dans les colonnes de ce journal. Ensemble, nous avons tenté de raconter les soubresauts du conflit qui ravage ton pays, le destin d’un peuple meurtri par onze années d’une guerre qui ne fait plus la Une, le quotidien des Syriens abandonnés de tous. Mais aujourd’hui, c’est seul que je t’écris cette lettre pour exprimer ma honte.

Ma honte, en tant que journaliste, d’abord. Sans tes contacts, ta connaissance du terrain et ta plume, beaucoup de mes publications sur la Syrie n’auraient jamais vu le jour. Pour nous informer, tu as souvent mis ta vie en danger. Lorsqu’un journaliste occidental comme moi rentre chez lui après une mission dans une zone dangereuse, il laisse derrière lui des professionnels comme toi, qui n’ont pas la chance d’avoir un passeport qui les protège. Ai-je eu tort de te faire courir ce risque ?

Ma honte en tant que Français, ensuite. Grâce à tes informations précieuses sur les exactions commises par Bachar al-Assad et l’État islamique contre ton peuple, tu as contribué à la lutte contre le terrorisme en Europe. Ton nom a même été cité durant le procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Ce travail te vaut aujourd’hui de vivre reclus, caché, sous la menace permanente. Mais plutôt que de reconnaitre ta contribution à la guerre contre le terrorisme, la France a pour l’instant choisi d’ignorer tes appels à l’aide. À ta demande de visas humanitaires pour toi, ta femme et tes deux enfants, tu n’as reçu de notre ambassade à Ankara qu’un mail générique de refus, sans aucune explication. La « patrie des droits de l’Homme » vous abandonne à votre sort. Si même toi, qui as prouvé ton courage et ton adhésion aux valeurs de notre république, n’es pas digne de recevoir notre protection, qui peut encore prétendre au droit d’asile en France ? Traqué par Daesh, menacé par la dictature sanguinaire de Bachar al-Assad, défenseur du droit à une information libre et vérifiée, source de nos services de renseignements … Quelle case n’as-tu pas cochée pour que la France refuse de t’accueillir ?

Ma honte en tant qu’ami, enfin. Nous avons presque le même âge. Je t’avais promis que nous passerions le réveillon du Nouvel An ensemble à Paris, autour d’une bonne bouteille de champagne. Il semble que nous devions patienter encore un peu. Mais je garde toujours l’espoir de pouvoir tenir cette promesse.

Je sais que tes enfants avaient commencé à étudier le français. Ils pensaient reprendre enfin leur scolarité, après des années privés d’éducation ; un établissement de la région parisienne était même déjà prêt à les accueillir. Sèche leurs larmes et encourage-les à continuer d’apprendre notre langue. Dis-leur que sur le fronton de cette école, ils pourront bientôt lire notre devise : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Des principes que les autorités françaises déshonorent en refusant de vous protéger, mais que nous, citoyens, continuerons de défendre jusqu’à ce que vous viviez en sécurité.

Fraternellement,

Noé Pignède