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Abus sexuels dans l’Eglise: les lourds silences passés de Monseigneur Gosselin

Cette défiance se nourrit du passé de l’évêque d’Angoulême. Un passé qui rejaillit, alors que s’est tenu ce jeudi, au tribunal correctionnel de Saint-Malo le procès d’un laïc, Jean-Pol B., accusé d’agressions sexuelles sur au moins quatre victimes au sein du Foyer de Charité de Tressaint. Un foyer dont monseigneur Gosselin fut le responsable de 2004 à 2015. Jean-Pol B., 72 ans, a été condamné à 10 mois de prison avec sursis.

1. L’affaire du laïc de Tressaint

L’une des quatre plaignantes l’assure : elle avait dénoncé les agissements de son agresseur à monseigneur Gosselin. « Il y a une autre victime après. S’il avait parlé, agi, cette victime n’existerait pas », dénonce-t-elle. « Quand les femmes ont parlé, c’était comme si c’était pour lui une non-information. Quand elles lui ont écrit, plus tard, sa seule réponse a été : ‘je n’ai pas entendu, je n’ai pas compris’». Une autre victime, soulagée par la condamnation : « Moi, je ne lui en ai pas parlé. Mon agresseur était membre du conseil de la communauté j’avais peur de parler. Mais il n’est pas pensable que Hervé Gosselin n’ait été au courant. S’il avait agi, je n’en serai pas là aujourd’hui ».

2. Un scandale et un long silence

Cet épisode n’est pas le seul à tacher les années Tressaint de Monseigneur Gosselin. Tressaint, c’est un foyer de charité, lieu de retraite et de contemplation, situé dans les Côtes d’Armor. Hervé Gosselin y a fait ses armes, dans le sillage d’un responsable charismatique, le père Van Den Borght. Un père décédé en 2005, auquel Hervé Gosselin a succédé en tant que responsable de la communauté de 2004 à 2015.

En 2018, la parole se libère au sein du foyer de Tressaint. Une femme parle. Puis deux. Au final, 52 femmes, dont certaines mineures, ont témoigné des agressions sexuelles du père Van den Borght. En particulier lors de confessions, tête bloquée entre les jambes du responsable, ou de rencontres en tête-à-tête.

Publiquement, et notamment dans La Croix en 2018, Hervé Gosselin a toujours dit qu’il n’était pas au courant des dérives de son prédécesseur. « C’est faux. Lire ceci est insupportable », tonne une victime. « Qu’il n’ait pas été au courant du vivant du père Van Den Borght, je l’imagine mal mais c’est possible. Par contre, à partir de 2004, des femmes lui ont parlé. Et il n’a rien dit, n’a pas fait preuve de compassion, ne les a pas aidées. Il a fait comme si ça n’avait pas existé », dit-elle. Ce que Monseigneur Gosselin confirme aujourd’hui (lire ci-dessous).

À partir de 2004, des femmes lui ont parlé. Il a fait comme si ça n’avait pas existé.

Plus ambigu encore : en janvier 2019, alors qu’il était déjà évêque d’Angoulême, Hervé Gosselin a participé à une réunion au foyer de Tressaint. « Il a dit que dans l’Église, il y avait deux écoles : ceux qui voulaient que ce genre d’affaires se règlent publiquement et ceux qui préféraient la discrétion et le silence, que le linge sale se lave en famille. Il a dit qu’il était de la deuxième école. Ses propos ont créé une vive émotion ».

3. D’étonnantes interventions et un courrier à la Ciase

Cette déclaration a été signalée par courrier en 2020, à la Ciase, la cellule indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. Le courrier évoque un autre épisode, survenu alors que Monseigneur Gosselin était déjà évêque d’Angoulême. « Lorsque le père Hervé était déjà nommé évêque, il nous a été demandé d’accueillir (à Tressaint, ndlr) pour un temps provisoire une personne soupçonnée d’abus sexuels.. […] nous avons décidé de donner une réponse négative. Cette personne était un ami de la communauté et du père Hervé Gosselin. » Autre proximité évoquée dans le courrier envoyé à la Ciase : celle d’un prêtre polonais, qui a officié au Rwanda, lui aussi accusé d’abus sexuels et suspendu. « Je ne peux m’empêcher de m’interroger sur […] cette amitié forte avec le père Gosselin. »

4. « Il ne voulait pas voir »

Enfin, un autre témoignage, pour des faits d’agressions et abus sexuels visant un autre religieux, le père T., a été livré en 2019 devant la Corref, conférence des religieux et religieuses de France. Lors de ce témoignage, la plaignante a dit : « Quand j’ai parlé de ma souffrance à (Hervé Gosselin, ndlr) , je n’ai pas été non plus entendue. […] Il m’a répondu : « Je te rappelle que le père T. a quitté le sacerdoce » et c’est tout, ce n’est pas allé plus loin… Il ne voulait pas voir cette réalité des abus ».

Un prêtre toujours en activité, loin de la Charente et fin connaisseur des foyers de Charité, dénonce aussi l’aveuglement de Hervé Gosselin sur ces questions. « Il ne fait clairement pas partie des « abuseurs », mais des « couvreurs ». Et cette catégorie fait elle aussi énormément de mal à l’Église ».

Golias, la revue catholique critique, s’est aussi fait une religion sur le sujet. Dans son dernier trombinoscope des évêques de France, ses plumes accusent directement l’évêque d’Angoulême d’avoir voulu étouffer le scandale Van Den Borght, qui aurait été signalé dès 1999 : « Devenu berger, il ne mena aucune enquête. Au contraire, il fit en sorte d’étouffer le scandale du mieux qu’il put. Il fallut attendre le mandat d’Honorine Grasset, une décennie plus tard, pour qu’une cellule d’écoute fût mise en place et donnât la parole aux victimes ».

« Nous pouvons toujours mieux faire »

C’est par écrit que Monseigneur Gosselin a tenu à répondre à cette défiance. « La lutte contre les abus sexuels dans l’Église concerne tout le monde et c’est bien », écrit-il. Étant précisé que personne ne l’accuse d’avoir lui-même abusé qui que ce soit. Ni à Tressaint, ni ailleurs. Seuls son silence passé et des propos jugés « ambigus » sont mis en cause.
Au sujet de l’affaire du laïc de Tressaint, Monseigneur Gosselin se refuse à tout commentaire. Concernant père Van den Borght, Monseigneur Gosselin fait son mea culpa. Il reconnaît désormais, pour la première fois qu’« après son décès, trois personnes m’ont informé de faits qui auraient été commis par lui. Bien sûr, j’aurais pu à l’époque être davantage à l’écoute de certaines personnes quand bien même la personne mise en cause était décédée. À la lecture de ce que je connais aujourd’hui de la souffrance des personnes victimes, je ne réagirais pas de la même manière », écrit-il.
Il poursuit, pour illustrer sa prise de conscience : « Ce qui a été mis en place dans le diocèse est une réponse à l’injonction d’améliorer nos pratiques et il est certain que nous pouvons toujours mieux faire dans le traitement de toutes les affaires. L’objectif est d’avoir les réactions appropriées y compris lorsque la personne mise en cause est décédée ».
Lors de la mise en place d’un numéro vert pour recueillir la parole des victimes en Charente, ce dernier n’a pourtant pas fonctionné pendant de très longues semaines. Impossible de signaler, témoigner. « Dysfonctionnement technique », justifie-t-il. Nous l’avons corrigé immédiatement. » Aujourd’hui, l’évêque assure qu’il a bien fait appliquer l’obligation de fournir un extrait de casier judiciaire par tout religieux ou laïc en contact avec des enfants. « J’ai envoyé une lettre explicative à tous les prêtres et services. » Monseigneur Gosselin l’a rappelé lui-même lors d’un conseil presbytéral la semaine dernière. S’il a eu besoin de le rappeler, c’est aussi que certains religieux rechignaient à fournir ce document.
Pour asseoir son propos, l’évêque d’Angoulême rappelle surtout toutes les actions mises en place depuis son arrivée dans le cadre de la lutte et de la sensibilisation contre les abus sexuels dans l’église. « Projection publique des films « Grâce à Dieu » et « Les éblouis » en 2019 suivis d’une table ronde et débat ; table ronde sur la pédocriminalité dans l’Église à la Rochefoucauld », messe de repentance, action avec la pastorale des jeunes sur la juste attitude à adopter avec les mineurs. Lors de la publication du rapport Sauvé, Monseigneur Gosselin avait aussi été sans ambiguïté : « Le rapport est accablant et je suis accablé. J’ai déjà un message pour les victimes, qui ont eu le courage de parler. Elles ont trouvé un espace de parole, soyons à l’écoute et ne soyons pas sourds. »