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Anciens et modernes Kimonos: l’empire des sens au Quai Branly

EXPOSITION - Depuis l’après-guerre, le vêtement traditionnel japonais n’a cessé de se réinventer et de s’internationaliser. Le montrent au musée parisien 150 broderies, de l’époque d’Édo à John Galliano.

Tissages et métissages, quai Branly. Au musée parisien des arts lointains, le vêtement traditionnel japonais déploie sa perfection et ses infinies fantaisies au sein d’une exposition proprement exquise. Soit un parcours en 150 pièces du XVIIe siècle (époque d’Édo) à aujourd’hui, toutes virtuoses, réunies par le Victoria and Albert Museum avec le soutien important du collectionneur et philanthrope iranien basé à Londres sir Nasser D. Khalili.

En 2017 à Paris, le Musée national des arts asiatiques Guimet avait déjà magistralement conté cet art ultra-sophistiqué du kimono - art en 2D lorsque le grand «T» suspendu à son cintre en bambou sert de séparation dans la demeure, et en 3D lorsqu’il est porté.

La tendance du jour

Il l’avait fait à partir d’un nombre égal d’habits et d’accessoires. Mais eux avaient été empruntés au Musée de Nagoya, institution héritière du fonds textile de la maison de confection Matsuzakaya, fondée en 1611 et devenue grand magasin à partir de 1910. On n’admirait donc, sauf exceptions, que des parures anciennes et toutes nippones.

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Cette fois, le parcours est international et sa partie contemporaine, très développée. On pouvait craindre une redite, on a une extension du sujet. Ce vêtement ancien de plus d’un millénaire, dont le nom signifie simplement «la chose que l’on porte sur soi», se trouve ici montré de la Renaissance à l’ère moderne, celle de la mondialisation.

À l’origine réservée à l’élite, le kimono s’est démocratisé et sa fabrication mécanisée durant la période Meiji (1868-1912). Sur place, les tissus étrangers importés par les Néerlandais ou les cotons d’Inde du Sud-Est sont alors entrés dans sa fabrication. Simultanément, à des milliers de kilomètres de l’archipel, jusqu’en Écosse, les nobles ont fait de cet assemblage de huit lés rectangulaires leur robe de chambre. Avec des porcelaines, des estampes d’Utagawa Kunisada (1786-1864) dévoilent tout d’abord trois élégantes japonaises. Elles posent devant une boutique de mode à Tokyo. À leurs côtés, dans les vitrines, des publicités, albums de modèles et autres revues de nouveautés indiquent la tendance du jour.

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Car quelle variété! Que choisir parmi ces crêpes de soie, ces cotonnades estivales, ces broderies chatoyantes, fleurs, paysages même, et avec leurs saisons. Ici des glycines cascadant. Là des scènes tirées de quelque poème. Et encore, des roses de montagne, des pruniers aux mille branches en fleurs, des pivoines par bouquets, des vues du mont Fuji, des ponts, des rivières, de la calligraphie. Un kimono d’acteur de kabuki surprend: il se trouve paré de motifs de squelettes et de têtes de mort carnavalesques. Mais les sur-kimonos de geishas se révèlent les plus exubérants, ornés de carpes et de dragons comme des corps de yakusas. De tels lourds manteaux ne se portent qu’aux occasions exceptionnelles, mariages, soirées de cour, galas…

«Trésor national vivant»

Lorsqu’on passe derrière les paravents en papier de riz qui leur servent de fonds, leurs formes gracieuses se découpent en ombres chinoises. Fantomatiques? Le XXe siècle, avec ses conflits industriels et généralisés, n’a pas mis fin à ce monde hédoniste du kimono. Au contraire: on découvre les créations d’avant-guerre et d’avant-garde, textiles influencés par l’Art nouveau et l’Art déco. Motifs de roses ou de buildings schématisés, avions, bombardiers et cuirassés, batailles aéronavales entières. Et aussi, désormais, tissage mécanique du fils de soie.

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En Occident pendant ce temps, un Mariano Fortuny compose ses variations, ajoute de la moirure, un surcroît de rêve exotique. Lady Lucy Duff-Gordon, dite Lucile, une survivante du naufrage du Titanic, avait aussi son kimono. Il a survécu. Plus que d’autres, d’abord parce que plus amples, ces vêtements semblent conserver noués, brodés ou tissés les drames comme les joies de leurs propriétaires. Ce sont des reliques et des films souvenirs.

Depuis les années 1950, de quelque pays qu’ils soient, nombreux sont les stylistes s’imprégnant de cet esprit du kimono. Sa capacité à être déconstruit et restructuré, traduit ou modifié, en fait un médium universel. Sur place, tout a recommencé en 1955, quand les meilleurs artisans japonais ont été officiellement reconnus «Trésor national vivant». Kunihiko Moriguchi, fournisseur de la famille impériale et de sa suite, est un de ceux-là (kimono Au-delà, 2005). Ce sage, qui a connu Malraux à Paris et Balthus à Rome, auxquels la Maison de la culture du Japon à Paris et le Musée d’art moderne de Kyoto ont consacré d’importantes rétrospectives, alterne sur ses lés comme dans ses coupes cubisme et abstraction. Cela sans oublier les styles anciens qu’il connaît et respecte.

Croix, chevrons, simples lignes de couleurs ou de camaïeux de gris, ses parures sont d’une épure et d’un raffinement zen… De ce point de vue, le Nigérian Duro Olowu peut être considéré comme un cadet, lui qui fusionne kimono classique et style africain yoruba. Le futur encore? On imagine déjà les extraterrestres porter la soierie rectiligne tombant jusqu’aux «geta» (hauts socques en paille de riz laqués) et fermée par un «obi», cette large ceinture. Le costume de la Reine Apailana, personnage de Star Wars, qui est là sur un mannequin avec ses ajouts de plumes, y invite.

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Avec cette pièce sont évoqués d’autres aspects aussi fantastiques que glamours. Des photographies rappellent qu’il y a déjà un demi-siècle, c’était un kimono que portait le personnage de Ziggy Stardust incarné par David Bowie (tenue de scène conçue avec le designer japonais Kansai Yamamoto et inspirée du théâtre kabuki). Boy George et Freddie Mercury, Madonna et Björk ont également porté le kimono. En Europe, il est vrai qu’il était très populaire, et synonyme d’érotisme, au moins depuis Madame Butterfly, l’opéra de Pucchini créé en 1904, ou le roman Madame Chrysanthème, de Pierre Loti. Au sein du parcours, le portrait d’une lady anglaise de cette époque voisine avec sa tenue japonaise, très liberty…

Kimonos d’époque d’Édo. musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Léo Delafontaine

Dans la dernière section, contemporaine, Kunihiko Moriguchi paraît l’un des plus innovants. Graphiste de formation, il crée ses motifs sur papier avec une précision mathématique. Mais ensuite, il les applique à la surface textile de façon experte, à l’ancienne, à l’aide de pâte de riz. Avec lui, sans crier gare, aux élégants carrés de gris ombrés ou de bleu nuit du style de Kunihiko Moriguchi ont succédé des kimonos trash, street art, humour skateboard, mangas, graffitis, ou kitsch tel celui parodiant le château de Disney dans La Belle au bois dormant. Milligan Beaumont (née en 1992) excelle dans ce genre de désacralisation artistique par l’humour.

Derniers successeurs des Paul Poiret ou des Jeanne Lanvin japonisants, Yohji Yamamoto, John Galliano ou Alexander McQueen ont hissé le kimono comme un incontournable des podiums de la haute couture. Chacune de leur proposition est un modèle de luxe et de grâce. Dans le sillage de ces grands, née en 1977, Hiroko Takahashi ne jure, elle, que par les motifs cinétiques, l’impression numérique, la soie, mais aussi le cuir ou l’émail. Et les hommes alors? Le marché du kimono masculin serait, selon Anna Jackson, conservatrice en chef du département Asie au «V&A» et commissaire, en pleine croissance. Né en 1980, Fujiyika Mikisuke taille parfois les siens dans du yorkshire et les dote d’une cravate. Idéal pour la City.

Fantaisies animalistes en origamis ou sur estampe

Fantaisies animalistes en origamis ou sur estampe; © Victoria and Albert Museum, London

À Versailles. Du 17 décembre au 29 janvier 2023 l’Espace Richaud (78, boulevard de la Reine) accueillera les 2500 origamis de Gérard Ty Sovann. La plus spectaculaire de ces œuvres faites d’un unique carré de papier plié et replié jusqu’à trois cents fois de suite, sans découpe ni colle, est une girafe de plus de 3 m de haut. À l’inverse, la plus petite figure, un éléphant, fait 4 mm de côté. La plus monumentale, enfin? Un lion réalisé dans une feuille de 25 m de côté, qui pèse 130 kg et mesure 8 m de long sur 4,50 m de hauteur.

À Paris. Jusqu’au 21 janvier 2023, la Maison de la culture du Japon (101 bis, quai Jacques-Chirac, 15e) évoque dans une exposition l’histoire des relations des habitants de la ville d’Édo - qui deviendra Tokyo en 1868 - avec les animaux. Pour cela le Musée d’Édo-Tokyo prête plus d’une centaine d’estampes anciennes, de peintures et d’objets du quotidien. On y croise des chasses aux cerfs et sangliers. On y remarque encore des montreurs de singes, des chiens errants, des bœufs de labour, des chevaux sacrés… L’ensemble suggère une symbiose et le profond enracinement de l’animisme shintoïste. L’attention portée à l’environnement d’Édo, nature encore parfaitement préservée aux XVIIIe et XIXe siècles, se lit également très clairement.

«Kimono » au Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris (7e) jusqu’au 28 mai 2023. Catalogue Éditions de La Martinière, 336 p., 55 €. Tél.: 01 56 61 70 00. www.quaibranly.fr

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