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Bruno Retailleau : « Je suis le seul à proposer pour LR une vraie rupture avec les codes de respectabilité que nous imposent la gauche et l'extrême gauche »

Bruno Retailleau est candidat à la présidence du parti Les Républicains.

© LIONEL BONAVENTURE / AFP

Grand entretien

Bruno Retailleau, candidat à la présidence LR, dévoile son projet pour la droite dans un entretien exclusif pour Atlantico.

Bruno Retailleau est sénateur (élu en Vendée), président du groupe Les Républicains au Sénat et président du mouvement Force Républicaine, fondé en 2002 par François Fillon.

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Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Jean-Sébastien Ferjou : Si on regarde l'actualité récente, on a l'impression que la démocratie française est à la fois marquée par ce qui ressemble à une déroute de l’Etat et par un sentiment d’impuissance politique. Comment en sommes-nous arrivés là selon vous ?

Bruno Retailleau : En réalité, les deux se tiennent. On a organisé en France l'impuissance de l'Etat. Et aujourd'hui, si beaucoup de Français boudent les urnes, c'est tout simplement parce qu’ils voient bien que leur voix ne compte plus dans l'urne. Mais surtout que ceux qui les gouvernent sont impuissants. La vraie question qui se pose aujourd'hui, c'est qui gouverne ? Et quand je dis que l'Etat est devenu impuissant, c'est tout simplement que nous avons abandonné notre souveraineté, la souveraineté populaire, la souveraineté nationale, notamment à des cours suprêmes qui édictent des jurisprudences au nom du droits de l'hommisme, mais en méconnaissant un cadre collectif, par exemple la protection de l'intérêt de l'intérêt national. 

Le constat est formulé par vous et d'autres. Mais comment en sortir concrètement ? 

Je suis le seul dans cette élection à avoir proposé une vraie rupture : avec notre passé, avec la bien pensance, avec les codes de respectabilité que souhaite nous imposer la gauche et l'extrême gauche. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas emboîté le pas lorsque les uns et les autres ont pu désigner comme racistes les propos d'un député du Rassemblement national à l'Assemblée nationale. Non. Dire que les clandestins doivent être raccompagnés chez eux n'est pas raciste, ce n'est pas du racisme. Si ça l'était, alors plus aucune OQTF ne pourrait être exécutée.

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On sort de cette situation de deux façons. Pour sortir des 30 piteuses, il faudra que la droite - qu'on doit totalement reconstruire - puisse traiter les causes plutôt que les conséquences. En France, la manie qui culmine avec Emmanuel Macron, c'est d'amortir les conséquences sans traiter les causes, avec toujours plus d'argent public. Et le deuxième acte qu'il faudra accomplir, c'est retrouver notre souveraineté. Comment peut-on retrouver notre souveraineté ? Par la volonté politique. Et cette volonté politique doit nous amener précisément à recourir beaucoup plus au référendum, par exemple sur l'immigration. Si demain on ne donne pas la parole aux Français, le Parlement pourrait voter toutes les mesures les plus fortes elles seraient malgré tout contredites par des jurisprudences de ces Cours suprêmes françaises ou même européennes Pour pouvoir le faire, il faudra modifier la Constitution, le champ du référendum législatif, c'est à dire l'article onze, pour que, par exemple, la question de l'immigration rentre dans ce champ. Mais il faudra aussi modifier les articles 55 et 88 pour qu’on puisse avoir une sorte de bouclier constitutionnel. Et dès lors que les intérêts fondamentaux de la France seraient menacés, dès lors que l'identité constitutionnelle de la France serait fragilisée, alors des jurisprudences contraires à ses intérêts fondamentaux pourraient être écartées soit par un référendum législatif, soit par une majorité au Parlement. 

Est-ce que cette récupération de souveraineté doit aller jusqu'à déconstruire l'Union européenne ou la reconstruire ? 

Non. L'Union européenne, telle qu’Emmanuel Macron la rêve et telle que d'autres l'ont mise sur des rails depuis des années, vise à une utopie fédéraliste. Je m'y suis toujours opposé. Ça a été le cas lorsque j’ai été le seul parlementaire à voter contre le traité de Lisbonne, parce que ce traité piétinait la souveraineté du peuple qui s’était exprimé deux ans plus tôt en refusant de voter le traité constitutionnel. Moi, je pense que l'Europe doit être remise sur de bons rails. D'abord, en assumant ses racines judéo chrétiennes ou gréco romaine, mais surtout en assumant de porter un projet de civilisation. Tout ce qu'elle ne fait pas.

Peut-être qu'elle en porte un autre…

J'en veux beaucoup aux européistes qui ont poussé l'Europe à être ce qu'elle n'a jamais été un seul peuple, une seule nation, un seul État, tout en lui refusant d'être ce qu'elle a toujours été : une civilisation. Et on voit bien qu’une partie des technocrates européens, mais aussi des élus européens, ont ce rêve d'une pensée molle qui célèbre l'idéologie de la diversité. Pour eux, l'Europe, pour accueillir l'autre, doit se vider de sa propre substance. On l'a vu de façon éclatante avec le comportement de madame Von der Leyen et de l'Europe vis à vis de l'Arménie, puisqu’elle s'est précipitée à Bakou pour conclure un accord gazier. Or l'Azerbaïdjan, avec le soutien de Monsieur Erdogan - emporté par son rêve néo-ottoman islamiste - avait agressé l'Arménie. Il y a eu des violations du droit international, de la souveraineté nationale, des lois de la guerre, avec des crimes de guerre. On voit bien un deux poids, deux mesures vis à vis de l'Ukraine. La condamnation a été radicale, avec des sanctions, parce qu'il y avait violation de souveraineté et des crimes de guerre commis en Ukraine qui sont poursuivis. En Arménie, rien de tout cela. Comme si les vies arméniennes comptaient moins que les vies ukrainiennes. Pourquoi est-ce que l'Europe a fait ce deux poids, deux mesures alors que l'Arménie est une sorte de sentinelle de notre civilisation ? C'est le premier Etat chrétien dans l'histoire des nations européennes. Sans doute que l'Europe, en tout cas inconsciemment, a pensé ce phénomène comme un obstacle à sa propre intervention. 

Est-ce que l'Europe, finalement, devrait renoncer à une part de confort pour défendre sa souveraineté et ses valeurs ? Par exemple, faut-il préférer faire appliquer nos OQTF et se passer de contrats gaziers avec l’Algérie ou le Maroc ou l’inverse ?

Non, mais bien sûr, là, il y a une graduation à faire.

Tout n'est pas égal, mais la question de fond est un peu similaire. Est-ce que, finalement, nous sommes tellement habitués à notre confort que nous voulons tout et son contraire et qu'on ferme les yeux sur ce qui nous affaiblit sur le long terme en privilégiant notre confort à court terme ?

Je pense que l'hédonisme européen, qui s'accorde merveilleusement bien avec l'individualisme de masse, est en cause, très certainement. Mais je pense qu'il y a aussi un phénomène plus grave d'entretien d'une haine de soi et d'un déni de ce que nous sommes sur le plan culturel, sur le plan civilisationnel qui pousse, c'est vrai, à aller rechercher des accords sur des aspects matériels tout en oubliant notre patrimoine immatériel. Dans cette élection, ce que je porte aussi, ce que doit porter la droite, puisque nous ne sommes pas devenus totalement matérialistes, c’est ce double aspect. L'aspect des conditions matérielles de l'existence : le pouvoir d'achat, le niveau de vie, qui sont des dimensions importantes surtout pour nos compatriotes les plus modestes. Mais aussi des conditions immatérielles de l'existence, tous ces repères culturels qui en réalité sont l'essentiel du patrimoine immatériel des gens d'en bas. Régis Debray a une phrase que je cite souvent : « pour les gens riches, la carte de crédit est toujours plus importante que la carte d'identité ». Jaurès avait dit un jour « la nation, c'est le seul bien de ceux qui n'en n'ont pas ». On en est là. Il y a des préoccupations de riches et celles-ci sont souvent très matérielles…

Elles peuvent aussi être très sociétales...

Oui, sans doute. Mais Guilluy, Michéa et beaucoup d'autres nous préviennent que dans tous les peuples européens, les catégories pour lesquelles, par exemple, la question migratoire importe, sont les classes moyennes et les classes populaires. C’est logique puisqu’eux n’ont pas d'argent pour placer leurs enfants dans de bonnes écoles comme Pap N'Diaye peut le faire par exemple. Les classes supérieures proclament l'abaissement des frontières, mais ils reconstruisent des frontières invisibles autour de leurs beaux quartiers. Ils se protègent de la violence, ils se protègent de l'immigration massive.

 Donc l'Europe, pour se remettre en place, doit se ressaisir de ce qu'elle est comme civilisation et doit assumer aussi de défendre ses intérêts. Une idéologie de la concurrence pure et parfaite ou du libre échangisme n'est pas un projet politique. Et là encore, avec le voyage d'Emmanuel Macron, on en a une démonstration éclatante. Les Américains viennent de voter l'IRA, qui va leur permettre de donner des bonus écologiques uniquement pour des véhicules électriques fabriqués et assemblés aux Etats-Unis. Et nous, on va faire l'inverse. On a même eu la sottise de décréter la fin du moteur thermique en 2035. Les Français d'en bas ne pourront pas se le payer et on fera venir par cargos entiers de Chine des voitures électriques. Donc ce que je demande, c'est que l'Europe protège les Européens. Et pour moi, la bonne équation, c'est une protection à l'extérieur de nos frontières européennes, avec une vraie taxe carbone, pas la pseudo taxe carbone qui existe et qui ne porte que sur quelques matières premières (l'acier, le ciment, etc.) mais sur l'ensemble des produits. Il faut verrouiller à l'extérieur, assumer un dehors et un dedans. Mais chez nous, en France, déverrouiller le pays : sortir du royaume du formulaire Cerfa, du fiscalisme, du chèque en bois et de la dépense publique à outrance. 

Les relais pour cela en Europe vous paraissent-ils exister ? N’y a-t-il pas un hiatus entre ce que l'Europe devrait faire et ce qu'il est possible de faire au regard de ce que sont nos partenaires européens aujourd'hui ?

Je pense qu'on voit de plus en plus l'Europe se diviser. Ça a d’abord été une division géographique entre l'Est et l'Ouest. A l'Est, la dimension collective et la souveraineté nationale importent beaucoup plus, puisque ces pays ont été sous le joug du soviétisme de l'URSS pendant des décennies. A l'Ouest, qui a vécu à l'abri de ce phénomène-là, la souveraineté individuelle est plus importante. Donc on valorise, on exalte les droits individuels, souvent au mépris du cadre collectif de la communauté nationale. Et souvent, en exaltant ces droits individuels, on abaisse l'État régalien. On enlève à l'Etat régalien les instruments qui lui permettraient de protéger la société française. Toute la jurisprudence, notamment des deux Cours européennes, raconte cette dérive. De plus en plus, les Etats régaliens sont empêchés de protéger leur société au nom des droits individuels. Les deux dernières décisions de la CEDH, sont d'une part le rapatriement des femmes djihadistes, d’autre part la condamnation de la France qui aurait eu la main trop lourde avec Monsieur Jean-Marc Rouillan, qui a fait l'apologie du terrorisme. On voit bien dans ces décisions que cette rhétorique des droits individuels, du droit de l'hommisme, l'emporte sur toute tentative de protéger la société.

Pourquoi ne pas avoir défendu plus les libertés, notamment pendant le Covid ? Comment la droite peut-elle arriver à refonder un discours sur la liberté ?

Adroite, notamment au Sénat, c'est moi qui ai combattu la loi Avia, cette loi scélérate qui privatisait la censure et l’abandonnait aux GAMAM. Avec 60 sénateurs nous avons voté contre de façon constante. C’est mon groupe qui a saisi le Conseil constitutionnel qui a fait voler en éclat ce texte parce qu’il était contraire à la liberté d'expression. Donc je pense que la droite doit se porter aux avants postes de cette liberté, d'une liberté qui ne se sépare jamais de l'exercice quotidien de la responsabilité. La liberté, pour la droite, c'est un point d'arrivée, pas un point de départ.

Ceux qui veulent imposer, y compris à Bruxelles, cette idée que le voile serait un instrument de liberté le font au nom de la liberté individuelle, mais ils ne comprennent rien aux libertés. Les femmes iraniennes, avec ce combat au sacrifice de leur vie, déchirent le voile de nos illusions sur ce sujet. Le voile est et restera un instrument de soumission de la femme, de séparation entre des groupes humains.

La droite doit réarticuler cette notion d'une liberté enracinée dans une pensée qui soit réellement de droite. Mais je pense que le vrai problème pour la droite, et c’est ce qui crée le malaise français aujourd'hui, c'est l'Etat nation. Nous existons comme peuple français dans notre forme collective, à travers la figure de l'Etat nation. Or, l'Etat est bureaucratisé, l'Etat s'affaisse et est totalement impuissant et la nation totalement archipelisée. Le mal être français vient d'abord de ce que nous existons au monde à travers cette figure collective qui ne va pas bien. Donc je pense qu'il faut que la droite se ressaisisse de l'Etat. Je suis pour un Etat puissant, qui se concentre notamment sur les sujets régaliens. Et je suis pour une nation qui soit réunie et souveraine. Souveraine, parce que la souveraineté populaire c'est la même chose que la souveraineté nationale. Et unie parce que nous sommes un peuple. La République française est aussi un régime qui permet à chacun, au-delà de ses particularités, d'appartenir à une communauté qui ne soit pas une communauté, seulement de consommateurs et de producteurs mais de citoyens. 

Il y a donc pour vous le besoin d’une forme de réarmement juridique pour pouvoir redéployer la souveraineté française mais aussi un réarmement moral et civilisationnel. Mais il y a aussi la thématique de l'état profond. Nathalie Goulet, notamment sur les questions de fraude, le souligne sur bien des exemples, l’administration refuse le contrôle politique. Qu'est-ce que vous proposez ? 

C'est un débat qui m'étonne toujours. Je pense qu’il n'y a d'état profond que de faiblesse profonde des hommes et femmes politiques. Donc c'est à nous de nous ressaisir des instruments de la souveraineté. C'est à nous de nous ressaisir des instruments, de la politique…

Mais est-ce que c'est possible dans la complexité administrative, fiscale, juridique française? 

Bien sûr.

Ce pouvoir ce n’est pas tant que l’administration le recherche mais la complexité crée cet état de fait. Ne croyez-vous pas ?

Oui, mais c'est exactement ce que je disais tout à l'heure. La complexité a été créée parce qu'on ne traite jamais les causes. On va toujours essayer d'amortir les conséquences des effets de ces causes avec de l'argent public, avec des règles, avec des exceptions. Je pourrais prendre plusieurs exemples puisqu'on a la dépense publique la plus faramineuse au monde et tous nos grands services publics vont mal. S'il y avait une corrélation positive entre le niveau de dépense et la qualité des services publics, alors on serait à l'avant-garde du bonheur universel devant tout le monde. Par exemple, sur la sécurité : on va voter 15 milliards de plus dans la LOPMI, très bien. Mais le problème n'est pas d'avoir plus de gendarmes, d'avoir plus de policiers ou de leur donner plus de moyens. Ce n’est pas un problème quantitatif ou d’argent, c’est un problème de courage. Oui ou non, voulons nous faire et assumer une révolution pénale ? Aujourd'hui, tout est organisé en France pour qu’une infraction ne débouche pas sur une sanction. On a même inventé un droit à l'inexécution des peines, Il y a un premier juge qui prend une décision puis un second, le juge de la détention, qui va rejuger et réaménager les peines. En France, on a une justice de l'auteur. On voit s’il peut y avoir des circonstances atténuantes puisque, c'est connu, c'est la société qui déprave l’âme. Il faut absolument essayer de trouver dans le coupable une forme de victime. Et moi, ce que je veux, c'est qu'on assume cette révolution pénale, qu'on passe d'une justice de l'auteur à une justice pour la victime avec une double peine, des peines minimales et des courtes peines, exactement comme ont fait les Pays-Bas. Et ça fonctionne. C'est à dire que dès qu'il y a une infraction et une infraction suffisamment grave, il y a emprisonnement. 

Est-ce que ça vous paraît possible, à sociologie égale de la justice ? Est-ce que vous seriez prêt à envisager des solutions plus radicales pour desserrer ce verrou, comme faire disparaître l’ENM ? Créer de nouvelles filières pour devenir magistrats voire élire les procureurs comme aux Etats-Unis ?

Ce n'est pas notre tradition et je me garderai bien de recourir à cette recette qui ne correspond pas à notre pays. J'aime beaucoup les Etats-Unis, mais je pense qu'on gagne à ne pas importer les manies et les pratiques américaines avant. 

Je pense que, bien sûr, il y a quelques réformes profondes à mener. D’abord, en termes de formation, en diversifiant les voies du recrutement. On y gagnerait beaucoup. Ensuite, je suis défavorable à la syndicalisation des magistrats. Les préfets ne sont pas syndicalisés et les militaires non plus. La justice est indépendante en France, mais est-elle toujours impartiale? C'est vraiment la question. Et je pense que la justice doit être au-dessus de tout soupçon. Troisième chose, je pense qu'on gagnerait à avoir une séparation entre les deux carrières,  du siège et du parquet. Ce n’est pas le même métier. Mais encore une fois, ce qui compte, c'est la révolution pénale. Accepte-t-on de sortir de la harangue de Baudot et de l'esprit post soixante-huitard pour qu'on puisse assumer de vraies sanctions et notamment via la prison ?

Il y a encore quelques semaines, le 20 septembre dernier, Monsieur Dupond-Moretti a envoyé une circulaire à ses parquetiers pour leur demander d'éviter les peines de prison - ils n’ont pas été capables d'en construire 15 000 – Et pour leur dire que les primo délinquants ne devaient pas être les seuls concernés. Même pour les multirécidivistes, il faudrait voir si les travaux d’intérêt général ne sont pas mieux que les peines de prison. De ce point de vue, c'est le petit frère de madame Taubira.

Mais à un instant T, le nombre de places de prison est ce qu'il est, alors comment faire ?

Aux Pays-Bas les choses ont été claires. Dans un premier temps, ils ont créé des places de prison, ils les ont remplies. Ensuite, ils les ont vidées parce que ça a été dissuasif grâce aux peines courtes. Cette proposition, il n'y a que moi qui en parle en France. Et dans un troisième temps, ils ont tellement vidés qu'ils louent maintenant des places de prison à la Belgique. Extraordinaire. Et l’on n'est pas plus bête que les Néerlandais.

Vous parliez tout à l'heure de la masse de dépenses publiques qu'il y a en France. Alors que l’Etat ou la puissance publique au sens large paraissent incapables de s’astreindre aux moindres efforts comme en témoigne encore le dernier PLF, vous paraît-il judicieux en termes de méthode politique d’accumuler des réformes, comme celle des retraites, qui donnent l’impression que les Français ou les agents les plus exposés de l’Etat d’ailleurs sont systématiquement la variable d’ajustement ?

Les Français, je le dis souvent, souffrent d'une double angoisse : le grand déclassement matériel, l'appauvrissement, et la grande dépossession culturelle. Sur cette première angoisse, les choses sont très claires. En une vingtaine d'années, on a perdu 5 000 euros au détriment des Français. Pourquoi ? La France est, en Europe, le pays qui travaille le moins avec 170 heures de moins par année. Cela représente l'équivalent d'un mois quasiment. En face de ce mois en moins, il manque autant de richesses pour améliorer notre prospérité, pour améliorer notre niveau de vie, notre pouvoir d'achat. Et on voit bien que pendant les deux crises qui viennent de se dérouler, les Français ont subi un choc. Puisque d’une part ils ont eu ce sentiment d'un appauvrissement. On manquait de tout, pénurie et rationnement. D’abord, c’étaient les masques, ensuite, ça a été les médicaments (doliprane) et maintenant c'est l'électricité. Les Français ont vécu pendant longtemps avec cette idée que, certes, ils payaient beaucoup d'impôts, mais qu'ils avaient les meilleurs services publics au monde. Et ils ont vu que c'était faux. Donc moi, je pense que si on veut remettre la France sur un chemin de prospérité et surtout si on veut faire en sorte que les classes moyennes puissent améliorer leurs conditions matérielles de vie, il faudra tenir les deux bouts de la chaîne. C'est-à-dire de faire en sorte de libérer le travail. Moi, je suis pour qu'on sorte des 35 heures. Qu'on donne la possibilité à chaque entreprise, par un référendum, d'avoir un vrai accord. Évidemment, il faudra que ce soit gagnant-gagnant. Moins d'impôts pour les salariés, au-delà de la 35e heures, et moins de charges pour les chefs d'entreprise. Valoriser le travail, c'est aussi sortir de l'assistanat. Je suis favorable à ce qu'on fusionne tous les minimas sociaux dans une allocation sociale unique. C'est la réforme sur le travail. Pour la retraite, même chose, puisqu'on ne travaille pas suffisamment dans une vie et dans une année. Mais il faut en parallèle la réforme de l'Etat et de notre modèle social, avec les fraudes massives que l’on observe actuellement. Comment se fait-il que la France n’ait pas encore la carte vitale biométrique, alors que le Sénat l’a voté. On sait que la fraude sociale représente une vingtaine de milliards de fraudes. Dans l’Hexagone, il y a près de 7 millions de cartes de trop qui sont en circulation. La dépense de santé par français c'est plus de 3 000 euros par an. Donc il faut évidemment combattre les fraudes, valoriser le travail, l'allocation sociale unique, mais il faut aussi qu’au niveau de l'Etat, on repense totalement son action. Il faut repenser totalement la gestion de la fonction publique de l'Etat. Il faut sortir du royaume du formulaire. Cela coûte à peu près trois points de PIB tous les ans. Aucune réforme de l'Etat n'a bien fonctionnée parce qu'elles ont toutes été faites du haut. Comment voulez-vous demander à des ministres, à des parlementaires ou aux fonctionnaires, de faire le travail alors qu'ils vivent de la production de normes ? Je pense qu'il faudra le faire, au contraire, par département, par corps de métiers, pour qu'on puisse faire ce que les Belges et les Allemands et les Anglais ont fait. Cela permettra de restituer aux Français de la liberté en même temps que le pouvoir d'achat. Il faudra donc sortir du royaume des normes, repenser l'Etat et arrêter son démantèlement. Des centaines d'autorités d'agences ont créé entre 2007 et 2018 un peu plus de 220 000 emplois. Il faudra aussi augmenter le temps de travail puisque malheureusement tous les agents de la fonction publique aujourd'hui ne font même pas 35 heures. Il sera nécessaire de passer au-delà de ces 35 heures. Dans beaucoup d'hôpitaux, des infirmières ou bien des sages-femmes réalisent des heures supplémentaires qui ne sont même pas payées. Les 35 heures ont mis en l'air l'hôpital. Et puis, il y a aussi une gestion moderne des ressources humaines. Pour ma part, il me semble qu'on devrait réserver aux métiers régaliens le statut et pour tous les autres métiers, avoir des contractuels. Ce qui permettrait d'avoir une gestion beaucoup plus souple, beaucoup plus agile, de valoriser les mérites et enfin d'avoir une bonne gestion des hommes et des femmes qui soit une gestion beaucoup plus efficace. Aujourd'hui, la grille indiciaire appauvrit et bloque souvent en même temps les carrières.

Et vous pensez que la droite serait capable de convaincre les Français qui associent souvent la puissance de l'Etat à la puissance de la nation ? Ce qui explique que les propositions, notamment de François Fillon que vous souteniez à l'époque, avaient été perçues comme « sauvages » ?

Aujourd’hui, notre objectif n'est pas de convaincre 100 % des Français. Notre objectif est d’en convaincre 25 %. Quand on voit le score de François Fillon en 2017 (20%), après la campagne qu'il a dû subir, on remarque bien que ce sont des thèmes qui doivent être portés par la droite et qui, portés par la droite, peuvent convaincre les Français. Cependant, encore une fois, nous ne sommes pas uniquement matérialistes. Nous savons, nous la droite, qu'un peuple se mobilise pour des conditions matérielles de l'existence, mais pour des conditions aussi immatérielles. C'était un peu le projet de François Fillon. Si on est capable de porter, de marcher sur nos deux jambes, je pense qu’on renouera avec la confiance des Français. D’ailleurs, la question de la réforme est la question aussi de l'immatériel. Vous ne faites des réformes que si vous mobilisez le peuple.

Une enquête de la Fondation Jean-Jaurès montrait que si 55% des Français continuent à penser que LR est un parti capable de gouverner le pays (et il reste au 1er rang de tous les partis testés de ce point de vue), seuls 33% estiment qu’il est porteur d’une vision de la société correspondant à celle dans laquelle ils souhaitent vivre. Est-ce que 33 %, ça vous paraît suffisant pour des réformes d'ampleur aussi importantes ?

C'est toute l'ambiguïté de ces 33 %. Le problème numéro un des LR aujourd'hui, est qu'il n'y a plus grand monde qui sache ce qu'on pense vraiment. Donc, il faut clarifier notre discours. Et moi, je veux avoir un discours qui soit clair, clairement de droite. Et je veux aussi porter un projet et dire à tous les Français qu’ils seront entendus sur les deux points que j’évoquais. Encore une fois, ce n'est pas 100 % des gens qu'on doit convaincre. 25 % ça nous permet d'être au second tour d'une élection présidentielle.

La plupart des articles qui vous sont consacrés, dans cette campagne comme auparavant, soulignent que vous êtes « très conservateur » ou que vous manqueriez du charisme nécessaire pour jouer les premiers rôles en politique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Quand ce sont mes amis de droite qui utilisent ce vocabulaire-là, ou d'autres pour me discréditer, je me dis qu'il y a beaucoup de travail à faire et que malheureusement une partie de la droite, en utilisant la rhétorique, les mots de la gauche, tombe toujours dans le panneau. Et le travail que je souhaite faire, c'est une rupture avec ces vieux réflexes qui font qu’une partie de la droite obéit toujours aux injonctions de la gauche. Pour le reste, je suis ce que je suis et le mot conservateur ne me fait pas peur. Je pense que si on avait conservé une école qui instruit plutôt que déconstruit, cela irait beaucoup mieux. Sur un certain nombre de sujets comme l'écologie, si on avait conservé notre patrimoine, cela se passerait dans de meilleures conditions. Ce n’est pas ce qui me tracasse. Là encore, je pense que ce sont les classes populaires et les classes moyennes qui veulent conserver un certain nombre de repères.

Mais il peut y avoir différentes formes de conservatisme. Vous avez associé conservatisme et ringard et conservatisme et héritage.  L’une des raisons de la désaffection des Français est que la droite paraît, certes avoir été coupable de faiblesse voire de lâcheté, mais aussi « ringarde », notamment sur les sujets sociétaux. Doit-elle se résoudre à avoir perdu cette guerre idéologique là dans une société à l’individualisme forcené ?

Qu'est-ce qu'être de droite ? Si je devais définir la droite en un mot, je choisirais le mot transmission. Le travail de la droite, c'est la transmission, la transmission d'un patrimoine matériel, mais surtout la transmission d'un patrimoine immatériel. C'est ce qui distingue la droite de la gauche. La gauche, elle, est attachée à l'émancipation, toujours plus radicale qu'elle pense comme une transgression. Et je pense que nous, la droite, devons aménager les conditions d'une vie habitable sur Terre en préservant des repères. Mais comme Disraeli, je dirais qu'il faut réformer ce qu’il faut et conserver ce qu’il vaut.

Vous venez de dire conserver une planète habitable. Mais il y a des impératifs un peu contradictoires entre maintenir les niveaux de vie, préserver les libertés individuelles et avoir une action suffisamment déterminée pour que la planète reste habitable. Quelles autres références de droite peut-il y avoir pour résoudre ces contradictions ? 

C’est la liberté qui permet au génie humain de déployer des solutions. Ce qui nous différencie radicalement de l’écologie radicale, c’est qu’ils pensent que l'homme est le problème. Nous, nous pensons que l'homme est la solution grâce à ce génie. Ce génie humain qui doit trouver les solutions scientifiques, etc. ne peut pas s'exprimer sans la liberté. C'est la liberté qui permet à un être humain de déployer pleinement ses capacités intellectuelles.

Vous avez publié une vidéo sur les réseaux sociaux pour expliquer pourquoi vous croyez encore en la droite. Vous y détaillez notamment les raisons pour lesquelles vous rejetez le macronisme en soulignant à quel point la confusion idéologique et le tout se vaut sont dangereux pour la démocratie. Diriez-vous qu’Emmanuel Macron a contribué à abîmer la démocratie française ?

Emmanuel Macron a augmenté la crise démocratique française avec le en même temps. Le en même temps, c'est une inconstance qui abîme les convictions. Le en même temps c’est du relativisme qui laisse penser que tout se vaut. Et si tout se vaut, c'est parce que tout est faux et que rien n'est vrai. Et alors il ne peut plus y avoir un idéal qui soit porté et personne ne peut croire en la politique si la politique elle-même accepte de changer de pied d’un jour sur l’autre et accepte cette idée que tout se vaut donc que rien ne vaut. Bien sûr qu'Emmanuel Macron a abîmé la démocratie française. Et j'espère qu’un jour beaucoup de gens qu'il a trompé à droite se rendront compte qu'il n'est pas un président de droite. Quand on accueille l’Ocean Viking dans le port de Toulon, quand on nomme Pap Ndiaye comme ministre de l'Education nationale, on n’est pas un président de droite. Pap Ndiaye avait dit il y a deux ans cette phrase terrible : « Être français, c'est être blanc, être noir, c'est être d'ailleurs ». La question de la race n'a rien à voir avec la citoyenneté française. Il devrait le savoir. Malheureusement le pacte scolaire et le pacte républicain et national, c'est à peu près la même chose.

Emmanuel Macron nous fait comprendre que finalement la gauche libertaire et une forme de droite libérale se retrouvent dans cette espèce de néolibéralisme. Les migrants, c'est la même chose. Il y a des gens à droite qui considèrent que les migrants, ce sont des hommes interchangeables qu'on peut déplacer en fonction des besoins économiques d'un bout à l'autre de la planète. Et la gauche considère que les frontières doivent être effacées et que les migrants doivent être protégés parce qu'ils sont devenus des figures de substitution du prolétaire. Pour la gauche ultra, la frontière, c'est un obstacle à l’internationalisme. Et pour les autres, de droite disons néolibéraux, la frontière, c'est un obstacle au marché. 

C'est comme ça que vous décrivez les gens de droite qui sont partis dans les gouvernements d'Emmanuel Macron, des néolibéraux ? 

Nonje cherche le bon mot. Emmanuel Macron nous fait comprendre qu’entre les sociaux libéraux et les libéraux sociaux, c'est la même chose. C'est une forme de droite un peu libertaire, puis une gauche qu'on connaît bien, individualiste.

Est-ce une droite technolibérale, plus comptable et attachée aux rapports de la Cour des comptes ?

C'est la droite qui l'a rejoint au gouvernement. Pour moi, c'est une fausse droite. L’idée de la frontière, l'idée de l'immigration, c'est du pareil au même. La frontière, un obstacle interne à l'internationalisme pour la gauche et la frontière, un obstacle au marché pour la droite.

Emmanuel Macron s'envole ce mardi pour les États-Unis. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, quelle est pour vous la ligne géopolitique que la France a intérêt à tenir et quels sont ses meilleurs alliés ?

Je reprendrais la phrase d'Hubert Védrine sur les Etats-Unis, amis, alliés mais non alignés. Et la France doit toujours tenir cette ligne exigeante diplomatique qui doit nous permettre de ne jamais nous aligner, ni totalement sur le Nord, ni totalement sur le Sud, ni totalement sur l'Ouest ou l’Est.

Ni totalementsur la Russie.

Bien sûr. On doit rester une puissance de dialogue, une puissance d'équilibre. 

Laurent Wauquiez dans une interview publiée dans L’Obs souligne que pour 2027, ce sera soit lui soit Marine Le Pen. Que vous inspire cette analyse ?

Je pense que, si nous ne sommes pas capables de porter une vraie candidature en 2027, le risque, c'est d'avoir un second tour entre Mélenchon et Le Pen. Je ne pense pas que les Français choisiront pour succéder à Emmanuel Macron un macroniste. Le macronisme s'effondrera avec Emmanuel Macron. Laurent Wauquiez a évidemment les qualités pour devenir notre candidat, mais je me consacre moins à cette élection et je ne veux pas que l'on ait cette obsession de la présidentielle aujourd'hui. Cela viendra, mais après les européennes.

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