Exclusif - Entrez dans le quotidien de Brady McCollum, le CEO de Crunchyroll. Découvrez comment le responsable de la première plateforme de SVOD dédiée à l'animation pilote ses équipes, quels sont les marchés qui attirent son attention et quels sont les sujets dont l'anticipation titillent son imagination…
En l'espace de 17 années, Crunchyroll, s'est imposé comme le leader mondial des plateformes de SVOD spécialisées dans l'animation. Fusions, achats, le géant possédé par Sony USA est aujourd'hui un mastodonte présent sur de très nombreux marchés : diffusion d'anime, publication de manga (en France et en Allemagne), création de merchandising, superviseur de licences, co-producteur… La liste est aussi remplie que l'emploi du temps de son CEO. C'est à Japan Expo, lors d'une mini table ronde en présence de Jasmine Valentine et Matthias Holm que nous avons pu nous entretenir avec Brady McCollum, le CEO de Crunchyroll, qui nous as confié dans un rare moment d'intimité ses attentes pour les années à venir. Morceaux choisis :

Linternaute.com : Comment se déroule une journée type d'un CEO comme vous ?
Brady McCollum : Tous les jours j'échange avec les différentes équipes, et il y en a énormément. Les sujets sont très variés, celà peut aller de " comment améliorer nos localisations " à " quels nouveaux marchés doit-on cibler " tout en passant par " quelles sont les séries que nous souhaitons mettre le plus en avant " et bien entendu " comment continuer à améliorer notre catalogue, aussi bien en terme de fond que de nouveautés à ne pas manquer ".
En France et en Allemagne nous avons aussi des équipes éditoriales dédiées aux publications de manga. J'échange aussi beaucoup avec ces dernières.
Sans oublier les équipes techniques qui vont vivre nos services et applications.
Enfin, une partie de ma journée type consiste à analyser nos chiffres et à pousser une veille du marché. Voir comment nous performons en tant que société de divertissement, trouver des axes ou point d'améliorations et anticiper le prochain marché à conquérir. L'exercice de projection à 2-5 ans est assez excitant.
Quelles ont été vos plus grosses surprises, en termes de licence, ces trois dernières années ?
On a réussi à s'imposer dans les sorties en salle de cinéma de manière régulière. Par exemple cette année avec la distribution des films Suzume, Jujutsu Kaisen et Dragon Ball Super Heroes. Ces films ont réalisé de superbes percées au Box Office dans la majorité des pays avec lesquels nous avons eu la chance de travailler.
Au niveau de la SVOD on avait de grosses attentes autour de Demon Slayer et nous les avons largement dépassées dans tous les segments. Nous sommes très excités de voir les sommets que va atteindre Spy x Family. Très souvent les blockbuster de type shonen marchent auprès de notre public, comme Demon Slayer ou One Piece. Mais Spy x Family a en plus une énorme capacité de recrutement de nouveaux spectateurs. C'est une série qui s'affirme comme une superbe porte d'entrée à notre catalogue.
Comment et pourquoi Crunchyroll a réussi à s'imposer sur le marché de la svod d'anime ?
Il y a de nombreux acteurs aujourd'hui dans le streaming d'anime. Ce qui nous pousse à donner le meilleur de nous même à Crunchyroll c'est notre approche centrée autour des licences et des fans. Nous essayons de regarder au-delà de la SVOD, de construire une relation avec les fans autour de ces magnifiques IPs que nous gérons qui transcendent le streaming. C'est pour celà qu'aujourd'hui nous avons des sorties au cinéma, que nous avons des goodies, mais aussi des jeux vidéos et peut être encore d'autres choses à l'avenir. En celà, nous nous rapprochons des éditeurs japonais qui ont une approche 360°. Nous permettons aux fans d'interagir avec leurs licences au quotidien, au-delà de leur rendez-vous récurrent avec leur série préférée sur notre plateforme, que ce soit une diffusion hebdomadaire ou autre.
Ce qui nous a permis d'obtenir cette position de leader, c'est de connaître et comprendre les communautés de fans, afin de leur offrir la meilleure expérience possible en ligne et hors ligne. C'est un cap que nous gardons en tête au quotidien, aujourd'hui il ne suffit pas d'acheter la dernière licence tendance pour faire plaisir aux fans.
Est-ce que vous avez pour projet de vous intéresser aussi aux classiques de l'animation japonaise ?
Tout à fait. Aujourd'hui notre catalogue contient plus de 46 000 épisodes de dessins animés, pour plus de 1 300 séries, plus de 24 000 heures (2,7 ans) de visionnages continue. Nous avons d'incroyable nouveautés qui arrivent dans notre catalogue en octobre, par exemple Solo Leveling sur lequel nos attentes sont très élevées. Nous ajoutons en moyenne une quarantaine de titres par saison, notre équipe en charge du contenu s'intéresse bien entendu aux nouveautés mais travaille aussi à étendre le catalogue à d'anciennes séries. La nostalgie est un vecteur important chez les fans.
Avez vous des nouvelles à propos d'une sortie de Macross Do You Remember Love le film ou la série Macross en dehors des USA ?
Comme vous le savez, les droits ont été bloqués pendant un long moment par un procès, mais ce dernier a enfin été réglé. Cependant il reste des ajustements et alinéas légaux à assurer. Je peux vous affirmer que c'est une licence phare pour notre équipe de contenu et qu'elle a à cœur de pouvoir la proposer aux fans du monde entier. Mais pour l'instant il est encore trop tôt pour partager plus d'informations.
Est-ce que dans vos projets de diversification et de globalisation vous avez en tête de proposer les comédies musicales adaptés de manga sur Crunchyroll ?
D'un point de vue globale, la musique est intrinsèquement liée aux fans d'animation. C'est un domaine très important et dans notre promesse de proposer une expérience 360 à nos usagers c'est un vecteur que nous avons en tête. Nous avons mis à dispositions de nos abonnés plusieurs concerts et clips par le passé. Les comédies musicales ou le théâtre 2.5D adaptés de séries phares sont des sujets que nous étudions.
On a l'impression que Crunchyroll manga se focalise sur les blockbusters. Est-ce la nouvelle ligne éditoriale ?
Quand on achète un titre, on ne sait pas encore s'il va devenir un blockbuster. Par exemple Chainsaw Man, c'était plus de l'ordre du pari lié à notre amour ce titre qu'une certitude qu'il rencontrerait son public en masse. Je ne dirais pas que nous cherchons exclusivement les blockbusters d'un point de vue éditorial, notre priorité est de satisfaire nos lecteurs, nous cherchons donc avant tout les titres les plus à même de leur plaire.

Est-ce que vous gérez encore les mangas par pays ou bien allez vous signer des licences partout où vous publiez des mangas ?
Je ne peux pas rentrer dans les détails des contrats, mais je peux vous dire que nous respectons les spécificités de chaque marché. Il y a des différences entre les lectorats français et allemands mais bien sûr, nous sommes plus heureux quand nous arrivons à faire vivre une licence dans le monde entier, car nous n'achetons les droits que de titres dans lesquels nous croyons, pour lesquels nous avons un affect éditorial.
Comment est-ce que la grève des comédiens de doublage vous impacte ? En particulier vis à vis du simulcast ?
C'est très récent (NdlR l'interview a eu lieu à Japan Expo le 14 Juillet 2023), pour l'instant nous sommes encore en train d'essayer de mesurer l'impact de cette grève sur nos pipelines de production. Nous avons pour objectif de fournir les doublages de la meilleure qualité pour nos fans. C'est même un devoir, alors nous continuerons de faire du mieux que nous pouvons selon les contraintes qui nous seront imposées.
Disney vient aussi de se lancer dans le marché du streaming d'anime. Que pensez-vous de l'entrée de ce mastodonte sur un marché déjà bien chargé ?
D'un point de vue de licenseur, même si la compétition rend les acquisitions plus difficiles, celà permet d'exposer les animes sur un plus grand nombre de services. Et donc, in fine, de toucher un plus grand public. Je pense que nous sommes encore loin du plafond d'audience des fans d'animation. Nous sommes donc content de voir de nouvelles opportunités pour les fans de demain de découvrir ce médium que nous aimons tant.

Plusieurs producteurs d'animations ont déclaré ne pas aimer les player accélérés comme celui de Netflix. Quel est le point de vue de Crunchyroll sur ce sujet ?
C'est une question intéressante, je n'ai pas toute notre roadmap technique en tête, mais je note ce retour.
Pourquoi est-ce important pour Crunchyroll d'être présent dans de nombreux comités de productions ?
On pourrait croire que c'est pour avoir un temps d'avance sur l'acquisition d'une licence, mais en fait ce qui est important c'est de pouvoir partager nos analyses sur les goûts des fans d'anime du monde entier. Pour aider les productions au-delà d'un aspect pécunier, nous partageons un maximum de données avec les équipes des studios. Pour les aider à ajuster, si besoin, les histoires, les rythmes, à choisir entre deux sujets. Et on l'espère tous, pour pouvoir produire le nouveau " hit " de demain.
En parlant de données, quelle est la première donnée qui vous vient en tête ?
Nous faisons énormément d'analyse de données. Et nous avons même un service en charge des projections. Pour vous dire à quel point les attentes sont gigantesques, nos analystes prédisent qu'en 2025 il y aura entre 30 et 33 millions d'abonnés à des services de streaming d'anime dans le monde. C'est excitant de voir à quel point la population des fans d'animation japonaise à grandit.
Quand vous parlez de fans, vous pensez aux fans d'anime ou aux fans de Crunchyroll ?
Je pense un peu aux deux. La licence est le vecteur principal bien entendu. Et de nombreux fans se réclament fans d'une série X ou Y. Mais c'est important pour nous qu'ils disent aussi que le meilleur endroit pour regarder des anime est sur la plateforme Crunchyroll. Que nous soyons aussi un gage de qualité pour tester et découvrir de nouvelles séries.
Que pouvez-vous nous partager sur les succès de la division merchandising de Crunchyroll ?
C'est une catégorie essentielle pour nous. Nous voyons que les fans désirent poursuivre leurs expériences d'une licence au-delà du visionnage ou de la lecture et nous avons un grand plaisir que de pouvoir leur proposer de les accompagner. Nous venons de lancer un partenariat avec Fashion UK qui a explosé toutes nos attentes, ainsi qu'une collection NBA x My Hero Academia. Mais aussi des produits autour de la licence Bananya en partenariat avec Gucci. En termes de chiffres, je ne peux rien vous partager, désolé (rires).
Au Japon, pour la sortie du film d'animation Spy x Family un partenariat a été noué avec la licence Mission Impossible. Est-ce que vous avez une opération de ce style en tête ?
Les films d'animations sont de base un bon médium pour faire percer des licences au-delà du cercle des fans d'anime. Une licence comme Spy x Family, qui a un potentiel à percer ce plafond de verre est une licence que nous souhaitons accompagner au maximum, dans l'ensemble des territoires où il y aura une sortie en salle. Je ne peux pas vous donner de détails spécifiques, mais nous allons bien entendu faire tout notre possible pour que cette sortie soit un succès non seulement en terme d'entrées en salle mais aussi en terme de conversion en fan de la licence, voir même fan de streaming d'anime.
Est-ce qu'il vous arrive de pousser certaines licences auprès des ayants droits pour une adaptation en anime ?
Nous partageons avec les éditeurs japonais les attentes de nos lecteurs. Je ne sais pas si celà pousse à une adaptation, mais en tout cas ça ne peut pas y nuire.
Nous avons ainsi pu anticiper les succès de Chainsaw Man et Mashle. Ou encore récemment confirmé les attentes très fortes autour de Kaiju No8 dont l'annonce d'adaptation en anime a eu un écho gigantesque auprès des fans et in fine sur les réseaux sociaux du monde entier.
À l'opposé d'un service comme Netflix, vos licences s'affichent pour un temps très long dans votre catalogue. Pourquoi et comment faites vous cela ?
Tout d'abord, de nombreuses séries ont un nombre d'épisodes conséquent. En centaine voire en millier, nous ne souhaitons pas contraindre les utilisateurs à faire un binge watching qui nuirait à leur appréciation d'une série. C'est pourquoi nous souhaitons qu'elles restent longtemps.
De plus, contrairement à nombre de nos concurrents, notre modèle économique intègre du partage de revenus, donc nous avons des partenaires qui sont heureux de nous laisser l'exploitation de leurs titres, car ils continuent d'avoir des revenus sur la durée.
Avec un catalogue aussi grand, comment améliorer la visibilité d'une série ? en particulier du fond de catalogue ?
Il est sûr que nous ne pouvons pas nous contenter de mettre en avant les 50 nouveautés par saison. Mais c'est un travail très difficile. Qui non seulement touche à la communication sur les réseaux sociaux, site web, newsletter, mais aussi sur le moteur interne de recommandation. C'est un défi technique et éditorial. Un catalogue aussi riche peut faire peur et bloquer les utilisateurs.