France
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Arthur Chevallier – Macron, nouveau Louis XV

CHRONIQUE. Alors que les institutions et l'autorité sont contestées, le président de la République tente de sauver le modèle de l'État français.

Par Arthur Chevallier
Emmanuel Macron au chateau de Versailles en 2018.
Emmanuel Macron au château de Versailles en 2018. © CHARLES PLATIAU / POOL / AFP
Publié le 04/10/2022 à 19h00

Temps de lecture : 4 min

À force de traiter le président de la République comme s'il incarnait seul la faillite, réelle, de l'administration, probablement d'un régime politique, on oublie sa personne, et surtout sa personnalité. On le confond, pour mieux dire, avec le cours de l'histoire à laquelle il participe, la fin d'un cycle. La Ve République vacille, touche aux limites de son modèle ; la France elle-même décline, c'est un fait quotidien ; l'État n'est plus une idée réconfortante, mais inquiétante. Bref, Emmanuel Macron a pris le relais dans la dernière portion de la course, de là les multiples références à Louis XVI et à la Révolution française pour évaluer son mandat. Or, et c'est le fait oublié, le président de la République combat l'histoire et, par son talent et son courage, parvient à ralentir la chute et conjurer le sort. Sa menace de dissolution pour faire passer la réforme des retraites en est un exemple frappant.

La France n'est pas si loin du XVIIIe siècle. Après la guerre de succession d'Espagne (1701-1713), les finances publiques sont exsangues. La situation ira de mal en pis jusqu'à l'implosion, ou l'explosion, c'est selon, de la monarchie dans les années 1780. Les difficultés économiques compliquent l'exercice du pouvoir et fragilisent l'édifice sur lequel est bâtie la société. Autrement dit, quand il n'y a plus d'argent, tout le monde se plaint et ça fragilise l'État. Après la régence, Louis XV devient le roi d'une France au prestige intact mais qui n'est bientôt plus le pays le plus puissant du monde, concurrencé et bientôt dépassé par l'Angleterre. Le monarque se distingue par sa délicatesse, son apparente bonne volonté, la décontraction (relative) de l'exercice du pouvoir, comme en témoignent les aménagements qu'il opère au château de Versailles. Il veut des appartements plus confortables, plus chaleureux, plus pratiques, bref tout doit être plus « petit », et c'est tout dire de son règne. C'est sans doute son erreur, d'avoir cru que Louis XIV aimait la distance, la froideur et la pompe. Il n'y prenait aucun plaisir, mais elles étaient la condition du succès de son modèle. Le Roi-Soleil avait, dans cette perspective, retiré le droit de remontrance aux parlements. Le régent l'avait rétabli en signe de bonne volonté.

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Au début des années 1760, Louis XV affronte une rébellion des parlements, partie, pour faire court, de Bretagne. La fronde atteint celui de Paris. Louis XV doit réagir : faut-il céder à ces parlements qui profitent de l'état social délétère pour contester le gouvernement et surtout réclamer du roi qu'il les consulte, en gros qu'il partage un peu de son pouvoir, ou faire montre d'autorité ? Ce monarque qui passe à cette époque, non sans raison, pour être dilettante, rechignant à écouter ses ministres, se rend au parlement de Paris en mars 1666 et fait prononcer un discours resté célèbre sous le nom de « discours de la flagellation ». À la demande de partage de la souveraineté et aux attaques contre l'absolutisme, il donne une fin de non-recevoir : « C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison ; que c'est de moi seul que mes cours tiennent leur existence et leur autorité ; […] que l'ordre public tout entier émane de moi et que les droits et les intérêts de la Nation, dont on ose faire un corps séparé du Monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains. » Cinq ans plus tard, il se débarrasse des magistrats contestataires avec la réforme du chancelier Maupeou.

Depuis le début de son premier mandat, Emmanuel Macron a fait le pari de sauver la Ve République en s’appuyant sur le premier de ses tempéraments : la prééminence du chef.

Emmanuel Macron a du Louis XV en lui. Ce démocrate humaniste, libéral, favorable à l'Europe et à un monde ouvert en général, a des bouffées d'autorité, ne disons pas d'autoritarisme. C'est qu'il doit aussi accomplir sa mission de conservation de son propre régime politique. Il obéit à la Constitution, mais il doit aussi la défendre. Or, cette dernière repose sur la puissance du chef de l'État, son lien unique avec les Français, qui réside dans l'élection au suffrage universel direct. Autrement dit, le chef de l'État pourrait tolérer un Parlement en rébellion, à condition d'être en cohabitation, et donc de préserver sa stature et son autonomie. C'est pourquoi la menace de dissolution proférée par le président de la République dépasse de loin la tactique. Depuis le début de son premier mandat, Emmanuel Macron a fait le pari de sauver la Ve République en s'appuyant sur le premier de ses tempéraments : la prééminence du chef. Ce qui passe bien souvent, parfois à raison, pour un comportement vexatoire et de la martialité maladroite est peut-être aussi ce dont d'autres avaient manqué. Et ce dont d'autres manqueront.

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Emmanuel Macron n'est pas roi, et les parlements de l'Ancien Régime sont incomparables avec le nôtre. Les régimes diffèrent, mais commander la France, c'est commander tout court. Qu'on le veuille ou non, et même si ça ne fait pas toujours plaisir, souhaiter la ruine du président revient à souhaiter la ruine du pays, mettre l'orgueil en place de la responsabilité. Emmanuel Macron a choisi la voie active pour survivre à l'histoire. En quoi son ampleur dépasse probablement celle de ses concurrents.

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