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Au Honduras, ces paysans assassinés pour avoir voulu sauver leur eau

Dans le nord du pays, riche en eau douce, de petits agriculteurs sont tués ou finissent en prison pour oser se soulever contre une puissante compagnie minière qui pollue leurs rivières. La revue barcelonaise d’actualité internationale “5W” raconte leur combat inégal.

“Si seulement une institution, une organisation, quelle qu’elle soit, pouvait nous sortir de là !” Cet appel au secours est lancé par Jeremías Martínez, un paysan hondurien de 67 ans qui a peur pour sa vie. Il ne fait pas confiance aux autorités de son pays, si bien qu’il compte sur une aide extérieure. La porte de sa maison reste ouverte tandis qu’il raconte son histoire, il dit que c’est pour recevoir la fraîcheur du soir, mais aussi pour voir si quelqu’un approche. Bientôt, il fera nuit noire dans sa campagne, et il craint que quelqu’un ne vienne mettre à exécution les menaces de mort proférées à son endroit.

Jeremías vit avec sa femme, Lidia, dans le village de La Concepción, dans la région du Bajo Aguán, sur la côte nord du Honduras. Il a fait trois ans et trois mois de prison pour s’être opposé aux activités d’une compagnie minière d’exploitation de fer dans la montagne de Botaderos, où naissent au moins 30 rivières qui arrosent la vallée d’El Aguán. Il a été libéré en février 2022, mais ne sort plus de chez lui et n’est pas retourné travailler sur ses terres. Il craint que quelqu’un ne veuille se venger.

“D’où viennent les menaces ?
— De la compagnie minière.”

Happé par la machine judiciaire

La compagnie minière Los Pinares, qui appartient à l’une des plus riches et des plus influentes familles du Honduras et d’Amérique centrale, celle du chef d’entreprise Lenir Pérez et de sa femme, Ana Isabel Facussé, avait dénoncé Jeremías Martínez aux autorités pour avoir bloqué entre août et octobre 2018 la route qu’elle construisait afin de transporter le minerai hors du gisement. La plainte concernait une trentaine d’autres agriculteurs, accusés d’incendie criminel, d’enlèvement et d’autres délits censés avoir été commis lors de la mobilisation. La plupart des inculpés sont de Guapinol, un village [voisin de La Concepción] devenu un symbole de la défense du fleuve qui porte son nom. Ce sont eux qui ont le plus farouchement lutté contre la compagnie minière, parce qu’ils consomment l’eau du fleuve.

Jeremías s’est livré à la police en novembre 2018, convaincu de son innocence. Ce n’était pas la première fois qu’il était confronté aux autorités qui gouvernent de facto le Honduras. Dès les années 1990, il avait été happé par la machine judiciaire quand il avait refusé de vendre ses terres aux sociétés agroalimentaires qui avaient des vues sur le Bajo Aguán. Ensuite de quoi il a subi des persécutions et a payé le prix fort pour sa mobilisation en faveur de la terre.

“lls ont tué mon fils aîné, il est mort en luttant pour la terre”, raconte le paysan, qui n’arrive plus à parler, d’émotion. Quand il reprend le fil de son histoire, il raconte que ses autres enfants ont dû s’éloigner du monde rural : quatre sont partis pour les États-Unis, et deux autres ont fondé des foyers en dehors de La Concepción.

Pressions, menaces et impunité

Pour toutes ces raisons, aujourd’hui, Jeremías vit seul avec sa femme et craint pour leur sécurité. La défense de l’eau a déjà arraché la vie à un paysan qu’il connaissait, qui avait participé au barrage routier et avait refusé de se livrer comme les autres. Il s’appelait Arnold Morazán et sa famille a quitté la vallée d’El Aguán. Il a été criblé de balles dans sa maison de Guapinol en 2020, pendant que les autres militants étaient en prison. Jeremías poursuit :

“Ma femme a plus peur que moi. Elle veut que je m’en aille pendant un certain temps.”

Jeremías nous explique qu’en prison il a écrit un corrido [un genre de ballade d’origine mexicaine], et il en chante la première strophe : “J’ai été prisonnier à la Ceiba [prison du nord du pays] / Pour avoir défendu les paysans / À qui on voulait confisquer leurs terres / Et les vendre aux riches / Mais j’ai arrêté cette vague / Et je me suis fait plein d’ennemis.”

Aucun des gouvernements honduriens qui se sont succédé au pouvoir depuis que les militaires ont passé la main, dans les années 1980, n’a réussi à freiner la violence.

Les assassinats de défenseurs de l’environnement se sont multipliés depuis dix ans. Parmi les victimes, Berta Cáceres, l’une des militantes écologistes amérindiennes les plus connues du pays, tuée en 2016 pour avoir défendu ses terres ancestrales contre la construction d’une centrale hydroélectrique qui aurait été dommageable à l’environnement. Cet assassinat a été largement condamné à l’étranger et a révélé à quel point les militants écologistes au Honduras étaient soumis à des pressions et à des menaces.

Une vie politique sous influence

La présidente du Honduras, Xiomara Castro, est au pouvoir depuis un an et son plan de refondation du pays est resté lettre morte. L’un des assassinats qui avaient fait beaucoup de bruit est celui de Carlos Escaleras. Les autorités honduriennes ont reconnu des négligences dans le procès, qui fait désormais l’objet d’une révision après vingt-cinq ans d’impunité.

L’assassinat d’Escaleras a eu lieu le 18 octobre 1997. Ses bourreaux sont allés le chercher dans son entreprise familiale, un garage automobile. Dans un premier temps, ne l’ayant pas trouvé, ils ont annoncé qu’ils allaient l’attendre à l’extérieur. Ils voulaient prétendument lui poser une question à propos d’un pneu. Ils ne le connaissaient pas. Quand il est arrivé à moto, vers 6 heures du soir, ils ont demandé au gardien si c’était bien lui le patron. Le vigile a fait oui de la tête, ils sont entrés et lui ont tiré trois fois dans le dos, sous les yeux de son fils.

Parmi les ennemis de Carlos Escaleras, il y avait Miguel Facussé [le beau-père, mort en 2015, de Lenir Pérez, le propriétaire de la compagnie minière Los Pinares]. Ce dernier avait essayé d’installer une usine d’huile de palme sur les berges de la rivière Tocoa et n’avait pas pu le faire à cause des manifestations organisées par le militant. C’est avec ce même Miguel Facussé que s’étaient battus les paysans et défenseurs des terres du Bajo Aguán à partir des années 1970. Il fait partie des familles dites “turques”, du fait de leurs [lointaines] o