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Automobile : pourquoi Magna choisit de céder l'usine de Bordeaux à Mutares

L'offre de rachat de l'usine Magna Powertrain Bordeaux (MPB/ex-Getrag Ford Transmissions) par le fonds de retournement allemand Mutares, à Munich, annoncée le 23 septembre dernier a fait l'effet d'une douche froide. Aussi bien dans les locaux de l'entreprise que chez les élus locaux.

"Même les cadres dirigeants de l'usine semblaient ne pas être au courant de ce deal tant ils ont eu l'air abattu lors de l'annonce de cette mise en vente", ambiançait ainsi un salarié de l'usine trois jours après ce coup de tonnerre.

Encore échaudés par la fermeture en 2019 de l'usine Ford Aquitaine Industries (FAI), qui fabriquait à Blanquefort des boites de vitesses pour le marché américain, dans un contexte où Ford a refusé de revendre l'usine et ses terrains aux candidats à la reprise  qui frappaient à la porte, comme le groupe Punch, mais aussi et c'est moins connu le constructeur automobile coréen Hyundai, les élus métropolitains ont subi un nouveau choc.

Une très mauvaise première impression...

D'autant que la dernière partie de la saga de Ford Aquitaine Industries, qui plane aujourd'hui comme une ombre sur Magna Powertrain Bordeaux, avait été marquée par l'arrivée surprise en 2009 du fonds de retournement allemand HZ Holding. Alors que Ford tentait de se défaire de FAI, ce fonds n'a rien fait des capitaux qui lui avaient été alloués par Ford pour relancer l'usine, avec à la clé une aide généreuse des collectivités et des services de l'Etat. D'où l'impression ressentie le 23 septembre par les élus de revoir le générique d'un insupportable navet.

"Bordeaux Métropole et la ville de Blanquefort prennent acte de la situation qui a été annoncée aujourd'hui, sans aucune information préalable et qui s'inscrit dans le prolongement d'une série noire sur la zone industrielle de Blanquefort", ont ainsi déploré dès le 23 septembre les représentants de Bordeaux Métropole, dont Alain Anziani (PS) est le président.

"Bordeaux Métropole demande que ce site qui génère plus de 200 millions d'euros de chiffre d'affaires par an et qui bénéficie d'un savoir-faire reconnu dans le monde des équipementiers automobiles puisse avoir un avenir, ont ensuite poursuivi les élus. Les institutions locales (...) seront également particulièrement attentives aux impacts de cette décision notamment sur l'emploi puisque 740 salariés travaillent actuellement sur ce site..."

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Et les élus de terminer leur communiqué par un avertissement :

"Bordeaux Métropole et la ville de Blanquefort demandent que les repreneurs viennent très rapidement leur présenter leurs projets industriels pour le site".

...Pour un grand oral plutôt positif

Malgré plusieurs tentatives de prise de contact de notre part, les représentants de Mutares, qui étaient à Bordeaux depuis le début de la semaine, n'ont pas souhaité répondre aux questions de La Tribune. Ils ont passé leur grand oral devant les élus ce jeudi 29 septembre, au cours d'une réunion à laquelle ont participé tous les responsables politiques impliqués par ce dossier industriel : Alain Anziani, pour la Métropole, Francis Wilsius, conseiller régional et ex-ouvrier de FAI pour la Région, Christine Bost (PS) pour le Département et Véronique Ferreira (divers gauche), maire de Blanquefort.

"Notre vigilance n'a pas bougé d'un iota mais ils ne ressemblent pas à ce que nous avons déjà eu l'occasion de connaître. Ce fonds de retournement semble arriver avec des intentions assez positives. Nous allons surveiller de très près le déroulement de la procédure, en particulier sur la question de l'emploi. Nous leur avons précisé que les élus devraient être associés à chaque étape de cette opération de reprise, ce qu'ils ont accepté", éclaire pour La Tribune Christine Bost, vice-présidente du Département mais aussi de Bordeaux Métropole, qui s'est énormément impliquée aux côtés des salariés lors de la crise de FAI.

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Des retours sur investissement de 7 à 10 fois la mise !

Dans une note de travail commandée par les syndicats, le cabinet Syndex explique notamment que le fonds de retournement Mutares, cible généralement des entreprises dont le chiffre d'affaires se situe entre 100 et 750 millions d'euros. Le financement de l'acquisition se faisant la plupart du temps par une contribution du vendeur.

"La vision financière est au centre de la démarche avec ses corolaires : priorité à la rentabilité de l'investissement (objectif de retour sur capital investi d'au minimum sept à dix fois), approche de court terme impliquant des options de rupture (réalignement et optimisation financiers)", indique Syndex.

Sachant qu'il n'est pas rare que les fonds de retournement, qui impriment un nouveau modèle d'organisation dans l'entreprise rachetée, aient recours à des licenciements massifs pour atteindre leurs nouveaux objectifs. Considérés il y a quelques années encore comme des acteurs économiques ultra sulfureux par les banquiers, les fonds de retournement semblent désormais bien implantés dans le paysage.

Privé de projet, MPB toujours à la main de Ford

La nouvelle du rachat de Magna Powertrain Bordeaux est arrivée dans une entreprise déjà sérieusement déprimée par un manque criant de perspectives. Depuis que l'ex-GFT a décroché en octobre 2014 le marché de la boite de vitesses MX65, qui doit théoriquement s'achever au plus tard en 2026, aucun nouveau projet industriel n'a été annoncé par le groupe Magna pour son usine de Blanquefort. Malgré son chiffre d'affaires de 200 millions d'euros, Magna Powertrain Bordeaux perd de l'argent et la crise du marché automobile déclenchée par la pandémie de Covid-19 n'a fait qu'aggraver la situation. MPB n'a qu'un client, qui est aussi son ancien copropriétaire : le groupe Ford Motor Company, qui contrôle également le terrain où se trouve l'usine de Magna Powertrain.

Un cas de figure un peu cauchemardesque pour les élus de la majorité métropolitaine puisque Ford, également propriétaire des terrains de l'ex-FAI, n'a pas voulu rétrocéder ces derniers à la Métropole et veut y développer des projets qui ont été jusqu'ici contre-carrés par la collectivité, qui défend une stratégie d'implantation industrielle dans cette zone d'activité. Avec un premier clash entre les deux parties  quand Ford a essayé mais en vain de faire venir Amazon à Blanquefort.

"C'est Ford qui décidera au final si la vente de Magna Powertrain Bordeaux à Mutares peut se faire ou non", juge ce connaisseur du dossier.

La baisse des commandes du client plombe  la filiale

Dans un document interne confidentiel récemment mis en circulation que La Tribune a pu se procurer, le groupe Magna revient sur le rôle central joué par le constructeur automobile de Détroit.

"Au niveau de l'usine de Bordeaux, la baisse de la demande en transmissions manuelles est accentuée par l'absence de clients autres que Ford. Les prévisions de production transmises par Ford à Magna sont en constante baisse au cours de derniers mois, ayant notamment nécessité le recours à l'activité partielle en 2021.

De plus, pour la période allant du 1er janvier au 31 août 2022, une différence notable apparaît entre les prévisions de commandes transmises par le client fin 2021 et les quantités réellement commandées à l'issue du mois d'août 2022.

Au mois de décembre 2021, pour les huit premiers mois de l'année, le client avait demandé à l'usine de Bordeaux de fabriquer 276.932 transmissions. En réalité, le client a commandé 198.442 transmissions. La baisse en huit mois a représenté 78.490 transmissions soit une réduction de 28 % entre ces deux programmes", confirme ainsi ce document interne.

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Trois projets identifiés avec trop peu de production

Le groupe Magna veut démonter qu'il a fait des efforts pour trouver une solution à l'absence de perspectives de l'usine de Blanquefort, qu'il a mandaté un cabinet dans ce sens, pendant cinq semaines, mais n'a pu mettre à jour aucune option valable. Ainsi la vente de Magna Powertrain Bordeaux s'est imposée comme le scénario de sortie de crise le plus crédible.

"En novembre 2021, trois pistes majeures avaient été identifiées (assemblage de véhicules électriques, startup dans le secteur de l'électronique en vue de la production d'une machine innovatrice, production de robots tondeuse). Les projets concernaient néanmoins seulement une faible production et donc un besoin en main d'œuvre limité. La mission s'est achevée début 2022. Tous les deux mois, une présentation est faite au CSE sur les projets potentiels. Des études spécifiques sont toujours en cours à ce jour : Vitirover Built To Print (robots tondeuses à gazon), en cours d'étude ; Chargeur Wattpark Built To Print (industrialisation de la fabrication de chargeurs de batteries),en cours d'étude ; Gouach Built To Print (assemblage et réparation de batteries pour des deux roues électriques), en cours d'étude".

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D'où le scénario de la vente pour ouvrir une autre voie

Autrement-dit, personne ne sait encore ce que valent ces trois pistes potentiellement intéressantes. En tout cas, si tant est qu'elles aient des marchés, ces pistes ne peuvent pas dans l'immédiat répondre aux besoins d'activité d'une usine de 740 salariés. Ce qui mène Magna à une conclusion très claire et nette.

"Aucune des recherches entreprises n'ayant abouti à des résultats concluants, Magna a identifié un acquéreur qui pourrait reprendre l'activité et la développer au-delà du contrat MX65 avec Ford (...) L'acquéreur pressenti est Mutares", enchaîne ainsi le groupe canadien.

Le rapport revient ensuite sur le profil de Mutares, qui détient 29 sociétés "réalisant un total de quatre milliards de chiffre d'affaires" avec plus de "20.000 employés dans le monde" et dix bureaux en Europe, dont celui de Paris. Magna souligne la pertinence de Mutares, avec son expérience dans l'industrie automobile et sa demi-douzaine d'entreprises spécialisées dans ce secteur (MoldTecs, SFC Group, PrimoTecs, Cimos, Kico et Iinovis).

"Par ailleurs, Mutares a eu par le passé un certain nombre de succès dans le secteur, notamment avec STS Group ayant récemment rejoint Adler Pelzer", indique le rapport.

Qui précise que le fonds de retournement a acquis en juillet 2021 trois usines filiales de Magna regroupées aujourd'hui dans LMS (Light Mobility Solutions) "en croissance forte" depuis la reprise. Sinon le projet présenté à Magna par Mutares envisage tout d'abord une continuation de l'activité avec Ford jusqu'au 31 décembre 2026, et la transformation de l'usine de Bordeaux en centre de l'activité métal dans l'automobile exploitée par Mutares en France.

"L'ambition est de sécuriser de nouveaux projets automobiles sur le site de Bordeaux répondant à quatre catégories différentes : développements commerciaux sur l'usinage de pièces forgées, développements commerciaux sur des projets récemment reçus en appel d'offre par Mutares, le transfert de volumes de petites pièces vers le site de Bordeaux... ", relève notamment le rapport.

Il reste encore de nombreux sujets à traiter pour arriver au bout de cette transaction qui n'en est qu'à ses prémisses. Parmi les points durs figurent naturellement la préservation de l'emploi mais aussi des statuts des salariés. Même si c'est MPB qui paie l'addition de cette reprise, Mutares aura besoin d'une bonne compréhension de la part des élus et services de l'Etat pour réussir. Le repreneur devrait dépêcher plusieurs consultants dans les services de Magna Powertrain Bordeaux pour un audit de fond et un procédure qui devrait durer jusqu'à décembre. Mais comme le souligne Magna dans son rapport :

"Un protocole a été convenu entre Magna et Mutares, par lequel Magna consent une option de vente à Mutares. Cette option prévoit le droit (mais pas l'obligation) pour Magna de vendre l'usine de Bordeaux à Mutares suite au transfert interne des activités de Bordeaux à une nouvelle entité juridique (« Newco »)".

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