France
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Amin Maalouf élu secrétaire perpétuel de l’Académie française

En 1986, un jeune auteur franco-libanais pénétrait pour la première fois sous la Coupole. Il avait 37 ans. Il venait recevoir un prix aujourd'hui disparu, le prix Paul-Flat, pour son roman Léon l'Africain. Le secrétaire perpétuel d'alors, Maurice Druon, lui promit qu'un jour, il recevrait de l'Académie une récompense plus conséquente. L'écrivain en accepta l'augure. La séance était présidée par un certain Claude Lévi-Strauss dont le même écrivain ignorait bien sûr que vingt-cinq ans plus tard, il lui succéderait au fauteuil numéro 29.

Dans la longue histoire nouée entre Amin Maalouf et l'Académie française, une autre journée, dix ans plus tard, fut encore plus décisive : cette fois-là, nous raconte-t-il, il assistait à la réception de son ami Hector Bianciotti. C'était en 1997. Déjà en délicatesse avec ses yeux, Jacqueline de Romilly était chargée de lire un texte ; Maurice Druon, à ses côtés, se tenait prêt à lui souffler les mots. « J'ai découvert une chaleur, une fraternité que je n'associais pas à l'Académie. »

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Après la cérémonie, il était allé saluer l'helléniste, dont il deviendrait très proche. Et en 2004, elle donna corps à un souhait jusque-là vague et imprécis : une déclaration de candidature dont le nouveau secrétaire perpétuel n'a pas oublié la date du résultat : le 28 octobre. « J'étais prêt à monter dans un taxi, on m'avait dit que mon élection était probable. » Mais il s'agissait de la première après l'entrée un peu forcée de Valéry Giscard d'Estaing sous la Coupole.

À LIRE AUSSI Amin Maalouf : « Le monde est en voie de tribalisation » Dans un geste de mauvaise humeur, l'Académie décida que cette élection serait blanche. L'écrivain demeura chez lui. Publia d'autres romans, d'autres essais. Puis l'amie Jacqueline mourut en décembre 2010. Lors d'une journée en son hommage à l'Académie, alors qu'on évoquait, comme souvent, le sujet des élections à venir, VGE se rappela que Jacqueline de Romilly mentionnait souvent un écrivain libanais qu'elle souhaitait voir entrer sous la Coupole.

C'est ainsi que l'ancien président, après avoir joué, à son insu, un mauvais tour à Amin Maalouf, favorisa son sort en faisant exaucer le vœu d'une défunte. Les voies pour devenir immortel sont décidément (presque) impénétrables.

Aller voir de l'autre côté

« J'apporterai mes origines, mon accent, mes convictions, mes doutes, mes rêves d'harmonie, de progrès et de coexistence. » La promesse faite en 2012 dans son discours de réception vaut encore maintenant qu'il est devenu le primus inter pares. L'Académie vient de s'ouvrir plus encore au vaste monde, après avoir élu le Russe Andreï Makine, le Péruvien Vargas Llosa, l'Italien Maurizio Serra, le Chinois François Cheng, l'Haïtien Dany Laferrière, l'Anglais Michael Edwards.

S'il fallait résumer une œuvre qui a toujours embrassé large mais qui a pris de l'amplitude, Amin Maalouf n'a cessé, depuis son premier livre, Les Croisades vues par les Arabes, de nous proposer d'aller voir de l'autre côté, de se mettre dans les pas de l'Autre.

À LIRE AUSSI Amin Maalouf : « Empêcher le Liban de mourir » Pour preuve, son dernier essai (à paraître le 5 octobre aux éditions Grasset), Le Labyrinthe des égarés, qui brosse la fresque tragique de ces grandes puissances ayant tenté d'être, pour leur malheur, les fossoyeurs de l'Occident – Japon, Chine, URSS – ou ses héritiers – les États-Unis.

Pour preuve encore, nombre de ses personnages romanesques venus de Perse (Samarcande, Les Jardins de lumière), du Maghreb (Léon l'Africain), du Liban (Les Échelles du Levant, Le Rocher de Tanios), partis à la rencontre d'autres mondes explorés dans leurs forces et leurs faiblesses. Car loin d'admirer sans réserve l'Occident, cet homme de l'Orient lui a souvent reproché de ne pas avoir respecté ses valeurs dans ses rapports avec les autres civilisations. Après l'Orient slave d'Hélène Carrère d'Encausse, voici un autre Orient mâtiné d'Occident.

L'arrivée en France

Un jour, Amin Maalouf est, lui aussi, parti très loin. Il avait 27 ans, la guerre du Liban venait d'être déclenchée sous ses fenêtres. Il a pris un petit bateau pour Chypre, où il est allé voir deux ambassades. L'une canadienne, l'autre française. Celle-ci ne demandait qu'une lettre de recommandation de l'ambassadeur du Liban à Chypre ; par chance, c'était un ami de son père, grand journaliste et poète à Beyrouth.

Quatre jours plus tard, le 20 juin 1976, il débarquait à Paris, où il bénéficia d'une des premières décisions du gouvernement de Raymond Barre destinées à faciliter le séjour et le travail des ressortissants issus de pays ravagés : Cambodge, Laos, Vietnam, Chili, Liban…

Mais l'exil et le voyage sont dans les gènes de cet homme, dont les ancêtres, comme le rappelait Jean-Christophe Rufin dans son discours de bienvenue en 2012 à l'Académie, avaient quitté la montagne du Liban pour tenter leur chance et faire fortune à Cuba, aux États-Unis, à Istanbul ou en Égypte.

À LIRE AUSSI L'Académie française très inquiète de l'explosion du franglaisLe mouvement lui est aussi naturel que la perception aiguë d'une fragilité du monde, d'un branloire pérenne de ces empires dont il a pu constater, assez tôt, qu'ils n'étaient pas, à la différence des académiciens, immortels.

Avant son départ du Liban, le jeune journaliste Maaloufassista aux ultimes soubresauts de l'empire éthiopien de Haïlé Sélassié ou à la chute des Américains à Saïgon. Envoyé de Paris par la revue Jeune Afrique, où il avait trouvé asile, il était aussi présent en février 1979 dans ce cinéma de Téhéran où Khomeiny proclama la chute de l'empire perse et la naissance de la République islamique.

« On pense spontanément que nous sommes éphémères et que les empires sont des entités durables. Or, le XXe siècle, et ces dernières années, nous ont enseigné le contraire : avec l'accélération de l'histoire, ce sont les pays, les empires, qui sont éphémères, alors que nous vivons plus longtemps. »

Au centre de cette anatomie des chutes, son Liban natal. Un trou du présent qu'il a rempli par une œuvre évocatrice d'un passé plus heureux avant que l'essayiste, renouant avec la curiosité du journaliste, ne trouve le souffle de raconter les effondrements et les naufrages des civilisations. D'où venait le déclin de l'Orient ? Jusqu'où fallait-il imiter l'Occident ?

Familier en son autre pays

On nous a appris que le Liban appartenait au Proche-Orient. Un Orient qui nous est donc proche. Comme lui fut toujours proche une langue française pour ainsi dire maternelle. Elle lui fut en effet transmise par sa mère, issue d'élites égyptiennes catholiques revenues au Liban, pour lesquelles le français était une lingua franca. Maalouf est le fruit d'un Liban creuset d'influences contradictoires dont la France et l'Angleterre, au XIXe siècle, avaient fait leur terrain d'affrontements.

Du côté du père, on était depuis trois générations presbytérien, anglophone, on enseignait même l'anglais. On était en revanche francophone et catholique du côté de la mère, qui envoya tous ses enfants, avec la bénédiction de son mari, dans des écoles françaises. Pour son fils, ce furent les bons pères jésuites.

« Si on parlait arabe à la maison, si je lisais Dickens en traduction arabe, le français, à l'âge de 12 ans, est devenu ma langue secrète, intime. Quand j'en avais l'occasion, je prenais en français des notes dans un carnet et le premier roman écrit vers l'âge de 20 ans l'était dans cette langue. »

À LIRE AUSSI Roman – Amin Maalouf et le miracle grecVoilà pourquoi, pour l'adolescent, qui eut très tôt aussi la passion de l'actualité, notamment celle de l'Hexagone, la France ne fut jamais un pays étranger. « Je pourrais vous réciter les noms de dizaines de députés élus lors des législatives de 1967. » À son arrivée en France, Maalouf s'est donc senti familier en son autre pays.

De là son soutien à une littérature-monde et sa conviction que c'est encore par sa langue que la France trouvera sa place dans ce monde. « Une place qu'il faut définir clairement, sans avoir honte de son passé, de sa civilisation, en assumant toutes ses forces et ses faiblesses », énonce celui qui se définit comme un écrivain de langue française et non comme un écrivain francophone. 

« Dire d'un écrivain qu'il est francophone, c'est sous-entendre qu'il écrit en français, mais rappeler qu'il est étranger. Le terme est censé rassembler, mais il éloigne, il divise. » Si la France est liée à la place que sa langue occupe dans le monde, nul doute que l'Académie française, sous sa nouvelle égide, sera l'institution qui incarne cette préoccupation. Une égide sans nul doute placée sous le signe de son caractère équanime, même si ce calme olympien cache probablement bien des bouillonnements.