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«Bones Bay», le courage des oiseaux

Cet article est tiré du Libé spécial auteur·es jeunesse. Pour la quatrième année, Libération se met aux couleurs et textes de la jeunesse pour le Salon du livre de Montreuil qui ouvre ses portes le 30 novembre. Retrouvez tous les articles ici.

Les personnages de Bones Bay ont reçu leur dose de coups, de déceptions et de blessures. Comment ne pas capituler devant la réalité, les fantômes qui vous hantent ou la violence qui menace ? Taukiri et Arama sont les héros de cette histoire qui a pour cadre – peu habituel en littérature étrangère – la Nouvelle-Zélande. Le premier a 17 ans et, au moment où s’ouvre le roman, il abandonne son petit frère âgé de 8 ans, Arama, après le décès de leurs parents. Le jeune homme fuit sur une autre île avec l’espoir d’échapper à sa culpabilité et à l’héritage familial. Il confie Arama à leur tante Kat, inoubliable personnage, parangon de défaite et de renoncement, et à son mari, Stu, être froid et brutal. Pour Taukiri, mieux vaut l’abandon que de le laisser à une épaule défaillante, la sienne, mieux vaut le vide que la pointe du couteau d’un trauma qui recouvre tout jusqu’aux racines. Il part, peut-être, pour mieux définir un passé qui chaque jour revient à lui sous une forme opaque, faite de sable et d’obscurité.

«J’étais peut-être juste un fantôme»

Arama ne va pas renoncer. Alors que son oncle Stu fait régner dans la maison un climat de violence permanente, dont fait les frais leur tante Kat, le petit garçon garde l’espoir que Taukiri revienne le chercher. Arama est ce garçon à la fois vulnérable et courageux, qui chaque jour souffre et qui, pourtant, chaque jour espère. Pour atténuer ses angoisses, Arama a besoin d’apposer des sparadraps partout : «J’en ai mis un autour de mon pouce, et ça m’a fait du bien. Alors j’en ai mis un aussi sur mon genou. Puis un autre sur mon front, et un autre sur l’autre genou, et j’en ai mis aussi sur ma nuque, sur ma poitrine, j’en ai mis un sur mon nombril et quand y a plus eu de sparadraps, j’ai arrêté de chercher des endroits où j’avais mal.» Arama est ce garçon qui vous étreint le cœur à chaque fois qu’il prend la parole. C’est celui qui, au milieu du chaos, fait passer la lumière, quand bien même «l’éclat désolé du monde» serait partout.

Il trouvera un peu de réconfort auprès de la frondeuse Beth, sa jeune voisine, qui décore sa chambre en rose comme dans une maison de poupées, et voue en même temps une admiration sans bornes pour le film Django de Tarantino, dont elle cite les dialogues par cœur. La violence et l’enfance se côtoient sans fin. Les enfants de Bones Bay sont des oiseaux courageux, qui se pensent déjà fantômes et cherchent à chanter dans le vent glacé. «J’avais peur d’aller courir dehors dans le monde alors que personne, sans doute, me remarquerait, parce qu’ils étaient tous trop occupés à pas se faire aspirer dans le trou avec l’eau du bain, et peut-être même qu’ils se demanderaient si j’avais vraiment été là, car j’étais peut-être juste un fantôme et pourquoi auraient-ils gâché leur précieux temps pour chercher un fantôme ?»

Epiphanies quotidiennes

Empreint de culture maorie, Bones Bay va, tour à tour, épouser les voix de Taukiri, Arama, et celles plus énigmatiques d’un couple, Jade et Toko, dont on apprendra grâce à un puzzle sidérant leurs rôles dans la vie des deux premiers. L’autrice néo-zélandaise Becky Manawatu étend plusieurs fils narratifs, impose un rythme tendu jusqu’à l’effroi (la dernière partie s’approche du roman noir) et protège de sa plume les femmes, les enfants, les sans-chance, les pauvres, les trop tendres. Elle réussit à déployer de minuscules épiphanies quotidiennes (des bonbons, le son d’une guitare, l’océan, un chien qui fait l’idiot, un regard qui défaille) qu’elle contrarie quelques pages plus loin en narrant la violence des gangs, le sang, les insultes. Elle nous parle de ces vibrations de lumière, de ces murmures de vie qui font trembler les pages de ce premier roman impressionnant. Publié Au vent des îles, maison d’édition basée à Tahiti, Bones Bay charrie, tel un tsunami déversant ses éboulis de terre et d’eau, sa part de souffrance et d’humanité. Beau et poignant.

Becky Manawatu, Bones Bay, traduit de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par David Fauquemberg, Au vent des îles, 430 pp., 23€.