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À la MEP ou à la Bourse de commerce, l’objectif subversif de Boris Mikhaïlov

La guerre menée par la Russie contre l’Ukraine donne une coloration tragique aux expositions de Boris Mikhaïlov, grande figure de la photographie ukrainienne. La Maison européenne de la photographie (MEP), à Paris, consacre une rétrospective à son œuvre, des années soviétiques à la révolte du Maïdan. Sur deux étages, plus de huit cents photos, présentées en une vingtaine de séries, retracent un demi-siècle de création artistique, entre documentaire, journal intime et travail conceptuel. Entre tendresse, provocation et ironie mordante.

Si aujourd’hui la plupart des lieux photographiés par Boris Mikhaïlov, essentiellement à Kharkiv, sa ville natale, sont sous les décombres, son travail, au-delà de sa valeur documentaire, donne à ressentir le quotidien des Ukrainiens depuis 1965. Avec l’art comme arme de subversion, il dénonce l’échec du communisme comme celui du capitalisme sauvage qui a suivi l’effondrement de L’URSS.

Assumant une esthétique banale, triviale voire trash comme miroir de la société, il revendique « un étrange inachèvement comme principe esthétique » et une résistance visuelle à l’iconographie officielle. Principes qui sont ceux de l’école de photographie de Kharkiv, dont Boris Mikhaïlov est une figure clé.

Codes visuels de l’imagerie soviétique subvertis

Âgé aujourd’hui de 83 ans et installé à Berlin, Boris Mikhaïlov est né dans une famille d’ingénieurs, à Kharkiv, qu’il n’a cessé de photographier. Devenu ingénieur lui-même, il profite de l’appareil photo destiné à documenter l’entreprise pour réaliser des nus de sa femme. Découvert par le KGB, il est immédiatement renvoyé pour pornographie.

Révolté, il décide alors de se consacrer à la photographie. Dès ses premières séries, il joue avec les codes visuels de l’imagerie soviétique pour les subvertir : la série Red (1965-1978) compile une centaine d’images où la couleur rouge est présente, juxtaposant une médaille, une parade militaire avec des tomates, des ongles vernis, une culotte ou des boutons d’acné, confrontant des images de la propagande soviétique avec celles du quotidien.

Autre série, Yesterday’s Sandwich, présentée sous forme de diaporama, est née d’un hasard : alors qu’il a jeté négligemment un tas de diapositives sur un lit, deux d’entre elles se sont collées l’une sur l’autre, créant une troisième image inédite. L’artiste décide de reproduire cet accident dont le fruit est une succession de compositions surréalistes : une jeune femme endormie sur une prairie mangée par les flammes, une oreille géante au milieu des passants…

Crise identitaire

« Comme toute œuvre dissidente, la série regorgeait d’allusions et de sous-entendus. L’ambivalence de chaque image faisait curieusement écho à mes origines – mon père est ukrainien et ma mère juive. L’antisémitisme virulent qui sévissait à l’époque a provoqué chez moi une crise identitaire particulièrement douloureuse », précise Boris Mikhaïlov dans le passionnant catalogue édité pour l’occasion.

Dans les séries suivantes, Luriki (1971-1985) et Sots Art (1975-1986), l’artiste ajoute des couleurs kitsch à des photographies noir et blanc issues d’albums de famille ou d’images de propagande. Les couleurs pop acidulées trahissent l’artifice du décorum soviétique. Dualité de la vie soviétique, sens métaphorique, dialectique des contradictions sont des clés essentielles pour comprendre l’œuvre de Boris Mikhaïlov dans toute sa profondeur.

Sans oublier son travail d’inspiration plus documentaire, moins ironique mais tout aussi critique, commencé dès la fin des années 1960 avec la série Black Archive (1969-1978), traque clandestine des scènes de la vie quotidienne, By the ground (1991), vues en plongées aux teintes sépia sur les sans-abri, le dérangeant Case History (1997-1998), portraits sans fard en grand format des laissés-pour-compte de la société postcommuniste. Et surtout At Dusk (1993), au format panoramique, qui poursuit la documentation de la dégradation du pays dans la débâcle post-soviétique.

La couleur nostalgique sépia a été remplacée par un bleu cobalt. Ce bleu évocateur du crépuscule convoque les souvenirs traumatiques de son enfance, la couleur des nuits d’effroi pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le contexte actuel, voir l’intégralité des 110 tirages de cette série, exposés à la Bourse de commerce, est déchirant.

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De l’usine à la photographie

1938 : Naissance dans une famille d’ingénieurs à Kharkiv en Ukraine.

1957 : Boris Mikhaïlov suit des études d’ingénieur, puis trouve un emploi dans une usine.

1966 : Commence à s’intéresser à la photographie et rejoint le photo club de Kharkiv.

1968 : Décide de faire de la photographie son activité principale, après son renvoi de l’usine.

1971 : Fonde avec sept autres photographes le collectif Vremya, à l’origine de l’École de photographie de Kharkiv (KSOP), un mouvement dissident, rétif à l’esthétique et à l’idéologie du réalisme socialiste.

1996 : Passe une année à Berlin grâce à une bourse.

2007 et 2017 : Représente l’Ukraine à la Biennale de Venise.