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Agents faibles, le dernier message de John Le Carré

Les tiroirs des écrivains, après leur mort, dévoilent parfois des trésors impubliés. C’était le cas dans le bureau de John Le Carré, le maître du roman d’espionnage disparu le 12 décembre 2020 à 89 ans. L’Espion qui aimait les livres, le titre en français rappelle un de ses premiers livres devenu un best-seller, L’Espion qui venait du froid, traduit chez Gallimard en 1964. Le dernier a ainsi une allure de spy novel en série et surtout un côté autoportrait, Le Carré ayant été à la fois brièvement agent au MI6 et écrivain à succès. Le titre en anglais, Silverview, désignant le nom d’un manoir ombrageux situé sur la côte est de l’Angleterre, aurait sans doute moins touché les Français. Dans une postface, son plus jeune fils, Nick Cornwell, raconte que Silverwiew avait été écrit juste après Une vérité si délicate (Seuil, 2013) mais jamais publié. «Qu’est-ce qui a retenu mon père ? Pourquoi ce texte était-il resté dans son tiroir de bureau, pour en être ressorti et retravaillé, puis de nouveau mis au rebut aujourd’hui ? Qu’étais-je censé rectifier, au juste ? Fallait-il que je peigne des sourcils sur cette Joconde ?»

1) Qui aime les livres plus que l’argent ?

A 33 ans, Julian Lawndsley a lâché son emploi non pas d’agent secret mais de trader à la City, «abandon impulsif de la jungle de la finance», pour reprendre une librairie dans une station balnéaire des côtes du Suffolk. Une silhouette solitaire pénètre un soir dans la boutique rebaptisée «Aux bons livres». La tenue du visiteur frôle la caricature du spy british, imperméable camel, feutre et parapluie. Edward Avon est un bibliophile un peu insistant, à la curiosité poussée, regorgeant de conseils. Un libraire accompli, dit-il ainsi à Julian, doit avoir les Anneaux de saturne de Sebald, «un tour de force littéraire, un voyage spirituel qui débute dans les marches du Suffolk et embrasse tout l’héritage culturel européen jusqu’à sa destruction».

2) Le Suffolk est-il un nid d’espions ?

On comprend vite que Julian était un prétexte pour parler de livres et pour approcher, par leur fille célibataire, le couple d’espions de Silverview. Car Edward Avon paraît trop présent pour être honnête, il a connu en prime le père du jeune libraire. Se sachant condamnée par un cancer, sa femme, Deborah Avon, analyste star des services secrets britanniques au Moyen Orient, a passé dès le début du roman un message en haut lieu. Un certain Proctor fait des investigations jusqu’à la petite bourgade du Suffolk.

3) Pourquoi l’écrivain ne l’a-t-il pas publié ?

Pour la première fois, dans ce 26e livre, John Le Carré s’est autorisé un regard critique sur son ancien employeur, quitté au début des années 60. Dans l’Espion qui aimait les livres, «les espions britanniques ont, comme beaucoup d’entre nous, perdu leurs certitudes sur ce que représente leur pays, perdu leur identité véritable», dit encore Nick Cornwell, également écrivain sous le nom de plume de Nick Harkaway. Le personnage d’Edward Avon incarne à merveille un mélange de culture, de sensibilité et de doute.

John Le Carré, l’Espion qui aimait les livres, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Isabelle Perrin, Le Seuil, 236 pp., 22€.