France
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À quoi sert le projet de loi sur l’immigration ?

Depuis deux décennies, la situation s’aggrave. En instrumentalisant l’ordre public, cet énième texte s’inscrit dans la logique du bouc émissaire.

Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH)

Depuis vingt ans, la répression à l’égard des étrangers n’a cessé de s’aggraver rendant de plus en plus précaire la situation de certains de ceux qui vivent sur notre territoire. Un étranger, cela peut être un Allemand, un Ukrainien, un Tunisien, un Afghan et bien d’autres ressortissants du monde entier, mais les uns et les autres sont traités bien différemment quand ils arrivent en France. Pire, ce sont ceux qui ont le plus besoin de protection, ceux qui fuient leur pays d’origine quelle qu’en soit la motivation (politique, économique, climatique) dont les visas sont refusés, qui sont refoulés aux frontières et qui sont maltraités quand ils arrivent à rejoindre notre pays. Un nouveau projet de loi sur l’immigration a été déposé. Il se heurte à l’opposition unanime de l’ensemble des organisations qui travaillent sur ces questions.

À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion.

Pour faire adopter son texte, Gérald Darmanin a besoin, quoi qu’il en coûte, du soutien des LR. Il a enfourché le cheval de l’invasion migratoire et alimente le fantasme de l’étranger délinquant. Sur une telle base, toutes les régressions peuvent se justifier : expulsions, multiplication des obligations de quitter le territoire (OQTF) et des interdictions de revenir sur le territoire (IRTF), y compris à l’encontre de personnes inexpulsables (parents d’enfants français, conjoints de Français ou ressortissants de pays où la répression fait rage, Syrien·ne·s, Afghan·e·s, Soudanais·es, etc.), rétablissement de la double peine… À cela s’ajoute le rabaissement de toutes les procédures judiciaires : réduction des délais de recours et de jugement, généralisation de la visioconférence (justice « dématérialisée »), juge unique, recours à des procédures accélérées.

En bref, une justice au rabais pour empêcher l’effectivité de droits eux-mêmes au rabais. Et ce n’est pas la création expérimentale d’un titre de séjour dit « métiers en tension » qui peut masquer les freins mis pour faire obstacle à la délivrance ou au renouvellement de titres de séjour, y compris de la carte de résident. Tous les prétextes sont bons comme le montre, au motif de meilleure intégration, le rehaussement de l’exigence de maîtrise de la langue française sans tenir compte des vulnérabilités dues à l’âge, au handicap, à la santé ou à la situation économique et sociale.

Mais le pire est sans doute l’instrumentalisation de l’ordre public à travers des notions comme celles de menaces à l’ordre public ou d’atteintes graves aux principes républicains dont l’imprécision ouvrira grand la porte à l’arbitraire des préfets. À l’avenir, aucune personne étrangère ne sera à l’abri d’un risque d’expulsion. Les amendements en cours d’adoption au Sénat vont encore aggraver les choses : ils mettent en cause l’aide médicale d’urgence (AME), le regroupement familial, la naturalisation, les titres de séjour pour raisons de santé et fragilisent un peu plus les jeunes majeurs. La situation de toutes les personnes étrangères va être encore plus précarisée. C’est plus que jamais la logique du bouc émissaire qui est à l’œuvre. Quoi de mieux en période de crise sociale et politique…

Ce projet de loi est d’abord un acte politique d’un ministre qui cherche à ratisser large jusqu’à l’extrême droite. Il entraîne une grande précarité.

Kaltoum Gachi, François Sauterey et Jean-François Quantin, coprésidents du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)

L’annonce d’une nouvelle loi sur l’immigration par Gérald Darmanin, en juillet 2022, est en soi, avant tout, un geste politique. Tout ministre de l’Intérieur se doit de laisser son nom à une loi sur ce sujet, imposé par l’extrême droite depuis quarante ans, comme problème majeur prétendu. Et ce d’autant plus lorsque le ministre en question se construit un profil de présidentiable et espère ratisser large jusqu’à l’extrême droite.

Un premier volet de ce projet devrait satisfaire un fantasme cher à certains : expulser ! rejeter ! Une série de mesures vise ainsi à limiter le regroupement familial et à intensifier l’exécution des mesures d’éloignement, en popularisant leur nom : les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Quitte à limiter les quelques droits dont disposent encore les étrangères et les étrangers. Et pour faire bonne mesure, on viserait essentiellement les étrangers délinquants, entretenant cet autre fantasme : l’immigration a un lien étroit avec la délinquance…

Les États européens s’ingénient à restreindre l’application du droit d’asile.

Un autre volet affecte le droit d’asile, pourtant ancré dans la tradition française, mais qui embarrasse les pays européens depuis que des persécutés du monde entier demandent légitimement leur protection. Les États s’ingénient alors à en restreindre l’application. Le projet de loi propose de réduire le délai d’instruction de neuf mois à six mois. L’intention serait louable si elle ne débouchait pas sur un examen expéditif des situations. L’organe chargé de cet examen, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), pourrait également perdre son indépendance au profit de bureaux « France Asile » implantés en préfecture. Quant à l’organe d’appel, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), elle serait régionalisée et réduite à un juge unique là où la collégialité constituait une garantie.

Avec un volet « intégration », le projet se veut équilibré, mot magique du macronisme. Il introduit l’idée qu’une certaine régularisation des « sans-papiers » serait possible. Cette possibilité n’est en réalité pas une nouveauté, étant, de fait, pratiquée depuis 2012. Le nouveau titre proposé créerait certains droits nouveaux, mais serait surtout d’une extrême précarité. Limité à un an, il enfermerait les bénéficiaires dans des métiers dits « en tension ». Ce serait une régularisation opportuniste, réponse provisoire aux difficultés d’une partie du patronat. Le débat parlementaire devrait commencer fin mars et ne peut aboutir qu’avec la complicité de la droite au prix de concessions aisément imaginables.

Mais, nous aussi, nous faisons de la politique, au sens noble, et continuons à prôner la solidarité, l’égalité des droits, ainsi que la régularisation de tous les étrangers. Ce n’est pas l’étranger le problème, mais bien le rejet de l’autre. Le Mrap persistera, avec tous les antiracistes, à combattre le racisme, sous toutes ses formes et à promouvoir la fraternité entre les peuples.