La première édition et ses 70 personnes avait même pu se tenir dans la petite boutique de Cosmopolite (anciennement Privat) située à l’époque place Francis-Louvel à la place de ce qui est aujourd’hui le Lion rouge. Face à l’engouement...
La première édition et ses 70 personnes avait même pu se tenir dans la petite boutique de Cosmopolite (anciennement Privat) située à l’époque place Francis-Louvel à la place de ce qui est aujourd’hui le Lion rouge. Face à l’engouement, l’année suivante, Pascal Dulondel s’était mis en quête d’un nouveau lieu : son attention s’était portée sur son voisin d’en face, le Palais de justice.
« Je suis allé voir le procureur qui m’a répondu ‘je vous donne les clés mais vous me rendez ça propre’», rembobine-t-il. C’est dans la salle des pas perdus que la dictée s’est tenue pendant trois ans avant de migrer au théâtre. Non sans mettre la pression au directeur de l’époque Gérard Lefèvre. « Je lui ai dit ‘ si on ne peut pas faire ça chez toi, on annule tout.’»
De ses deux décennies d’existence, la Grande dictée - c’est son nom - a fait se croiser des milliers de personnes - curieux d’un jour ou fidèles de toujours. Trois d’entre eux ont marqué l’histoire de l’événement.
Jean-Pierre Mathieu, la der de l’ineffable Monsieur Loyal
Il a beau avoir plusieurs centaines de dictées à son actif, Jean-Pierre Mathieu - une carrière entière à l’école primaire de Saint-Paul - le concède : avant chacune d’entre elles, « j’ai le trac ! » Visage de la Grande dictée, il en est l’auteur et l’orateur. Son style de lecture inimitable et ses « chausse-trappes », provoquant parfois l’ire bienveillante des participants, ont marqué l’histoire de l’événement. À 74 ans, l’Angoumoisin a décidé de faire de cette 20e édition sa dernière. « Même si le texte est devant moi, je crains de plus en plus le trou de mémoire ; avec les années ça ne va pas aller en s’arrangeant. » De ces vingt années, cet ancien rugbyman de deuxième ligne du SCA retient des rencontres. L’une d’elles l’a marqué : celle de Pierre Perret, invité d’honneur d’une des dictées, et dont il chantait « Le Tord-Boyaux » avec ses coéquipiers dans le bus les jours de match. « J’ai discuté avec un homme que je croyais inaccessible, c’était mon idole ! » Toute cette histoire sera relatée samedi lors d’un hommage musical qui lui sera rendu. « Je vais chialer, c’est sûr », annonce l’intéressé. Qui part sans regret. « Je reviendrai peut-être comme candidat… »
Simone Charrier, la fidèle doyenne

Photo Renaud Joubert
À 99 ans, Simone Charrier est l’inoxydable doyenne de la dictée, dont elle n’a manqué qu’une seule édition en 20 ans. « C’est un plaisir comme un autre », sourit celle qui a entamé sa vie professionnelle comme institutrice à l’école Jules-Ferry. Mère de huit enfants, c’est avec sa fille Françoise et son défunt mari qu’elle a rédigé ses premières lignes au son de la voix du cultissime Bernard Pivot, devant son poste de télévision. Dans l’imposante armoire de son appartement, situé à Ma Campagne, l’Angoumoisine a religieusement classé par date dans une chemise cartonnée ses écrits de la grande dictée. Jamais elle n’est descendue en dessous de 93 % de réussite avec un pic en 2021 à 98,6 %, fait-elle remarquer avec une pointe de fierté. La retraitée fait parfois preuve d’espièglerie. En 2022, sur la première page de sa copie, où chaque candidat est invité à laisser un petit mot, elle a glissé : « Ce qu’il est barbant », clin d’œil à Jean-Pierre Mathieu « qui se mettait à porter la barbe ». À bientôt 100 ans, vise-t-elle le 100 % ? « Je vais essayer de ne pas chuter et faire aussi bien que les autres années car avec le temps j’oublie parfois. J’ai besoin de plus me concentrer, témoigne-t-elle. Mais je vais m’entraîner ! »
François Goubault, indétrônable master de l’orthographe

Archives CL
Il avait remporté, en 2014, le premier prix de la dictée : François Goubault, journaliste à Charente Libre pendant 34 ans, est à ce jour le seul homme de la catégorie senior à n’avoir commis aucune faute. « L’annonce du classement se faisait dans l’ordre inverse, rappelle Pascal Dulondel. Je le voyais patienter, il semblait ne pas comprendre. Quand il a été appelé, il était comme un gamin d’autant qu’il était persuadé d’avoir fait deux ou trois erreurs. »
Jean-Pierre Mathieu se souvient de la rencontre avec ce maître Capelo de CL que chacun savait trouver pour démêler une formule grammaticale tortueuse ou un accord complexe. « C’était dans les studios d’enregistrement de Questions pour un champion, à Boulogne-Billancourt, témoigne-il. Il s’est présenté à moi en me disant qu’il était fan de dictée, je lui ai proposé de le ramener à Angoulême en voiture. » L’alchimie entre les deux hommes est immédiate. Jean-Pierre Mathieu décrit une personne « discrète et brillante » toujours installée à la même place lors de la dictée : « 2e rang, 3e siège ». Il ne l’occupera pas cette année. François est brutalement décédé le 5 janvier dernier. Il laisse une empreinte indélébile sur la Grande dictée. Un hommage lui sera rendu ce samedi.