France
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Anina Ciuciu : Rom, par-delà les clichés

Dans le bureau où elle reçoit désormais, sa robe noire d’avocate repose sur un cintre. Le 31 janvier dernier, Anina Ciuciu, 32 ans, a prêté serment. Réalisant ainsi son rêve d’enfant et sans doute aussi un peu celui de sa famille. « J’ai toujours voulu faire du droit, je pense que, pour moi, cela voulait dire la possibilité de défendre la justice dont moi et les miens avons été privés », raconte-t-elle.

Anina Ciuciu est née en 1990 dans une famille rom de Craiova, dans le sud de la Roumanie. Sa mère, aide-soignante, et son père, comptable, taisaient leur identité rom. Mais, un jour, les collègues de son père l’ont découverte et il a été renvoyé. Un épisode très traumatisant pour la famille, qui décide alors d’aller vivre en France.

« Mes parents ont très mal vécu d’être rejetés comme ça. Ils ne voulaient pas que leurs filles aient la même vie. Ils souhaitaient que nous allions à l’école. Et mon père, qui avait lu Balzac, considérait que la France était le pays des droits de l’homme. C’était un vrai choix. », explique-t-elle.

Mendier pour survivre

Anina a 7 ans quand les Ciuciu quittent leur pays. À l’époque, la Roumanie n’est pas encore membre de l’Union européenne, le voyage est donc clandestin et les parents s’endettent pour payer un passeur. Mais, au lieu de les emmener en France, celui-ci les laisse dans l’immense bidonville de Casilino, près de Rome. « On s’est retrouvé dans une baraque sans eau ni électricité. Pour nous qui avions toujours vécu dans une maison, ça a été un vrai choc. »

La famille est obligée de mendier pour survivre. Une humiliation. Il faudra six mois pour rassembler de quoi rejoindre la France en voiture. Où les choses commencent très mal : « A la frontière, on s’est fait arrêter de façon très violente par un agent des douanes qui a brisé notre pare-brise avec un extincteur. Heureusement, un véhicule s’est arrêté et on en a profité pour repartir. »

Les Ciuciu, qui font alors une demande d’asile, sont envoyés dans un centre à Mâcon. Mais, déboutée, la famille, sous le coup d’une Obligation de quitter le territoire, se retrouve expulsée, sans logement, sans papier. Ils dorment alors dans un camion, dans le dénuement le plus total. Sur un marché de Bourg-en-Bresse, ils rencontrent Jacqueline Delafontaine, une institutrice qui les prend en amitié. Et les aide dans leurs démarches.

Harcèlement raciste

À 9 ans, Anina, qui n’a fait qu’une année de maternelle en Roumanie, est inscrite à l’école. Elle se révèle brillante, notamment en maths, et saute rapidement une classe. Mais les relations avec les autres enfants sont terribles. « Dès l’école primaire et encore au collège, j’ai été victime de harcèlement raciste. Les élèves me traitaient de sale Rom, sale Gitane, fille de maquereau. Mais je me défendais. Alors j’étais punie. C’était très dur. Beaucoup d’enfants roms décrochent à cause de ça. Moi, ça me renforçait dans mon envie de réussir, je voulais prouver que j’étais meilleure que ce qu’ils disaient de moi. »

L’école, dans la famille Ciuciu, tout le monde y croit. Quand, admise en master de droit à la Sorbonne à Paris, Anina Ciuciu pense renoncer à cause du manque de moyens de la famille, ce sont ses parents qui la convainquent que c’est la chance de sa vie.

Alors quand un journaliste lui propose, à 22 ans, d’écrire son parcours, elle décide de saisir l’opportunité qui lui est donnée de raconter dans un livre (1) sa fierté d’être rom et intégrée dans la société française. « Ça m’a permis de commencer à avoir une parole publique », analyse-t-elle.

Démonter les clichés

Invitée depuis lors dans les médias, et jusqu’aux Nations Unies, elle met un point d’honneur à démonter les clichés. Oui elle réussit dans ses études, non elle ne vit pas dans une caravane. Naturalisée française en 2013, elle est sollicitée par une parlementaire écologiste et sera même candidate aux sénatoriales de 2017.

Engagée dans des associations roms, Anina Ciuciu crée, en 2018, le collectif École pour tous, dont elle est la marraine, qui rassemble des enfants et des jeunes, roms mais pas seulement, privés d’instruction. « Moi, j’ai la chance d’avoir fait des études, ce qui m’a permis de réaliser mon rêve. Mais beaucoup d’enfants ne peuvent pas aller à l’école car on refuse de les inscrire », souvent parce qu’ils n’ont pas de domicile, explique-t-elle.

En 2019, le collectif parvient à inscrire dans la loi qu’une attestation de domicile sur l’honneur suffit. Pourtant, malgré cela, les refus persistent. Alors Anina Ciuciu ne lâche rien. Le 31 août, École pour tous a interpellé le nouveau ministre de l’éducation pour obtenir une trêve des expulsions de bidonvilles pendant l’année scolaire. Et, le 7 septembre, elle a accompagné, avec deux autres avocats, six mères qui ont saisi la justice pour faire reconnaître le droit de leurs enfants à l’école.

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Son inspiration : « L’envie de redonner à ma mère sa fierté »

« Ma mère est pour moi un modèle de combativité et de force. Pourtant, elle a vécu des choses affreuses qu’elle a traversées avec humilité et courage. Toute sa vie, elle s’est sentie obligée de cacher son identité rom. Quand j’étais petite, elle ne venait pas me chercher à l’école car elle ne voulait pas me faire honte.

Mais je n’ai jamais eu honte d’elle, pour moi, ça a toujours été la meilleure maman du monde car elle nous a vraiment soutenues et encouragées, nous, ses filles. Et je n’ai jamais voulu cacher mon identité. J’ai toujours eu envie de redonner à ma mère sa fierté, sa dignité, en assumant ce que je suis, à la fois Rom et française. Je pense que c’est une vraie motivation pour tous mes engagements. »