France
This article was added by the user . TheWorldNews is not responsible for the content of the platform.

Billets de Roland-Garros: une plainte vise les dirigeants de la fédération de tennis

Après le tsunami social, voici la tempête judiciaire. Sept dirigeants ou anciens dirigeants de la Fédération française de tennis (FFT) ont déposé le 16 mars au Parquet national financier (PNF) une plainte pour  « corruption » et « détournement de billets » de Roland-Garros. Si la plainte a été déposée contre X, elle vise clairement l’actuel président de la FFT, Gilles Moretton, ainsi que deux de ses proches, le trésorier général de la fédération, Jean-Luc Barrière, et Hughes Cavallin, auquel Moretton doit son accession à la présidence et qui a un temps son directeur de cabinet.

La plainte, dont RMCSport puis l’Agence France-Presse ont mentionné l’existence sans en connaître le détail, éclabousse aussi la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, qui, du temps où elle était directrice générale de la FFT, de mars 2021 à mai 2022, a apporté sa voix à un vote au sein du comité exécutif pour que l’affaire soit étouffée. Alors que Mediapart a récemment révélé que la fédération avait connu une hémorragie sociale sans précédent du fait d’un management brutal, cette plainte risque de plonger celle-ci dans une crise grave.

Illustration 1
Le président de la FFT, Gilles Moretton, Amélie Mauresmo, directrice générale de Roland-Garros, et Amélie Oudéa-Castéra lors d'une conférence de presse au stade Roland-Garros le 16 mars 2022. © Photo Christophe Saidi / Sipa

Depuis des mois, beaucoup supputaient que derrière l’accession de Gilles Moretton à la présidence de la FFT  pointait peut-être la vente suspecte des billets du célèbre tournoi du Grand Chelem. Mediapart s’est fait l’écho à plusieurs reprises de cette hypothèse, évoquée aussi par L’Équipe en 2021 dans une une enquête.

À Roland-Garros, les 80 places « VIP Gold » de l’agence d’intérim Adequat

Si cette plainte, que Mediapart a pu consulter, retient l’attention, c’est qu’elle révèle de nombreux faits et documents qui viennent étayer cette hypothèse. Ce sont sept figures connues de la FFT, pour beaucoup partisanes de l’ancien président, qui l’ont déposée, dont Alain Moreau (président de la Ligue Nouvelle-Aquitaine), Pascal Da Costa (membre du Conseil supérieur de tennis) ou encore Thierry Grandgeorge (ancien président de la Ligue Centre-Val de Loire).

Voici donc l’enchaînement des faits, tel que le décrivent les plaignants, qui ont pour conseil Me Jean-Pierre Versini-Campinchi. Tout commence presque par hasard. En 2020, une agence d’intérim, Adequat, met en ligne un communiqué se réjouissant d’avoir pu disposer à Roland-Garros de « 80 places “VIP Gold” sur dix jours, grâce à son partenariat avec la Ligue de tennis Rhône-Alpes-Auvergne », à l’époque présidée par Gilles Moretton. Le communiqué poursuit : « L’occasion pour nos responsables d’agences d’inviter chacun leurs clients à venir profiter du magnifique cadre et des rencontres sportives. »

Problème, ce type de partenariat n’est pas autorisé. Les ligues régionales ou les comités disposent chaque année d’un quota de billets pour leurs adhérents et adhérentes ou des opérations de relations publiques, mais il leur est interdit d’en faire commerce.

Illustration 2
Amélie Oudéa-Castéra et Gilles Moretton en couverture de « Tennis Info », le magazine de la FFT.

Sur ce problème de régularité, Mediapart a interrogé tous les protagonistes de l’affaire. On trouvera leurs réponses en version intégrale dans les annexes de cet article. Le président de la FFT affirme que dans cette plainte, il « voit poindre l’ombre des boules puantes » qui ont entouré la campagne conduisant à son élection.

« Il n’y a aucun détournement de billets, assure-t-il. La fédération met à la disposition des ligues un quota de billets. Elles ont toute latitude de les utiliser dans le cadre de leurs partenariats, avec leurs sponsors, pour des usages de relations publiques. [...] Toutes les ligues ou presque faisaient de même. Cet usage était parfaitement conforme au règlement. » « Il n’y a aucune corruption, aucun détournement, ni quoi que ce soit de ce genre », insiste-t-il.

Quoi qu’il en soit, le président de la fédération de l’époque, Bernard Giudicelli, a demandé à la direction financière de la FFT de conduire une mission de contrôle et d’audit des contrats et politiques de partenariat au sein de tous les organismes décentralisés de la fédération. Ce à quoi s’est aussitôt opposé le trésorier général de la FFT, Hughes Cavallin, devenu un soutien de Gilles Moretton dan la course à la présidence : « Je ne peux, en l’état, m’associer à cette démarche », a-t-il répondu par courriel. 

Interrogé par Mediapart, Hughes Cavallin a indiqué qu’il s’était opposé à cet audit pour des raisons de forme et non de fond. « Cet audit, provoqué au moment de la pré-campagne électorale, est bien un audit de circonstance », nous a-t-il dit.

Le Comité de Paris également concerné

Tout de même lancé, l’audit révèle que le Comité de Paris, l’un des plus importants de la fédération, présidé par Jean-Luc Barrière mais dont Hughes Cavallin reste un personnage central, a lui aussi détourné de son quota 40 places pour le tournoi de 2019, au profit de l’agence de relations publiques As Events. Cette société a été créée, et est toujours dirigée, par la compagne de Hughes Cavallin. L’actuelle cheffe de cabinet de Gilles Moretton à la FFT,  Sandrine Delord, l’a cofondée, mais n’en est plus actionnaire. 

Ce chiffre de 40 places apparaît dans un listing établi par la billetterie de Roland-Garros et les plaignants fournissent dans les annexes de leur plainte la liste des récipiendaires de ces places.

Illustration 3
Un extrait du listing de la billetterie.

Interrogée par Mediapart, la dirigeante de l’agence assure que sa société « n’a commandé, reçu et réglé, que 4 places au Comité de Paris » Pour les 36 autres billets, « il n’existe aucun lien entre le Comité de Paris et As Events autre que celui de la transmission des billets » : « Ma boîte [mail] personnelle (qui est également ma boîte professionnelle) a servi de boîte de transmission uniquement pour faciliter la tâche de la personne en charge de la saisie au Comité de Paris et pour rendre service à des connaissances, amis ou famille qui sont passés par mon intermédiaire pour commander des places au prix facial. »

Compagnon d'Agnès Bourguignon, Hughes Cavallin a avancé des arguments voisins. « Le Comité s’est contenté de vendre des places au prix facial, non pas au profit d’As Events mais de particuliers, d’élus du Comité, de partenaires, de clubs, d’institutionnels, comme toutes les Ligues et Comités de France. »

Un premier rapport d’étape, achevé par le direction financière de la FFT en octobre 2020, relève que plusieurs ligues ou instances délocalisées ne sont pas dans les clous. Mais c’est particulièrement la Ligue de tennis Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Gilles Moretton, qui est pointée du doigt. On y découvre que la valeur du « package » des 80 places apportées au profit de l’entreprise d’intérim est de 88 720 euros.

Le rapport contient aussi plusieurs avis juridiques recueillis par la FFT soulignant l’irrégularité qui aurait pu être commise. Dans la foulée, le président Bernard Giudicelli saisit la commission fédérale des litiges.

C’est à ce moment-là que l’histoire s’emballe. Elle intervient en effet en pleine bataille pour la présidence de la FFT, qui oppose Bernard Giudicelli à Gilles Moretton. Initialement, Bernard Giudicelli bénéficie du soutien de Hughes Cavallin et donc du Comité de Paris. Mais Hughes Cavallin crée la surprise en changeant de camp à la fin de la campagne.

Selon Hughes Cavallin, son changement de camp n’a rien à voir avec la crainte des résultats de l’audit. « Ce n’est pas une crainte quelconque d’un audit qui a motivé ma décision de ne pas figurer sur une des listes candidates, affirme-t-il. Mais c’est parce que j’ai décidé de ne plus figurer sur la liste de Bernard Giudicelli que celui-ci a décidé d’élargir cet audit interne. Nous ne sommes donc pas dans une réaction de peur de ma part mais bien dans une réaction de vengeance de la part de Bernard Giudicelli. »

Le 13 février 2021, Gilles Moretton, qui a aussi eu le soutien pendant toute la campagne d’Amélie Oudéa-Castéra, remporte la victoire. Devenu président de la FFT, il prend rapidement des décisions importantes pour notre histoire.

Le premier comité exécutif (dont le procès-verbal est ici) se tient le 14 février 2021, le lendemain de l’élection. Malgré l’affaire des billets offerts par le Comité de Paris, qui a fait grand bruit pendant la campagne, son président Jean-Luc Barrière est promu trésorier général de la fédération. La proposition fait l’unanimité des 17 présent·es, dont Amélie Oudéa-Castéra.

Amélie Oudéa-Castéra vote en faveur de l’enterrement de l’affaire

Un second comité exécutif se tient quatre jours plus tard. À l’unanimité des 18 présent·es, y compris Amélie Oudéa-Castéra, Hughes Cavallin est promu chargé de mission – il deviendra vite directeur de cabinet, poste spécialement créé pour lui. Et en fin de réunion, abordant les « questions diverses » en l’absence de Gilles Moretton qui « a déjà quitté la réunion », le « comex » décide de « retirer les saisines » de la commission des litiges à l’encontre de Hughes Cavallin, de Jean-Luc Barrière et de Gilles Moretton.

Motif : la commission de justice fédérale avait estimé à l’époque de la saisine que la procédure n’était valide que s’il y avait urgence, condition « non remplie en l’espèce ». Le vote est acquis à l’unanimité des présent·es, dont Amélie Oudéa-Castéra, moins une abstention. Dans la foulée, le « comex » décide aussi de « mettre fin à la mission confiée par la FFT à Maître Emmanuel Daoud pour la représenter dans ce dossier ». En résumé, l’affaire est enterrée. 

Illustration 5
Lors du tournoi de Roland-Garros en mai 2022. © Photo Christophe Archambault / AFP

Sur ce point, Amélie Oudéa-Castéra nous a fait savoir qu’elle n’avait pas la possibilité de nous répondre compte tenu de l’obligation qui lui a été faite de se déporter de tous les sujets concernant la FFT, et nous a renvoyé vers Matignon. Connaissant visiblement mal le sujet, les services de la première ministre nous ont indiqué qu’Amélie Oudéa-Castéra « n’a pas participé aux décisions de nomination » – ce qui est contredit par les procès-verbaux des réunions concernées. « Soyez assuré qu’Amélie Oudéa-Castéra, dont l’engagement en matière d’éthique est connu, a toujours réalisé sa mission dans le respect des règles applicables », évacue Matignon.

Une ultime décision a été prise à l’époque. Dans les « Règlements administratifs » qui encadrent la vie de la FFT, un article est modifié : l’interdiction faite de « prévoir des contreparties liées aux événements organisés par la Fédération elle-même » est abrogée. Pour les plaignants, il s’agissait « ni plus ni moins de supprimer l’obligation [que les nouveaux dirigeants] avaient allègrement violée ».

La plainte affirme aussi qu’un délit de corruption aurait été commis, en listant la tentative de Hughes Cavallin de s’opposer à l’audit, puis son changement de camp en soutien de Gilles Moretton et enfin sa promotion comme directeur de cabinet, tout comme celle de Jean-Luc Barrière.

Hughes Cavallin conteste cette interprétation : « Je n’ai demandé aucune promotion à Gilles Moretton. Mais devant l’absence de “transmission républicaine” des dossiers par les élus et le président de la précédente équipe, il a souhaité faire appel à [...] quelqu’un qui avait une bonne connaissance du fonctionnement fédéral », nous a-t-il déclaré.

Il appartient désormais au PNF de décider s’il ouvre une enquête sur ce dossier. Une certitude : il connaît déjà très bien ce type de dérives puisqu’à la suite d’un rapport puis d’un signalement d’un inspecteur général de la jeunesse et des sports voici presque sept ans, il avait déjà ouvert une enquête préliminaire visant un possible détournement des billets de Roland-Garros dont étaient suspectés les dirigeants des mandatures précédentes. Très lente, cette enquête est désormais achevée et, selon nos informations, le PNF doit prochainement décider s’il prend ou non une ordonnance de renvoi en correctionnelle.

Outre les mis en cause déjà cités, le professeur de droit Franck Latty, président du comité d’éthique de la FFT, pourrait aussi être éclaboussé par la nouvelle plainte : le comité d’éthique avait la possibilité de s’auto-saisir, mais ne l’a pas fait. 

Franck Latty fait partie des douze personnalités récemment choisies par Amélie Oudéa-Castéra pour créer le  Comité national d’éthique du sport. Interrogé, il objecté que le comité d’éthique de la FFT ne s’était pas saisi du dossier car il n’avait pas la compétence de « traiter de questions juridiques » et qu’il « a suffisamment à faire pour ne pas se saisir d’office sur le fondement de “rumeurs” » véhiculées dans la presse.