France
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Armées : si le budget avait été maintenu à son niveau de 1981, il s'élèverait 80 milliards d'euros par an (2/2)

Il est difficile d'estimer le « manque à gagner » en termes financiers, mais il est certain que si le budget avait été maintenu à son niveau de 1981 (donc juste avant la décennie de croissance qui précède la disparition de l'URSS) en points de PIB, le budget actuel serait plus élevé d'au moins 90%. Soit près de 80 milliards d'euros par an, ce qui correspond à un peu plus de 3% d'un PIB courant estimé en 2021 à 2.500 milliards d'euros.

Une perte de pouvoir d'achat de 225 milliards

De manière plus précise, en se fondant sur des hypothèses solides (statistiques INSEE, série PIB en euros constants 2014 et étude IFRI de 2012 précitée), il est possible de représenter sur un graphique l'écart entre le budget réel et celui qui aurait simplement suivi la croissance du PIB. Cela donne d'une part la courbe bleue, qui représente les budgets de défense exécutés entre 1981 et 2010 en euros constants (base 2000), hors gendarmerie (qui quitte le périmètre budgétaire défense en 2009), d'autre part la courbe orangée, qui joint tous les points fictifs de la valeur théorique du même budget de 1981 affecté d'un taux de croissance uniforme de 1,65%, afin de correspondre à un total cumulé de 91% en 2010. La surface délimitée par les deux courbes figure la perte de pouvoir d'achat des armées sur la période, soit un total de 225 milliards d'euros constants.

Il n'est pas question ici de contester la légitimité de choix politiques qui avaient leur logique dans un contexte donné, mais simplement d'observer que, dans la période post-guerre froide, la France s'est contentée en matière de défense d'entretenir a minima un outil pour lequel l'essentiel des investissements indispensables ont été faits dans les trente années précédentes (1962-1991). Les fruits de la croissance, dont le rythme moyen a ralenti de moitié par rapport à la période précédente, sont réservés à d'autres priorités. C'est ainsi qu'entre 1981 et 2010, la part de la défense perd 4 points dans les dépenses de l'État, de 14 à 10%.

A l'appui de cette analyse, il suffit de constater que sur la durée, les crédits de fonctionnement sont stables sur la période 1981-2010, alors que les crédits d'investissement servent de variable d'ajustement.

Faute d'études robustes existantes à ce jour sur l'évolution du budget réel de la défense en euros constants, il ne nous est pas possible de poursuivre l'analyse sur des bases comparables. Mais il n'est pas invraisemblable de penser que le déficit entre budget réel (zéro valeur) et budget homothétique à la croissance du PIB (zéro volume) n'a fait qu'augmenter au cours de la décennie 2011-2020, au point d'atteindre sans doute aujourd'hui 300 milliards d'euros. Soit ce qui a manqué à l'investissement de défense depuis 40 ans.

Dans le même temps, entre 1992 et 2023, la France s'est appauvrie de quelque 150 milliards au profit de ses partenaires européens, y compris les plus riches, sans que son commerce extérieur n'en ait bénéficié. Et surtout, sans le moindre investissement en faveur de la défense de l'Europe et des Européens.

Le graphique ci-dessous (issu de données SIPRI qui font foi pour toutes les comparaisons internationales) illustre plus que tous les discours la réalité physico-financière d'une « Europe qui protège ».

Comme le commente le SIPRI, « l'évolution la plus spectaculaire est l'inversion du poids respectif de l'Asie et de l'Europe entre 2000 et 2018 : en 2000, l'Europe et l'Asie représentent respectivement 27 et 18 % des dépenses de défense mondiales. En 2018, ces rapports sont inversés, l'Asie en représente 28 % et l'Europe 20 % ».

1.100 milliards de plus dans la défense dans l'UE

D'après les estimations de la Commission européenne, si tous les États membres de l'UE avaient dépensé 2% de leur PIB au profit de la défense entre 2016 et 2020, l'effort commun aurait été accru de 1100 milliards d'euros.

EDA 2022 COORDINATED ANNUAL REVIEW ON DEFENCE REPORT

Cela console dans la mesure où la France, depuis 30 ans, a fait « moins pire » que ses partenaires européens ; mais cela désole en montrant que l'Europe a été incapable de s'unir en matière de défense, ce qui rend aujourd'hui l'OTAN indispensable.

Cela n'est pas un scoop, mais dès lors que l'on admet que le contexte stratégique a radicalement changé depuis un an, il conviendrait également de réorienter nos priorités budgétaires. La LPM proposée est un pas dans la bonne direction, mais elle est loin, très loin du compte.

Recherche-t-on de nouvelles marges de manœuvre ?

Rappelons simplement que depuis vingt ans, l'écart entre ce que la France paie à l'UE et ce qu'elle en reçoit n'a cessé de se creuser. L'UE dépense aujourd'hui en France environ 16 milliards d'euros, dont une petite dizaine de milliards au titre de la politique agricole et quelques milliards de fonds structurels au profit des régions en reconversion et des départements d'outremer.

Mais dans le même temps, à cause notamment du Brexit, la contribution française au budget de l'UE (ce que la technocratie appelle pudiquement « prélèvements sur recettes ») ne cesse d'augmenter : 25 milliards en 2021 et 27 en moyenne sur la période s'achevant en 2027. On rappelle que l'aide militaire à l'Ukraine via l'UE est en supplément : pour la France, cela coûte un milliard d'euros, bientôt deux, à raison de « paquets » de 500 millions décidés à l'unanimité toutes les six semaines en-dehors du budget européen.

Plus précisément, comme le rappelle le « jaune budgétaire » des relations financières entre l'a France et l'UE (document officiel s'il en est) : « La France est à hauteur de 1,35 milliard d'euros par an, le principal contributeur aux corrections accordées aux États membres de l'UE les plus riches, mais elle ne bénéficie pour sa part d'aucun rabais ». En effet (...) le Président de la République a indiqué à plusieurs reprises que la France s'opposait à « tous les chèques, toutes les ristournes, tous les rabais ».

Rappelons, à titre de comparaison, comme l'a rappelé récemment La Tribune : « Des menaces très sérieuses pèsent sur la modernisation de l'hélicoptère d'attaque Tigre. Le montant du programme de modernisation du Tigre était évalué à 4 milliards d'euros, dont 2,8 milliards pour la France et 1,2 milliard pour l'Espagne ». 2,8 milliards d'euros, soit deux annuités de ce que la France « rembourse » à ses partenaires européens plus riches qu'elle par habitant (Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Suède), et dont l'apport à la défense de l'Europe est pour le moins modeste.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.