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Alvin Bragg, « l’enfant de Harlem » contre Donald Trump

À l’origine de l’inculpation historique de Donald Trump, le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, est autant adulé que détesté.

Par Alexis Buisson (à New-York)
Alvin Bragg a la sortie de son bureau de district attorney de Manhattan, le 31 mars.
Alvin Bragg à la sortie de son bureau de district attorney de Manhattan, le 31 mars. © MICHAEL M. SANTIAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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Pas difficile de repérer Alvin Bragg en train d'entrer et sortir du palais de justice de Manhattan ces jours-ci. Le procureur se déplace avec un service de sécurité. Il faut dire que le puissant district attorney (DA) de Manhattan est l'un des hommes les plus scrutés des États-Unis. Le « premier flic de Manhattan » est chargé du dossier sensible des paiements secrets versés à l'actrice X Stormy Daniels. Une affaire qui a valu à Donald Trump de devenir, jeudi 30 mars, le premier président mis en examen de l'histoire des États-Unis. Il doit comparaître ce mardi 4 avril devant un tribunal new-yorkais pour la lecture des chefs d'inculpation.

Pour la droite trumpiste, l'Afro-Américain est un « gauchiste radical », « corrompu » et « raciste ». Pour les opposants de l'ex-président, il est le justicier qui a eu le courage de mettre un terme à son impunité. « Il donne l'impression d'être sorti de nulle part, mais il a su saisir la lumière », admet Eugene O'Donnell, un ancien policier et procureur qui enseigne à l'université new-yorkaise John-Jay.

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À part d'être nés à New York et d'avoir fréquenté des universités d'élite (l'école de commerce Wharton pour Trump, l'école de droit de Harvard pour Bragg), les deux hommes ont peu en commun. Alors que le premier a vu le jour dans un quartier chic du Queens, le second a grandi dans les années 1980 à Harlem, le quartier noir de Manhattan, sur fond d'épidémie de crack. Lors de ses prises de parole, il répète avoir été braqué à six reprises, dont trois fois par des policiers, avant d'avoir eu 21 ans : « On m'a mis un couteau au cou, une arme semi-automatique à la tête et j'ai trouvé une victime d'homicide sur le pas de ma porte. »

Dans les années 1990, il observe que les minorités sont ciblées de manière disproportionnée par la politique de tolérance zéro déployée par le maire républicain de New York Rudy Giuliani, l'un des futurs avocats de Donald Trump. Il décide donc de faire du droit. Dans les années 2010, il rejoint le bureau du procureur de l'État de New York, chef de l'appareil judiciaire de l'État. En tant que numéro deux en 2017 et en 2018, il supervise plusieurs dossiers médiatiques, comme l'affaire Weinstein. Il croise aussi le chemin de Donald Trump, accusé d'avoir utilisé sa fondation pour financer sa campagne électorale de 2016. La structure sera dissoute en 2019.

L'homme du scandale DSK

Dans le même temps, Alvin Bragg se taille l'image d'un procureur progressiste. Il fait partie d'une nouvelle génération de magistrats qui appelle à réformer les méthodes policières après la mort de l'Afro-Américain George Floyd, en 2020. Il représente notamment la famille d'Eric Garner, un Afro-Américain qui a perdu la vie lors d'une interpellation musclée avec le NYPD en 2014. En 2021, il devient candidat au siège de procureur de Manhattan, un poste soumis aux suffrages des électeurs comme les autres magistrats locaux aux États-Unis. Après avoir remporté des primaires démocrates très disputées face à sept autres candidats en promettant un système judiciaire moins punitif envers les petits criminels, il devient, en novembre 2021, le premier Afro-Américain à décrocher ce poste.

Ses débuts à la tête de ce bureau réputé, qui traite des dizaines de milliers d'affaires tous les ans, du simple délit aux grandes affaires médiatiques, comme le scandale DSK en 2011, sont chaotiques. Le 3 janvier 2022, deux jours après son entrée en fonction, il envoie un mémo à ses équipes pour leur demander de ne plus poursuivre certains crimes jugés mineurs (prostitution, intrusion sur une propriété privée, résistance aux arrestations…), citant des disparités raciales dans les incarcérations. Ces consignes provoquent une vive colère au sein de la population et de la police, inquiète de la hausse de l'insécurité post-Covid. Face au tollé, le procureur doit mettre de l'eau dans son vin.

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L'inculpation historique d'un ancien président est certainement le dossier le plus explosif de sa carrière. Donald Trump l'a traité d'« animal ». Victime d'une campagne virulente de la part de la droite, il a été visé par au moins une menace de mort. Les élus républicains au Congrès cherchent à l'intimider en promettant de se pencher sur son enquête. Certains opposants du milliardaire et des juristes pensent que son investigation se dégonflera lors d'un éventuel procès.

« Il n'a pas montré d'enthousiasme pour sanctionner certains crimes, à part ceux qui sont liés à Donald Trump, reprend Eugene O'Donnell. Cette affaire va booster la carrière politique d'Alvin Bragg. Il n'y a aucun autre endroit dans le pays qui déteste plus Donald Trump que Manhattan. » Entre « l'enfant de Harlem », comme il se surnomme, et le milliardaire du Queens, le bras de fer est lancé.

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