France
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50 % prétérition, 50 % fan-zone

Tandis que j’écris ces lignes, l’équipe de football uruguayenne, la Celeste, quitte le terrain après son premier match (0-0 contre la Corée du Sud). Quand vous me lirez, sans doute sera-t-elle en train de se préparer à affronter le redoutable Portugal. C’est peut-être un détail pour vous, comme le chantait France Gall, mais pour d’autres ça veut dire beaucoup…

Pourtant nous ne parlerons pas de la Coupe du monde. Les leçons de morale déferleraient sur notre tête dès que nous mentionnerions son existence, et le trac que m’inspire le parcours de l’équipe de mon cœur serait vécu par trop de lecteurs comme synonyme de soutien aux bafoueurs de droits de l’homme (pardon de préférer la formulation d’origine à la contemporaine « droits humains »…) et aux inconscients profiteurs de ressources naturelles.

Si j’avais le courage d’affronter les foules d’imprécateurs spontanés qui accusent, requièrent, jugent et appliquent les peines, je décrirais volontiers la joie de soutenir une équipe quelle qu’elle soit (même si, bien sûr, aucune ne mérite mieux notre ferveur que la grande, la vaillante Celeste), d’en connaître la plupart des joueurs, de sortir avec eux du tunnel obscur pour se laisser éblouir par la lumière du grand stade, d’entendre sur le ciment le claquement lourd des crampons qui l’instant d’après chercheront appui dans la terre généreuse de la pelouse, et de chanter… Chanter l’hymne de son pays… En l’occurrence je ne le chante pas, parce que l’Uruguay n’est pas mon pays, que je ne parle pas espagnol et qu’en plus c’est un hymne compliqué, mais je souris pendant que chantent les joueurs à gorge déployée, et je pense à mes petits-fils qui ont sûrement peint leur visage de bleu et de blanc comme ils le font tous les quatre ans, et chantent aussi, revêtus de leur beau maillot avec ses quatre étoiles, cadeau de leur « autre » grand-père.

Non, pas un mot de la Coupe du monde. Cela ferait de nous les vils complices de la Fifa et autres fieffés corrompus. Dommage, j’aurais aimé discuter de tant de choses avec vous. Justement des hymnes, tiens ! J’avais les larmes aux yeux en voyant les joueurs iraniens garder le silence pendant que retentissait celui de leur patrie. Ce n’était pas la première fois ! Depuis le début du soulèvement en Iran, les plus grands sportifs iraniens bravent régulièrement les autorités en saisissant les meilleures occasions de montrer leur dégoût de la répression et leur solidarité avec ceux et celles qui la subissent. Leur courage a été beaucoup salué, c’est normal. Mais quel sacrifice aussi… Même en mettant de côté les risques courus, j’imagine mon chagrin, la déchirure intime, si mon pays se comportait de telle sorte que je préfère me taire plutôt que chanter le chant qui nous unit sous ses couleurs, le chant historique qui depuis plus de deux siècles, quand il retentit, fait de nous un seul homme.

Croyez-moi, ça me brûle d’en parler, de cette Coupe du monde. J’aurais bien voulu partager avec vous tant d’autres réflexions ! Par exemple sur le bâillon symbolique qu’ont formé de leur main sur leur bouche les joueurs allemands avant d’affronter l’équipe japonaise. De leur propre main bâillonnés, parce qu’empêchés par la Fifa de porter un brassard contre l’illégalité de l’homosexualité dans le pays hôte, au lieu de s’en tenir à porter un signe plus consensuel du refus de toute discrimination. Le brassard qui se voulait de la concorde est donc devenu celui de la discorde. Je me demande pourtant : aucune discrimination n’amenant rien de bon, certaines doivent-elles être isolées du lot, et plus que d’autres considérées comme le crime des crimes ?

Si ma priorité n’avait été de ne pas faire de vagues, si je m’étais laissée aller à parler de la Coupe du monde, j’aurais suggéré que, puisqu’on pensait tant de mal du Qatar, mieux aurait valu renoncer à y aller. Ça se fait. En 1980, l’URSS ayant envahi l’Afghanistan, les États-Unis ont décidé d’un boycott intégral des JO de Moscou, les rendant, par l’absence des athlètes américains, très insignifiants. Quatre ans plus tard, les Soviétiques n’envoyaient bien entendu aucun athlète à Los Angeles. Cette année, la France, tenante du titre, avait plus que tout autre pays le pouvoir d’affadir par son absence le piment de la Coupe et limiter son impact. On a voulu y aller ? Alors jouons sans retenue ! Jouons comme des enfants qui shootent les pieds nus dans une boîte de Pepsi, chantons comme des coqs perchés sur leur tas de fumier, bondissons sur nos canapés en renversant le paquet de chips, pleurons quand perd notre équipe et célébrons quand elle gagne. Et puis retournons à nos moutons, qui ont bien autant que les buts besoin d’être valeureusement gardés.

Mais ne parlons pas de la Coupe du monde, si on ne veut pas avoir à s’en justifier. Ou alors, prenons garde comme ici de n’en parler qu’entre fans de confiance…