France
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Après François Léotard, Denis Kessler… les derniers grands leaders libéraux français se sont éteints mais laissent une trace indélébile sur la société française

François Léotard, en 2008 / MIGUEL MEDINA, AFP

© MIGUEL MEDINA / AFP

Atlantico-Business

Quelle semaine de merde !!! Au moment où hier les compagnons de route de François Léotard lui rendaient un dernier hommage, ils apprenaient la mort de Denis Kessler, patron emblématique, qui a passé sa vie, lui à transformer la culture d’entreprise…

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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François Léotard d’un côté et Denis Kessler de l’autre sont partis quasiment au même moment. La vie parfois nous offre des hasards tragiques en laissant cette semaine les « fous de liberté sous toutes ses formes », doublement orphelins.

Ces deux-là ne se ressemblaient pas, ils avaient peu de point commun mais leur logiciel de fonctionnement était construit sur le même algorithme : celui de la liberté , de toutes les libertés. C’était le cœur de leur ADN qui les a poussés chacun de leur côté à se battre pour transformer la société française, l’extraire de ses obésités sociales et culturelles.

François Léotard s’est battu sur le terrain politique... Denis Kessler sur celui de l’entreprise. Mais ils avaient tous les deux le même objectif. Ils avaient l’un et l’autre, multiplié les vies différentes et transgressives souvent mais leurs chemins se rejoignaient. Ils avaient été professeurs, chercheurs, séminaristes ou militants engagés, convaincus, passionnés, excessifs et bienveillants, contradictoires parfois dans les moyens mais cohérents dans les résultats recherchés… préférant leurs idées et leurs convictions à leurs carrières ou leur intérêt personnel. Ils ont sacrifié beaucoup de rêves et de projets pour travailler à « la libération » d’une société française coincée dans ses habitudes et ses rentes. Une France coincée dans les années gaullistes et les tentations socialistes.

Beaucoup ont pensé cette semaine  qu’ils auront laissé le sentiment de ne pas avoir réussi à changer la société autant qu’ils le souhaitaient. Ils se trompent… ces deux-là ont laissé une marque profonde et durable dans la société française dans ce qu’elle a de mieux, de plus efficace et surtout de plus libre. 

François Léotard est entré en politique avec Valéry Giscard d’Estaing dans les années 1970. La France sort des trente glorieuse, c’est la France du général de Gaulle et de George Pompidou, une France reconstruite, dynamique mais où tout était possible parce qu’il y avait tellement de besoins à satisfaire, tellement « d’envie d’avoir envie » comme disait Johnny. En 1974 , quand Valéry Giscard d’Estaing est élu président de la République, la France n’a pas totalement compris que le premier choc pétrolier va changer toute l’organisation des modèles de développement occidentaux. Puisque l’énergie est devenue subitement très chère et rare, la croissance n’est plus gratuite, la prospérité n’est plus évidente. Il faut la mériter, la construire, la chercher, innover. On n’a plus de pétrole , il va falloir avoir des idées, de l’intelligence.

C’est dans ce contexte là que François Léotard va apparaître sur la scène, attirer à lui les  passionnés de libertés et d’innovation. La bande à Léo, pour reprendre l’expression, se retrouve chez des giscardiens d’origine avec notamment Michel d’Ornano qui s’est mis en tête de créer une sorte d’école des jeunes talents, un peu dans tous les domaines, pour irriguer la France de sang neuf. Sortir d’une gauche historique et déjà archaïque et d’un gaullisme nostalgique et centralisateur... Cette génération est conduite par François Léotard, et animée par Gérard Longuet ainsi qu’Alain Madelin. Ils viennent d’horizons différents mais ils sont habités par une même conviction à savoir que le moteur de la modernisation ne peut fonctionner qu'à l'énergie que fournit la liberté... Cette bande un peu bruyante, et remuante, sera donc libérale et libérale assumée, « timidement d’abord comme le reconnaissent aujourd’hui Gérard Longuet et Alain Madelin. Mais très déterminée au lendemain de la défaite de 1981. 

L’ arrivée de François Mitterrand est bien évidemment un échec cuisant , mais va leur offrir une opportunité de proposer une alternative forte et tranchée parce que la constitution du général de Gaulle permet des cohabitations.

« La bande à Léo » comme on disait à l’époque, va ainsi travailler « la société française » en profondeur pendant plus de vingt ans. Ils prendront des responsabilités, ils savent que François Léotard est programmable pour accéder aux commandes de la République , mais la politique lui refusera la porte de l’Élysée. Parce que la politique et le respect de la liberté démocratique est à ce prix...  « Il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner en politique ».

François Léotard abandonnera la vie publique avec sans doute ce sentiment d’inachevé qui le hantera jusqu'à la fin et qu'il essaiera de dépasser par la littérature.

Mais François Léotard s’est trompé sur l’essentiel : les historiens retiendront que cette bande à Léo aura permis à la France de se donner des moyens de liberté et de libération qui lui permettent encore aujourd’hui de conserver son rang… Liberté sociétale, individuelle, liberté d’entreprendre et de s’enrichir... A chacun de le mériter, le droit de faire et d’en jouir. Droit sacré qui doit être accessible à tous.

Ce qui est extraordinaire quand on revoit le film de ces années-là, c’est qu’au même moment, dans la sphère strictement économique du côté des entreprises et des banques, certains hommes de la même génération forçaient aussi les portes du pouvoir… Denis Kessler aura sans doute été le patron français le plus provoquant, le plus tranchant, le plus innovateur à tel point qu’encore aujourd’hui, au lendemain de sa mort, il est toujours inclassable. Après avoir été professeur d’économie à une époque (après 1968) où l’enseignement est complètement dominé par les préceptes marxistes, lui enseigne l’économie d’entreprise , il fait découvrir aux étudiants que la France jacobine,  révolutionnaire a aussi été la France de la liberté d’entreprendre et qu’elle n’a pas su mettre en musique ce que certains chercheurs préssentaient… Frédéric Bastiat , Joseph Schumpeter et tellement d’autres qu’il a fallu aller étudier à Harvard. La France était gaulliste et keynésienne. La puissance de l’État et l’État providence. Pour Ambroise Roux qui a été le dernier des grands patrons emblématiques de l’après-guerre, c'était parfait. Dans les années 1980, pour Denis Kessler, la puissance de l’État et le poids des prélèvements obligatoires c’était double peine .

Denis Kessler se complète au spectacle d’Antoine Riboud qui, a Marseille, va secouer le patronat français en pariant que l’efficacité de l’entreprise ne passait pas seulement par l'optimisation des résultats financiers et surtout quand ces résultats sont confisqués par une petite caste d’actionnaires, c’était il y a plus de trente ans... Denis Kessler noue des relations amicales avec la dirigeante de la CFDT, Nicole Notat, qui installe en France un syndicat de compromis. Le patronat Français sent bien que Kessler voit juste mais parle trop... Pendant que Léotard et sa bande manquent la plus haute marche du pouvoir politique, Denis Kessler restera bloqué à la vice-présidence du CNPF... Une bonne raison pour aller faire ses preuves dans l’entreprise, parce que le vrai pouvoir est celui du terrain. On ne lui proposera pas l’entreprise la plus glamour, et la plus moderne, on lui proposera la SCOR, que personne ne connaît sauf les acteurs du secteur financier. Il y restera plus de 20 ans. Il règne sur cette entreprise quasiment en faillite après les attentats du 11 septembre, et il en fera le 5ème assureur mondial. Il n’avait fait ni polytechnique, ni l’ENA…  Il avait intégré HEC, une école où on apprend à compter et à voir loin. Son obsession : délivrer des résultats, aux clients d’abord, aux salariés ensuite et aux actionnaires enfin.

Il avait appris le métier de chef d’entreprise chez Axa, où il était entré à 31 ans parce que Claude Bébéar, le créateur d’Axa  avait besoin d’un empêcheur de tourner en rond... « On n’a déjà tellement d’énarques  !!! » . Il n’a jamais été président d’Axa sans doute parce qu’il n’était pas de « l’establishment » qui lui faisait la cour . Il en a été déçu et pourtant il le savait. Ce militant de la méritocratie a découvert ce jour-là que le « fou du roi était nécessaire mais qu’il ne devenait jamais roi ». Il est parti à la SCOR qui ressemblait à un champ de ruine. Il y a tout reconstruit.

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