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Agressions sexuelles dans l’Église : des sanctions légères pour le jésuite artiste Marko Rupnik

La façade de la basilique de Lourdes, la chapelle privée du pape au Vatican, la basilique de Fatima au Portugal… Il est le créateur des mosaïques qui ornent les sanctuaires catholiques parmi les plus visités du monde : le père Marko Rupnik, un prêtre jésuite slovène, est accusé d’agressions sexuelles par neuf religieuses, ainsi que de gestes déplacés et d’abus spirituels par deux autres femmes adultes. Des faits qu’il a catégoriquement niés auprès des autorités cléricales qui l’ont interrogé.

Le clerc de 68 ans, à la renommée artistique internationale, a reçu des sanctions disciplinaires « préventives » de la part de la Compagnie de Jésus, à l’issue d’une enquête préliminaire menée par l’ordre religieux en 2021. Les faits décrits par les sœurs slovènes – jugés crédibles par l’ordre jésuite – sont prescrits devant la justice civile comme la justice de l’Église : ils se seraient déroulés de 1985 à 1993, dans la « Communauté de Loyola », une communauté nouvelle slovène dont le père Rupnik fut l’accompagnateur spirituel. Selon les informations de médias italiens, recoupées par La Croix, ces agressions se seraient déroulées dans le cadre de la confession, à l’issue desquelles le père Rupnik aurait donné à ses victimes « l’absolution ».

Un parcours fulgurant au Vatican

Au début des années 1990, le père Rupnik quitte définitivement la Slovénie dans des circonstances troubles et pose ses valises dans la capitale italienne. Il devient rapidement professeur au sein d’institutions en vue telle que l’Université pontificale grégorienne. En 1995, il obtient le poste de directeur du centre Aletti, fondé par Jean-Paul II.

Ce centre d’études et de recherche abrite un atelier d’art spirituel dont les artisans ont réalisé, sous la direction artistique du père Rupnik, des œuvres dans toute l’Europe, au Moyen-Orient en Amérique du Nord et du Sud… Parmi les mosaïques les plus connues, figurent celles installées dans la chapelle du palais apostolique au Vatican, sur la façade de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire à Lourdes, dans les sanctuaires Saint-Jean-Paul-II à Cracovie et à Washington…

Un proche du pape François

Le prêtre slovène accompagne ses créations d’une théologie de l’art sacré qu’il prêche à travers des livres et des retraites autour du monde. En 1999, le jésuite devient consulteur du Conseil pontifical de la culture. Très apprécié par le pape François dont il est réputé proche – tous deux sont issus de la famille spirituelle jésuite –, le père Marko Rupnik a notamment réalisé le logo du Jubilé de la miséricorde en 2016. À l’occasion de cette « année sainte » organisée par le Vatican, il avait par exemple été invité à prêcher pour les employés de la Curie romaine et le pape. Bien placé dans les instances vaticanes, le père Rupnik est consulteur au dicastère pour le clergé et au dicastère pour le culte divin et la discipline des sacrements.

Le Vatican ne lève pas la prescription

Vers 2018, le prêtre slovène est rattrapé par de premières accusations concernant des gestes déplacés sur une femme de son entourage. De premières sanctions disciplinaires sont prises par les jésuites à son encontre, notamment l’interdiction de confesser et d’accompagner spirituellement des femmes. Après cette première alerte, il est démis de sa fonction de directeur du centre Aletti en 2020. En avril 2021, la Compagnie de Jésus reçoit un deuxième signalement semblable au premier, concernant des gestes déplacés et des abus spirituels exercés sur une deuxième femme, proche du père Rupnik.

Mais c’est quelques mois plus tard, en juillet 2021, que les jésuites vont recevoir les témoignages les plus glaçants : à l’occasion d’une visite apostolique menée dans la communauté slovène anciennement accompagnée spirituellement par le Père Rupnik, l’évêque auxiliaire de Rome recueille la parole de plusieurs sœurs, témoignant avoir subi des agressions sexuelles du prêtre mosaïste, notamment dans le cadre de la confession.

Enquête et sanctions disciplinaires des jésuites

Les jésuites diligentent une enquête dont ils transmettent les conclusions au dicastère pour la doctrine de la foi (DDF), qui exerce un pouvoir judiciaire exclusif pour certaines causes spécifiques liées à la dignité des sacrements.

Les jésuites demandent alors à la Curie romaine de lever la prescription sur les faits rapportés par les sœurs slovènes – en vain. En octobre 2022, le DDF clôt le dossier d’un point de vue pénal, sans commenter sa décision, alors même que les délits touchants au sacrement de réconciliation sont parmi les plus graves du droit pénal canonique.

L’ordre des jésuites a, lui, pris des sanctions disciplinaires contre le père Rupnik : il est interdit au prêtre de confesser, d’accompagner spirituellement, de prêcher des retraites. Tout enseignement ou engagement public doit être soumis à l’approbation de son supérieur local. Son activité de mosaïste en art sacré lui reste permise.

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La prescription en droit canonique

À l’origine, le droit canonique ne connaissait pas la notion de prescription, notamment pour les crimes contre les sacrements. « Les délits sont devenus prescriptibles à la fin du XIXe siècle, sous l’influence du droit civil. C’était vu comme un progrès à l’époque », souligne Emmanuel Petit, recteur de l’Institut catholique de Paris. Aujourd’hui, la prescription est de vingt ans pour les délits contre les sacrements et de vingt ans après la majorité pour les victimes de délits pénaux. Cependant, la prescription peut être levée par le Vatican pour les délits graves – affaires pédocriminelles. Notre enquête n’a pas permis de déterminer s’il est déjà arrivé que la prescription soit levée pour une victime majeure au moment des faits.