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Biodiversité, le moment européen

Ils sont sortis des rangs de l’assistance et se sont dirigés d’un pas décidé vers l’estrade. L’une d’eux défendait les lucioles, un deuxième les glaciers, d’autres voulaient protéger le lac Tchad ou les lacs de Berlin dans leur écrin de verdure. À la fin, ils furent cinquante sur scène achevant avec fougue et émotion une pièce de théâtre amateur intitulée En vert et avec tous.

Préparée avec le metteur en scène Julien Avril, la représentation concluait un après-midi de débats et de rencontres organisé par l’Académie Notre Europe de l’Institut Jacques-Delors (1). Plusieurs orateurs avaient fait état d’un étonnant paradoxe. La lutte contre le changement climatique est bien partie ; elle bénéficie d’un soutien majoritaire dans l’opinion ; les industriels endossent le cadre d’action adopté dans un processus dynamique et ambitieux, y voyant un possible avantage compétitif face à la concurrence américaine ou asiatique. En revanche, la protection de la nature fait flop.

La préservation de la biodiversité ne mobilise guère, notamment parmi la jeunesse– où est la Greta Thunberg des abeilles ? Des géants de l’industrie chimique multiplient les manœuvres pour empêcher l’adoption d’objectifs contraignants limitant le recours de certains herbicides et pesticides – leurs intérêts commercial et financier, c’est la destruction des sols ! Et les principales organisations d’agriculteurs européennes regardent ailleurs. Elles défendent un modèle d’agro-industrie taillé pour l’exportation – il faut bien nourrir la planète. Les papillons et les salamandres attendront. Or, explique Frans Timmermans, chargé du dossier à la Commission européenne : « On ne peut pas sauver le climat si on ne sauve pas la nature. » Il faut notamment restaurer et augmenter la superficie des terres, forêts, tourbières, espaces littoraux, qui stockent le carbone dans le sol et améliorent la rétention d’eau.

En ce mois de juin, la bataille législative bat son plein dans les antichambres du Parlement européen et du Conseil des ministres de l’Union européenne, présidé par la Suède. Frans Timmermans a présenté la proposition de la Commission il y a un an. Son projet de directive « pour la préservation de la nature » entend augmenter la superficie des terres et des zones protégées dans l’UE. Sept domaines d’action sont désignés, notamment l’inversion du déclin des pollinisateurs ou l’arrêt des pertes nettes d’espaces verts urbains. Cent milliards d’euros seraient mis sur la table.

L’application concrète de la loi serait confiée à chaque pays, sous la supervision de la Commission. La Suède s’active pour aboutir à un compromis entre États avant la fin du mois. Au Parlement européen, la commission pour l’environnement, présidée par le Français Pascal Canfin, doit adopter le 15 juin son propre projet. Dialogue et trilogue prendront encore plusieurs mois. Lorsque le texte, plus ou moins ambitieux, sera adopté, les Vingt-Sept s’engageront sur des objectifs contraignants à horizon 2030, 2040 et 2050.

Devant la promotion de l’Académie Notre Europe, réunie le 2 juin pour la remise des diplômes, Frans Timmermans a résumé les crises majeures pour l’humanité qui s’accumulent, avec des impacts sociaux redoutables : « écocide », changement climatique, ­révolution numérique et déploiement de l’intelligence artificielle – qui « remet en question l’image que nous avons de nous, humains ». Mais il a plaidé pour l’optimisme et la confiance dans l’action politique. Sa ­recommandation : ne pas s’accrocher au présent, ni à la nostalgie, « ce nouvel opium du peuple ».