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Banquiers, fonds de pension... Voici les vrais gagnants de la réforme

« Tu comptes sur l’État pour payer ta retraite ? Respire profondément et viens vite tester notre simulateur. » Sur les réseaux sociaux, entre autres, depuis le lancement de la réforme des retraites, les vautours volent au-dessus de l’Hexagone. Le fonds de pension à la française, Papisy, est l’un des plus actifs. Sur Instagram, il promet qu’en plaçant 96 000 euros, le futur retraité pourrait toucher 288 637 euros.

Preuve que la capitalisation fait un retour en force, le site Capital.fr, estimant que la réforme pourrait faire évoluer le montant de la pension « pas toujours favorablement », engage les salariés « à anticiper et à épargner dans cette optique ». Et livre à ses lecteurs son analyse des meilleurs placements du moment. Sur France Info, ce conseiller d’un gestionnaire de patrimoine fait même état d’une augmentation de 80 % en un mois du nombre « de demandes sur notre site Internet pour avoir des informations sur l’ouverture d’un plan épargne retraite ». Les affaires reprennent.

Certes, le millésime 2023 de la réforme des retraites apparaît moins destructeur que celui de 2019-2020. À l’époque, le système par points rendait le montant des futures pensions inconnu et volatil, invitant donc, mécaniquement, les plus hauts revenus à recourir à des plans d’épargne privés pour les compléter. Le texte, alors, affichait même noir sur blanc l’objectif de « renforcer l’attractivité de l’épargne retraite ». Mais « cette nouvelle réforme incite presque autant à avoir recours à la capitalisation, estime le chef de file des députés communistes, André Chassaigne. Quand on affaiblit le système de retraite, on encourage des retraites parallèles, avec ces fonds de pension, afin de garantir à certains des pensions plus importantes ».

« Ce système pousse les salariés à réclamer des primes plutôt que des hausses de salaire »

Pour rappel, l’ensemble de ces mécanismes de capitalisation, appelés « retraites supplémentaires » – pouvant être individuels ou collectifs (dispositifs d’entreprise) – sont proposés par des banques, des assurances ou des mutuelles (Axa, AG2R, Crédit agricole assurances, ou encore Malakoff Médéric). Celles-ci les gèrent ensuite elles-mêmes ou les confient à des gestionnaires d’actifs, comme Amundi Groupe. Selon les chiffres de la Direction de la ­recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le montant total des actifs de cette « retraite supplémentaire » dépasse désormais les 250 milliards d’euros, contre 205 milliards d’euros en 2015 et concerne 14,3 millions de personnes. « Cela représente plus de 4,5 millions d’adhérents supplémentaires en dix ans », estime l’organisme.

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Un montant important qu’il convient toutefois de ­relativiser. D’une part, celui-ci ne représente que 4 % du stock d’épargne financière des Français, pointe la Banque de France. À titre de comparaison, l’assurance-vie représente 1 700 milliards d’euros et les livrets réglementés (livret A, LDD) environ, 400 milliards. D’autre part, ces produits ne représentent que « 2,1 % de l’ensemble des prestations de retraite versées », contre 7,1 % en Allemagne, 48,4 % au Royaume-Uni et 17,6 % en moyenne pour les pays de l’OCDE, calcule la Drees. En tout, 7 milliards d’euros de « retraites supplémentaires » sont versés chaque année, pour un total de 330 milliards versés par le régime par répartition obligatoire. C’est dire si l’épargne retraite constitue une potentielle manne pour les assoiffés de la finance.

Depuis quelques années, Emmanuel Macron et ses gouvernements œuvrent pour rendre plus attractifs ces produits de capitalisation et développer le marché. Avec la loi Pacte, votée en 2019, deux dispositions ont impulsé le mouvement : la création de fonds de pension à la française – organismes de retraite professionnelle supplémentaire – associés à des assouplissements réglementaires.

L’autre big bang a été de simplifier au maximum ces produits d’épargne retraite – Préfon, plan d’épargne retraite populaire (PER), contrat Madelin – en les regroupant en un seul dispositif, le plan d’épargne retraite individuel ou collectif. « Des produits plus risqués que la plupart des anciens produits d’épargne retraite qui n’offrent plus un taux minimum garanti (par exemple un rendement de 2,5 à 3,5 % par an) », analysait dans une note l’économiste Maxime Combes. « Une partie de l’épargne constituée peut donc être perdue en fonction des évolutions du marché », poursuit-il. Pour attirer le chaland, le gouvernement a surtout aligné la fiscalité de l’épargne retraite sur celle de l’assurance-vie. Résultat, l’épargne retraite a gagné 700 000 adhérents entre fin 2019 et fin 2020 grâce, en grande partie, au succès rencontré par le PER. Créé il y a tout juste trois ans, celui-ci affichait 6 millions de titulaires fin juin, soit le double de l’objectif fixé pour décembre 2022, le tout, pour un montant total de 70 milliards d’euros.

Ce système « pousse les salariés à réclamer des primes plutôt que des hausses de salaire, car ce sont les primes qui alimentent les plans d’épargne retraite », expliquait ­récemment, dans nos colonnes, Régis Mezzasalma, conseiller confédéral CGT. Conséquences : le versement de ces primes – parmi lesquelles la « prime Macron » dont le plafond a été multiplié par trois à l’été –, exonérées de cotisations, participe du siphonnage des ressources de la protection sociale. « L’exécutif sait qu’il faudra maintenir la retraite par répartition, mais il veut favoriser en parallèle l’essor des surcomplémentaires et préparer ainsi le terrain au marché », résume le syndicaliste. Une machine bien huilée pour développer toujours plus le système de capitalisation et la marchandisation des pensions.