Ce qui a alerté Jean-Baptiste Lokossou Koumaiko, c’est la disparition des poissons-grenouilles. Ces petits gobis sauteurs, qui peuvent vivre de longs moments à l’air libre, grouillaient habituellement dans la vase des mangroves de la Bouche du Roy, vaste zone de marais et de lagunes située sur la commune de Grand Popo, tout à l’ouest du Bénin. "Nous avons pensé : la nature s’échappe", raconte le vieil homme. La raréfaction des Périophtalmus était un signe encore plus inquiétant que la disparition du "grand crocodile" de ces eaux saumâtres. Ces animaux si proches que l’on voyait tous les jours s’éloignaient de l’humain. Il fallait réagir.
La bouche du Roy n’est pas un milieu anodin. Baptisé ainsi vraisemblablement par les explorateurs portugais qui ont fréquenté la zone au 16e siècle, cette embouchure du fleuve Mono est barrée par une langue de sable de 200 mètres de large ouverte et fermée en différents endroits selon les caprices de l’océan. Derrière cette protection, s’étendent près de 10.000 hectares de marais, de forêts, de mangroves où plantes terrestres et végétaux marins se mêlent. C’est le royaume du lamantin d’Afrique, de la tortue olivâtre, des aigrettes ardoisées et du bec ouvert africain, une sorte de cigogne toute noire qui a la particularité d’avoir les deux parties du bec qui ne se touchent qu’à leur extrémité. En 2014, quand Jean-Baptiste s’inquiète, les pêcheurs, eux, constatent que les poissons sont plus rares et plus petits. "Et comme les poissons étaient plus petits, le réflexe a été de réduire encore la maille des filets et donc de prendre encore plus de juvéniles qui ne pouvaient se reproduire", raconte Moïse Koumassa, ingénieur écologue à l’association de protection de la nature Eco-Benin.
La seule énergie disponible, c'est le bois des palétuviers de la mangrove
Jean-Baptiste Lokossou est le président de l’assocation Doukpo. Le mot signifie "manger mais laisser". "Il fallait faire comprendre qu’on ne pouvait pas continuer à exploiter la mer et les terres sans se préoccuper de l’avenir, expose ce chef d’un des 17 villages de l’embouchure. C’est difficile car ici les gens sont pauvres, et trouver à manger tous les jours n’est pas évident."
Ce qui a alerté Jean-Baptiste Lokossou Koumaiko, c’est la disparition des poissons-grenouilles. Ces petits gobis sauteurs, qui peuvent vivre de longs moments à l’air libre, grouillaient habituellement dans la vase des mangroves de la Bouche du Roy, vaste zone de marais et de lagunes située sur la commune de Grand Popo, tout à l’ouest du Bénin. "Nous avons pensé : la nature s’échappe", raconte le vieil homme. La raréfaction des Périophtalmus était un signe encore plus inquiétant que la disparition du "grand crocodile" de ces eaux saumâtres. Ces animaux si proches que l’on voyait tous les jours s’éloignaient de l’humain. Il fallait réagir.
La bouche du Roy n’est pas un milieu anodin. Baptisé ainsi vraisemblablement par les explorateurs portugais qui ont fréquenté la zone au 16e siècle, cette embouchure du fleuve Mono est barrée par une langue de sable de 200 mètres de large ouverte et fermée en différents endroits selon les caprices de l’océan. Derrière cette protection, s’étendent près de 10.000 hectares de marais, de forêts, de mangroves où plantes terrestres et végétaux marins se mêlent. C’est le royaume du lamantin d’Afrique, de la tortue olivâtre, des aigrettes ardoisées et du bec ouvert africain, une sorte de cigogne toute noire qui a la particularité d’avoir les deux parties du bec qui ne se touchent qu’à leur extrémité. En 2014, quand Jean-Baptiste s’inquiète, les pêcheurs, eux, constatent que les poissons sont plus rares et plus petits. "Et comme les poissons étaient plus petits, le réflexe a été de réduire encore la maille des filets et donc de prendre encore plus de juvéniles qui ne pouvaient se reproduire", raconte Moïse Koumassa, ingénieur écologue à l’association de protection de la nature Eco-Benin.
La seule énergie disponible, c'est le bois des palétuviers de la mangrove
Jean-Baptiste Lokossou est le président de l’assocation Doukpo. Le mot signifie "manger mais laisser". "Il fallait faire comprendre qu’on ne pouvait pas continuer à exploiter la mer et les terres sans se préoccuper de l’avenir, expose ce chef d’un des 17 villages de l’embouchure. C’est difficile car ici les gens sont pauvres, et trouver à manger tous les jours n’est pas évident." Outre le poisson et les coquillages, ce sont les palétuviers de la mangrove qui disparaissent, coupés pour fournir du bois de chauffe, seule énergie pour faire bouillir l’eau et cuire les aliments. Selon les chiffres de l’Union de conservation de la nature (UICN), la surface des mangroves béninoises a diminué de 43% entre 1980 et 2005. Depuis, les destructions ont ralenti et des restaurations ont permis de reconquérir quelques espaces. Mais la santé de ces écosystèmes n’est pas bonne car ils sont toujours surexploités.
Bois de palétuvier prêt à l'emploi dans un village de la Bouche du Roy. © L. C.
La principale cause, c’est la demande : la population du Bénin est passée de moins de deux millions d’habitants en 1970 à 15 millions attendus en 2023. Mais c’est une demande qui n’a pas été anticipée. Les habitants n’avaient rien d’autre que le bois à leur disposition. Les Béninois n’ont pas vécu une situation exceptionnelle. Dans le monde, deux milliards d’humains dépendent de la biomasse pour leurs besoins essentiels. Dans leur coin retiré du Bénin, les chefs des 17 villages du cœur de la mangrove constatent les dégâts et décident de réagir avec la fondation d’une "aire communautaire de conservation de la biodiversité" (ACCB). "Nous avons pratiqué les micro-crédits pour sortir les femmes de la pauvreté en leur finançant de quoi commencer un commerce, poursuit le vice-président Basile Amoussou Locossou. Et nous avons aussi commencé à chercher des alternatives au bois de mangrove." Des plantations d'acacias ont été créées pour ce seul usage et les foyers améliorés qui consomment moins de bois et enfument moins les maisons sont distribués.
Un diagnostic scientifique pour délimiter les zones les plus riches
Ces efforts coïncident avec le classement en 2016 de la Bouche du Roy en réserve de biosphère par l’Unesco. "Nous avons pu ainsi entreprendre un diagnostic scientifique des richesses écologiques de la réserve et procéder à un zonage entre un cœur à préserver totalement et des zones tampons où les activités sont possibles mais réglementées", poursuit Moïse Koumassa. Pas simple. Les besoins en bois ne baissent pas et la mangrove est très facile à exploiter. De plus, les pêcheurs continuent de fréquenter la proximité des pieds de palétuviers, là où fraient poissons et crustacés. Enfin, difficile d’interdire la production locale de sel. Ce travail effectué par des femmes sur la petite île de Owlihoué demande énormément de bois. Du fait d’un taux d’hygrométrie trop élevé, il n’est en effet pas possible de creuser des marais salants. Aussi faut-il chauffer au bois de l’eau dont la teneur en sel est augmentée par filtrage à travers des sables des rivages. Owlihoué est le principal lieu de production de sel au Bénin.
La lutte contre la surexploitation est donc ardue. D’autant que les règles sont difficiles à faire respecter. L’État béninois n’a en effet pas les moyens de payer des gardes assermentés. C’est d’ailleurs l’une des raisons de l’échec de nombres de zones protégées dans le monde. Si sur le papier, les aires naturelles ont bien un statut particulier, aucune police ne garantit une action contre les braconniers. Selon l’UICN, moins d’un quart des aires protégées dans le monde ont des ressources suffisantes pour assurer une protection efficace des habitats et des espèces.
Le vaudou, une religion qui permet de protéger la nature
Le Bénin a cependant une chance. C’est la terre d’origine du vaudou. Cette religion animiste compte un panthéon de plus de 400 divinités ou esprits habitant les composantes vivantes ou pas de la nature. Si la plupart des habitants de l’ancien Dahomey (Bénin et Togo) sont aujourd’hui catholiques ou musulmans, ils n’ont pas pour autant abandonné le vaudou qui reste un guide spirituel. Le vaudou peut interdire. Et à la Bouche du Roy, c’est Zangheto, "le gardien de la nuit" qui protège 500 hectares de mangroves. "Celui qui brave les divinités risque de perdre beaucoup d’argent, ou pire de mourir", assure Jean-Baptiste Lokossou. La menace est prise au sérieux. Depuis une cérémonie officielle très médiatisée pour que personne n’ignore la démarche, un fétiche marque les lieux protégés. "Et ça marche, plus personne ne coupe et les mangroves n’arrêtent pas de prendre de l’épaisseur", se réjouit Moïse Koumassa qui avec Eco-Bénin espèrent pouvoir augmenter les surfaces protégées au fur et à mesure que les plantations d’acacias et les foyers améliorés diminueront les besoins en bois.
Le fétiche Zangbeto indique que la mangrove est sous sa protection. © L. C.
Huit ans après la création de l’association, la mangrove de la Bouche du Roy reste menacée. Mais les 10 000 habitants du lieu ont changé leur regard sur le milieu, assurent les chefs de village. "Nous pouvons même espérer le retour du grand crocodile", assure Jean-Baptiste Lokossou. Partout dans le monde, des communautés entament des actions similaires. Selon le rapport sur l’évaluation de la nature rendu par l’Ipbes en 2019, un quart des terres appartiennent et sont gérées par des populations indigènes. 35% de ces espaces bénéficient d’un statut de protection et 35% subissent peu de pression humaine. Les études scientifiques montrent que ces régions sont dans un état écologique supérieur aux espaces voisins, mais 72% voient leurs richesses convoitées. C’est le cas de la Bouche du Roy qui cherche à retrouver un équilibre qui profite au développement de ses habitants. "Doukpo" ne manque pas d’idées. L’association espère notamment profiter d’un environnement restauré pour le faire visiter selon ses règles de protection (aujourd’hui, les visites en barque ne sont pas réglementées) et surtout en dirigeant les revenus vers le développement local. Avec l’aide de Zangbeto.