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À quoi joue Macron avec Poutine?

Temps de lecture: 5 min

Les médias russes n'ont pas attendu longtemps pour reprendre la déclaration du président de la République française sur TF1, samedi 3 décembre 2022. «La future architecture de sécurité européenne doit inclure des garanties de sécurité pour la Russie –Macron», a titré l'agence de presse officielle russe Tass, dès le lendemain, sans mentionner le fait qu'Emmanuel Macron a aussi promis que la France allait «livrer des armes supplémentaires» à Kiev.

Volonté de dialogue avec le Kremlin

Le président français a par ailleurs ajouté: «Un des points essentiels, ce que le président Poutine a toujours dit, c'est la peur que l'OTAN vienne jusqu'à ses portes, c'est le déploiement d'armes qui peuvent menacer la Russie. Ce sujet fera partie des sujets pour la paix.» Il semblait ainsi reprendre à son compte les accusations de Vladimir Poutine selon lesquelles l'invasion de l'Ukraine serait due à de supposées menaces de l'alliance militaire transatlantique à ses frontières.

Ces derniers mois, Emmanuel Macron a multiplié les propos polémiques en voulant afficher une volonté de dialogue avec le Kremlin. Il y a eu sa remarque sur les «peuples frères» russe et ukrainien, en réponse aux accusations de «génocide» du président américain Joe Biden alors que l'Ukraine découvrait les horreurs de Boutcha. Puis son appel à «ne jamais céder à la tentation ni de l'humiliation, ni de l'esprit de revanche» face à la Russie. Ou encore sa déclaration sur le fait que la France pourrait ne pas répliquer à une frappe nucléaire russe sur l'Ukraine, vite corrigée.

Macron a balayé les critiques d'un revers de main en affirmant qu'il ne faudrait pas «essayer de voir des polémiques là où il n'y en a pas». Sa déclaration lui a pourtant valu une nouvelle volée de bois vert. «De la part de qui la Russie doit-elle recevoir des garanties de sécurité, selon le président français?», s'est demandé le vice-ministre polonais des Affaires étrangères Marcin Przydacz, qui a jugé que Macron avait commis «une erreur».

Indignations à l'Est

Le vice-Premier ministre letton Artis Pabriks l'a accusé de «tomber dans le piège du récit de Poutine selon lequel l'Occident et l'Ukraine sont responsables de la guerre, tandis que la Russie serait une victime innocente». La Première ministre estonienne Kaja Kallas a répondu pour sa part qu'elle «n'offrirait rien à la Russie», ajoutant que la Russie «pouvait toujours retourner à ses frontières».

La déclaration d'Emmanuel Macron a aussi déclenché de vives réactions en Ukraine. «Davantage que des garanties pour la Russie, le monde a besoin de garanties pour la sécurité contre les intentions barbares de la Russie de Vladimir Poutine», a tancé Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le secrétaire du Conseil de défense et de sécurité nationale d'Ukraine, Oleksiy Danilov, a quant à lui fustigé une «diplomatie de carpette», qualifiant la Russie d'État «terroriste» et «meurtrier».

«Dans cette interview, le président dit aussi que la France soutiendra les Ukrainiens jusqu'à ce qu'ils récupèrent l'intégralité de leurs territoires. Il a fait le parallèle entre la Crimée et l'Alsace-Lorraine, ce qui est quand même une comparaison assez puissante», tient à rappeler le député Benjamin Haddad, porte-parole du groupe Renaissance, qui vient d'obtenir la présidence du groupe d'amitié France-Ukraine à l'Assemblée nationale.

Accusé de complaisance

«Ce qui est surprenant, c'est de faire la comparaison avec le discours d'Emmanuel Macron aux Nations unies en septembre dernier», remarque néanmoins Michel Duclos, ancien diplomate, conseiller spécial à l'Institut Montaigne et auteur d'un article intitulé «La guerre en Ukraine: comment la Russie a perdu l'Occident», publié cet automne par la revue Commentaire.

Dans ce discours, alors considéré comme une clarification bienvenue de sa position après de précédentes critiques, le président français s'en était pris aux États dits «non alignés», qui refusent de condamner l'agression russe. «Ceux qui se taisent aujourd'hui servent malgré eux, ou secrètement avec une certaine complicité, la cause d'un nouvel impérialisme, d'un cynisme contemporain qui désagrège notre ordre international sans lequel la paix n'est pas possible», leur avait-il lancé.

«Davantage que des garanties pour la Russie, le monde a besoin de garanties pour la sécurité contre les intentions barbares de la Russie.»
Mykhaïlo Podoliak, conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky

«Il reproche aux pays du Sud exactement ce que les Européens lui reprochent de faire lui-même: être complaisant vis-à-vis de la Russie», constate Michel Duclos. «Les déclarations de Macron sont souvent prises en dehors de leur contexte», juge pour sa part Benjamin Haddad. «Mais il faut en effet que l'on soit conscients dans notre communication stratégique de la façon dont ces propos peuvent être mal interprétés, tirés de leur contexte et utilisés pour nous faire dire l'inverse de ce qu'on veut dire», admet-il. Le député souligne que la France est malgré tout présente sur le flanc est de l'OTAN avec le commandement d'une mission en Roumanie et des troupes déployées en Estonie.

Une position ancienne

«Emmanuel Macron dit depuis longtemps que la Russie va rester sur le continent européen et qu'il faudra bien construire un dialogue de sécurité avec les Russes, et donc prendre en compte leurs impératifs de sécurité. On ne pourra pas y couper», assure Benjamin Haddad.

Déjà en août 2019, alors qu'il recevait Vladimir Poutine au fort de Brégançon, le président français avait en effet souhaité «réinventer une architecture de sécurité et de confiance entre l'Union européenne et la Russie», allant jusqu'à affirmer que «la Russie est une grande puissance des Lumières. […] Elle a sa place dans l'Europe des valeurs auxquelles nous croyons.»

Quelques jours plus tard, il avait imputé l'échec de ce rapprochement à «des États profonds de part et d'autre», reprenant ainsi à son compte un concept complotiste selon lequel les dirigeants élus ne sont pas ceux qui seraient réellement aux manettes.

Dès 2017, Emmanuel Macron annonçait aussi sa volonté de coopérer avec la Russie pour combattre le terrorisme en Syrie, remettant sur la table une idée qui a déjà fait long feu, Poutine étant plus pressé de s'en prendre aux groupes rebelles opposés à Bachar el-Assad qu'aux djihadistes. «Est-ce qu'il cherche notre affaiblissement ou notre disparition? Je ne le crois pas», avait alors affirmé Macron au sujet de son homologue russe. En 2020, la ministre des Armées Florence Parly avait admis que ces tentatives de rapprochement n'avaient pas produit de résultats tangibles.

Pour Michel Duclos, avec cette énième récidive du président français, «c'est bien la nature de la menace russe qui est en cause. Le point de vue des pays d'Europe centrale, c'est qu'il y a une menace russe structurelle, qu'ils avaient mieux identifiée que les Français, et que la seule garantie de sécurité que veut la Russie, c'est en quelque sorte une garantie d'insécurité pour les Européens. La Russie voudrait qu'on lui octroie un droit de sujétion sur ses voisins dans ce qu'elle considère comme sa zone d'influence.»

Vision de long terme

Dans le cadre de sa rencontre avec le président des États-Unis Joe Biden le 1er décembre, Emmanuel Macron a réaffirmé qu'il souhaitait s'entretenir prochainement avec Vladimir Poutine. Son homologue américain a pour sa part déclaré être «prêt à parler à Poutine» si ce dernier «cherche un moyen de mettre fin à la guerre. Il ne l'a pas encore fait.»

Pour Benjamin Haddad, le président français se positionne sur le long terme. «Son analyse de la sécurité européenne, c'est que les Américains se replient sur eux-mêmes et pivotent vers la Chine, et qu'on doit donc se prendre en charge et apprendre à vivre avec la Russie. Ce qui ne veut pas dire pour autant céder à l'impérialisme russe», poursuit-il.

«Le problème, c'est que le président français ne respecte pas les priorités. Pour l'instant, la priorité, c'est de soutenir l'Ukraine. Macron aime se projeter dans l'avenir, en visionnaire. Peut-être qu'un jour, il aura raison. Mais en attendant, il prend des risques en matière de crédibilité», juge pour sa part Michel Duclos.