France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

«Appelle la gendarmerie, j'ai assassiné Marcelle»

Temps de lecture: 7 min

La présidente de la cour d'assises d'Indre-et-Loire, Aude Cristau, lit les pages de l'ordonnance de mise en accusation, l'OMA, synthèse des faits reprochés à l'accusé. Elle lève les yeux et regarde Pierrot. «Vous maintenez votre position des faits aujourd'hui?» Debout dans le box des accusés, Pierrot s'accroche à la paroi vitrée le séparant du reste du tribunal. Il répond: «Ce qui était prévu, c'était que je parte avec elle. Mais ce qu'on avait prévu et ce qu'il s'est passé sont deux choses différentes.»

Pierrot reconnaît tout, puisqu'on le lui a expliqué au cours de l'enquête, mais les détails semblent s'être effacés de sa mémoire.

«Pardon, c'est affreux, je ne voulais pas ça comme ça»

Le dimanche 24 mai 2020, week-end de l'Ascension, la France est encore au début de son déconfinement. Au petit matin, à 8h25, Pierrot appelle Annie, la sœur cadette de sa femme et, d'une voix qu'elle ne lui connaît pas, dit: «Appelle la gendarmerie, j'ai assassiné Marcelle.»

Quand les gendarmes de Bléré –la brigade la plus proche, en ce qu'elle est située à huit kilomètres de Francueil– arrivent sur place, ils constatent que la façade est entretenue et le jardin tondu. Ils passent devant le hêtre pleureur et se dirigent vers la maison. Pierrot leur ouvre la porte du garage. Le rapport note que l'homme de 86 ans est hagard, «en état de choc». Il ne montre pas de résistance. Sur la porte, un papier a été scotché: «Attention: GAZ OUVERT». Les gendarmes pénètrent à l'intérieur. L'odeur du butane les prend à la gorge. Immédiatement, ils ouvrent les fenêtres.

Dans le salon, la comtoise est à l'heure. Les meubles sont recouverts de napperons crochetés et de fleurs séchées disposées dans des vases.

Un détecteur de monoxyde de carbone cassé est retrouvé par terre. Sur le tapis se trouvent de nombreuses boîtes de médicaments à moitié ouvertes: Miansérine 70mg, un antidépresseur; Alprazolam, un anxiolytique; et Thyrozol, pour les problèmes de thyroïde.

Des cachets sont posés sur la nappe à carreaux, à côté d'un torchon, d'une feuille d'essuie-tout et de papiers. Sur l'un de ces derniers, il est inscrit «RDV» en gros et en rouge; sur un autre, des numéros importants: ceux de l'assistante sociale, du médecin de Château-Renault et de l'Association d'aide à domicile en milieu rural. Dessous, rédigée d'une main très tremblante, il y a une note: «Pardon, c'est affreux, je ne voulais pas ça comme ça.» Au plafond, une corde rouge et blanc est accrochée à l'une des poutres.

Ils montent à l'étage, traversent un long couloir. Il y a un buffet, et un grand miroir accroché au mur. Dans la petite chambre, Marcelle est allongée sous des draps bordés d'un couvre-lit en laine rose. Sa tête, ensanglantée, repose sur la taie de l'oreiller à l'imprimé fleuri. Une de ses mains est recroquevillée au-dessus de son visage extrêmement tuméfié.

Au pied du lit, les gendarmes remarquent deux bonbonnes de gaz de treize kilos chacune. Plus loin, une carabine brisée en six morceaux repose par terre. Pierre, dit Pierrot, est immédiatement placé en garde à vue pour homicide sur conjoint. La brigade de recherches d'Amboise est saisie.

Les premières constatations sont effectuées. De nouveaux clichés immortalisent la vie de Pierrot et Marcelle. Les chaussons jetés sous le radiateur de la chambre. Le frigo rempli de plats préparés –de bas en haut, des barquettes en aluminium s'entassent, intouchées. Le fer à repasser en porcelaine plein de balles de munition pour un 9 mm. Le sang sur la tête de lit matelassée rose, le tee-shirt tâché de Pierrot, ses avant-bras dont la peau est râpée à divers endroits. Son téléphone est saisi. Entre le 14 et le 20 mai 2020, plusieurs recherches sur les différentes façons de se donner la mort ont été faites sur internet.

«S'endormir comme ça, c'était bien. Une fin de vie paisible»

Perdu dans un «brouillard», Pierrot entend soudain un gendarme lui intimer: «Asseyez-vous, vous allez tomber!» La voix lui fait reprendre ses esprits.

Face à la cour d'assises d'Indre-et-Loire, Pierrot ne se souvient pas de tout. Il se rappelle avoir pris la décision de partir en même temps que sa femme, par exemple, mais ne peut dire quand exactement. C'était au moment où il a réalisé que «la belle vie [était] terminée». À partir de ce moment-là, «la seule solution» envisageable était celle «de partir ensemble».

Il jure que placer Marcelle en Ehpad n'était pas tant un problème financier, même si le prix lui semblait exorbitant. Cela allait au-delà. Dans le box des accusés, il s'emporte: «Non, je ne veux pas! Je ne veux pas que la maladie lui ronge le cerveau! Devenir une loque, une chose qu'on trimballe du lit au fauteuil et du fauteuil au lit! Non, non!» Un instant, il soupire: «Elle méritait pas ça. Elle avait un entrain, un courage…» Puis: «L'Ehpad, c'est la déchéance, on n'est plus rien.»

Il se souvient de son projet initial: prendre des médicaments et ouvrir les bonbonnes de gaz. «S'endormir comme ça, c'était bien. Une fin de vie paisible», argue-t-il. Il lui semblait «absolument normal» de partir avec elle. «Il était hors de question que je la laisse partir seule dans l'autre monde et de mener ma petite vie tranquille.»

Alors, du garage, Pierrot a monté une bonbonne, puis deux. Sur des bouts de papier, il a inscrit «Attention: GAZ OUVERT» et il les a collés sur la porte du garage et de l'entrée à l'attention de ceux qui les retrouveraient. Il a coupé l'électricité. Il a fermé les volets et la porte de la chambre. Il a ouvert les valves des bonbonnes de gaz. Il s'est allongé aux côtés de Marcelle qui dormait déjà et s'est assoupi.

Le lendemain matin, en ouvrant les yeux, Pierrot a aperçu le soleil derrière les fenêtres. Il s'est levé, confus, et est tombé sur les bonbonnes posées au pied du lit.

«Le butane n'est pas toxique en soi, expose l'adjudant-chef. Mais il est anoxiant. Il prive l'atmosphère de l'air, ce qui empêche de respirer.» Il précise: «Le procédé mis en place ne pouvait pas fonctionner à cause du manque d'étanchéité de la pièce.»

«Tous les soirs en me couchant, j'essaie de me rappeler la scène»

Lors de sa première audition de garde à vue, quelques heures après avoir tué sa femme, Pierrot a raconté la suite des événements. Un nouveau jour commençait. Marcelle n'arrivait pas à se lever. Il est devenu fou de rage. Il s'est mis à taper dans les placards, à hurler qu'ils ne s'en sortiraient jamais. Il pleurait. Se cognait la tête avec ses poings. Sur son carnet à petits carreaux, la veille, il avait déjà noté: «La mort ne veut pas de nous.»

Marcelle s'est redressée et lui a gentiment dit: «Arrête, tu vas te faire du mal.» Mais il était hors de lui. Il l'a «secouée». Il a attrapé la carabine, a menacé sa femme avec, a tiré à côté. L'arme s'est enrayée. Aux gendarmes de la brigade de recherches d'Amboise, il affirme avoir alors pris la carabine et frappé Marcelle: «Elle commençait à s'agiter en disant: “Arrête, arrête!”» La carabine s'est brisée entre ses mains.

Dans le box des accusés, il secoue la tête en soupirant: «Ah non, non…» La juge d'instruction lui a expliqué en audition ce qu'il avait fait. Au travers des témoignages et des rapports des médecins légistes, il a compris ce qu'il s'était passé. Face à la cour d'assises de Tours, il dit: «Je ne me souviens pas… Tous les soirs en me couchant, j'essaie de me rappeler la scène. Mais je ne me revois pas attraper la crosse de la carabine.»

Entendu en visioconférence, le psychiatre Roland Coutanceau affirme qu'il n'a diagnostiqué ni «maladie mentale, ni détérioration liée à l'âge» chez Pierrot. «Il comprend que c'est un geste volontaire qu'on lui reproche», ajoute l'expert, précisant que les accusés qu'il rencontre en entretien «ont parfois du mal à reconnaître des détails qui les choquent eux-mêmes». Pierre ne remet pas l'enquête en cause. Il répète simplement: «Je ne me souviens pas.»

«On ne nous apprend pas à mourir»

Pierrot a passé un second coup de fil à Annie, juste après lui avoir demandé de prévenir les gendarmes. Il l'a rappelée pour lui dire qu'il avait essayé d'étrangler Marcelle, qu'il avait tenté avec le gaz, que rien n'avait marché, qu'il l'avait «tapée sur la tête». «On ne nous apprend pas à mourir», avait-il conclu.

Les constatations médicolégales précisent que l'os hyoïde est fracturé, signe d'étranglement. Le médecin légiste a également remarqué la présence de marques de défense sur le bras de Marcelle. Elle mesurait 1m63 pour 43 kg, soit «un état de maigreur». Les experts en morpho-analyse de traces de sang ont quant à eux noté un «mécanisme actif» sur la crosse de la carabine. Mais «pas avec le talon, soit avec le coin, soit avec le plat».

Le médecin légiste explique que Marcelle présentait de nombreuses plaies sur le crâne, vingt-six exactement, dont certaines «avec enfoncement»; un traumatisme crânien; des hématomes extra-dural et sous-dural. Le décès est dû à l'hémorragie cérébrale. «Le temps d'agonie a été très bref», rapporte-t-il. Pendant l'autopsie, l'équipe a aussi découvert «un dépôt de peptides bêta-amyloïdes qui gênent les connexions synaptiques». En d'autres termes: un prémisse de la maladie d'Alzheimer.

«Vivement que je meure! Vous n'avez qu'à me fusiller!»

Lors de sa troisième audition de garde à vue, Pierrot est face à un autre gendarme. L'homme lui repose les mêmes questions, encore et encore, essayant de retracer la chronologie des événements. Pierrot est épuisé. D'un coup il se lève de sa chaise et, furieux, balaye le bureau de l'officier.

À la barre, l'adjudant-chef indique: «Monsieur est quelqu'un de solide. Trois gendarmes ont dû intervenir pour le maîtriser.» Pierrot leur hurle: «Vivement que je meure, mon Dieu, mon Dieu! Vous n'avez qu'à me fusiller! Profitez bien de votre jeunesse!», avant de s'écrouler en larmes.

Dans le box des accusés, Pierrot baisse la tête. «Finir sa vie comme ça, c'est lamentable.» Face à la juge instruction, il s'est dit soulagé d'avoir aidé sa femme à partir, mais extrêmement malheureux de la façon dont cela s'est déroulé. Pour lui il s'agit d'un «acte d'amour inscrit dans son cœur», mais pour l'institution judiciaire, ce qu'il s'est passé n'est qu'un article dans le code pénal. Et le 23 janvier 2023 s'est ouvert, à Tours, le procès de Pierre pour «homicide sur conjoint».