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À Meudon, le CNRS brade ses bijoux de famille

Une belle opération immobilière, c’est quand même plus important que tous ces professeurs Tournesol qui passent leur vie à courir après des chimères ! Résumée ainsi, l’histoire de la vente du site de Meudon du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) fournit un exemple, symbolique et brutal, de la hiérarchie des priorités au plus haut niveau de la macronie. Des locaux historiques, fonctionnels – et selon toute apparence, bradés sur ordre du gouvernement, pour permettre à deux promoteurs de lancer une opération juteuse, sans le moindre égard ni pour les recherches qui s’y effectuent, ni pour celles et ceux (chercheurs, ingénieurs, techniciens...) qui les mènent.

Au cœur des Hauts-de-Seine, le site meudonnais de Bellevue tire son nom de son bâtiment principal, un ancien hôtel particulier cédé en 1919 à l’Office des Inventions, ancêtre du CNRS, par la célèbre danseuse Isadora Duncan. C’est la seule partie, propriété de l’État, qui reste aujourd’hui occupée par des personnels administratifs du CNRS. On leur a dit qu’ils seraient chargés d’y mettre en œuvre un projet de médiation scientifique... qui reste encore à définir. Tout les autres bâtiments, qui à la mi-février abritaient encore différents services du premier organisme français de recherche publique, sont désormais déserts, en attente du lancement des travaux d’un ensemble immobilier de plus de 200 logements, dont une petite cinquantaine labellisés « logement social ». Le tout au profit des promoteurs Vinci Immobilier et Kaufman & Broad.

« On n’a pas eu le temps de s’organiser, tout a été fait dans l’improvisation »

Il y avait là « trois services importants », détaille Dina Bacalexi, ingénieure de recherche et élue du SNTRS-CGT au conseil d’administration du CNRS : « Le service central des concours qui, comme son nom l’indique, organise tous les concours, aussi bien externes qu’internes ». Il y avait également la direction technique de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU), pas la plus importante numériquement parlant mais « avec de grosses machines, parce que ce sont eux qui réalisent les études techniques qui conditionnent la réussite de grands projets d’observation, que ce soit dans l’espace, les milieux marins ou encore géologiques ». Enfin, on trouvait à Bellevue, CNRS Images, la mémoire visuelle de l’organisme et aussi sa vitrine, avec des photos et des films exigeant parfois des conditions de conservation complexes.

Tout cela, donc, a disparu de Meudon, en moins d’un mois. Les personnels, une cinquantaine de personnes, mais aussi le matériel – dont de lourdes machines-outils – ont été priés de déguerpir, dans des conditions de précipitation qui ont laissé des traces. « On nous avait dit qu’on aurait le temps de préparer ce déménagement, mais on n’a pas eu le temps de s’organiser, tout a été fait dans l’improvisation », témoigne un agent, qui souhaite rester anonyme mais évoque « un déchirement : on a laissé des collègues là-bas... » Travailler – parfois depuis de nombreuses années – sur ce site chargé d’histoire constituait pour nombre d’entre eux une fierté, « une source d’inspiration » précise notre témoin. À présent, « on repart à zéro, avec une certaine amertume. Il faut se reconstruire », en tenant compte dans de nombreux cas de l’éloignement puisque les services déménagés ont été relocalisés à Gif-sur-Yvette (Essonne), qui plus est dans des locaux provisoires, en attendant que les travaux soient terminés dans les locaux définitifs. À la fin de l’année, si tout va bien. En attendant, une partie de l’outil de travail ne peut plus être utilisé, « des opérations doivent être retardées. Le temps qu’on a perdu, on ne le regagnera pas. On a maltraité les personnels. »

Le gouvernement ordonne une vente à un prix inférieur de 8 millions à l’estimation

Pourtant cette vente était dans les tuyaux depuis 2013. Reportée, à nouveau envisagée, elle restait vaguement en perspective mais « sous forme de rumeurs de couloir », raconte Dina Bacalexi, qui resitue cette opération dans un contexte où il existe « une tendance du CNRS à vendre ses bijoux de famille pour combler ses besoins de financement ». En 2021, les choses redeviennent concrètes : le Centre a fait estimer le site à une valeur de 46,7 millions d’euros. Vinci Immobilier et Kaufman & Broad sont sur les rangs, mais le prix est trop élevé à leur goût : ils proposent 8 millions de moins (38,7 millions d’euros). Le CNRS refuse. Les syndicats, qui voient la menace se préciser, tentent de trouver une alternative : ils se mettent en contact avec l’Observatoire de Paris, dont les célèbres coupoles sont à 5 minutes de Bellevue, qui manque de place, et a des projets communs avec l’INSU...

Peine perdue : au conseil d’administration du 16 décembre 2022, les élus se voient communiquer une note de la Direction immobilière de l’État (que l’Humanité a pu consulter). Sans se prononcer sur le prix, celle-ci exige que la vente se fasse : « En ce qui concerne le site de Meudon-Bellevue, l’action devra être menée à bien », au nom de la politique immobilière de l’État qui « se concentre sur la rationalisation du parc, notamment via la libération d’emprises devenues inutiles ». En janvier, c’est le coup de grâce : la direction du CNRS fait état d’une lettre, venue du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui lui intime l’ordre de vendre… au prix exigé par les promoteurs ! Un document que personne, y compris les syndicats malgré leurs demandes, n’a pu consulter. Mais qui a conduit à l’approbation de la vente, le 10 février, et à ce déménagement précipité, avant même que la justice se prononce sur le recours déposé par les organisations syndicales – finalement rejeté le 14 mars.

L’austérité budgétaire pousse l’organisme à brader son patrimoine

En intégrant le coût du déménagement – à la charge de l’organisme – et divers autres frais, cette vente « représente pour le CNRS une perte de recettes de près de 15 millions d’euros, par rapport au prix initial » mesure Dina Bacalexi. Ce qui ne passe pas, reprend l’ingénieure, c’est que cela se produit « au moment où on tire la langue pour travailler, où on doit faire tout un dossier pour justifier la moindre dépense et où on subit des budgets d’austérité ! » Exemple : l’État ne compensant pas entièrement la hausse des dépenses d’énergies, le CNRS va devoir trouver 15,5 millions d’euros pour couvrir celles-ci. Le budget 2023, en hausse de 5,5 % alors que l’inflation atteint 6,2 %, sera aussi le premier où tous les départs en retraite ne seront pas remplacés. À ce rythme, la vente des « bijoux de familles » ne pourra pas très longtemps masquer la misère dans laquelle l’État plonge lui-même la recherche publique.