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Care : au théâtre, créer un territoire fertile comme un jardin…

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre au MoHo avec le LibéCare pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la région Normandie, la MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un espace dédié articles, tribunes et témoignages.

Au sein de Tout un ciel, la compagnie que j’ai fondée, je souhaite créer un territoire fertile comme un jardin, à partir des pistes du «care». Le théâtre sert à incarner de la pensée, à réunir les champs spirituel, émotionnel et intellectuel, et c’est ce territoire imaginé que j’entends partager avec les publics. Une approche résolument tournée vers l’implication des amateurs sur le plateau, vers les sujets qui fâchent, une approche qui laisse parler les sensibles. Reconvoquer le fragile chez les actifs qui, tête dans le guidon, passent trop vite sur l’enfance et détournent les yeux des anciens. Une façon de tirer le frein à main et d’utiliser le temps lent, précieux et vain du théâtre pour ce qu’il est depuis l’Antiquité : un outil pour penser le vaste monde incompréhensible. Ensemble, acteurs, amateurs, experts, non-experts, s’interroger sur les super-tendances de notre civilisation que l’on voit passer au-dessus de nos têtes : la perte du lien, l’annulation de l’intelligence humaine dans l’intelligence artificielle, la quantification de toutes les actions. Nous levons les yeux au ciel et voyons un arc de décisions qui nous dépassent et agissent sans que nous ayons prise sur elles. Les «mettre en jeu» est un moyen de s’approprier ce temps si précieux qui est le nôtre, notre unique et sauvage vie.

Le Covid-19 a fortement modifié ma manière d’envisager le processus de déploiement du travail. Il nous est aujourd’hui impossible de nous projeter sans tenir compte de la crise sanitaire et des besoins qu’elle a générés. Le corps social est carencé. Nous aurons besoin de nous réinventer, fil-de-féristes au pas tremblé. L’art est un espace de minoritaires. C’est un endroit qui répare sans attendre. Sans attendre que justice soit faite, que légitimité soit donnée. Puisqu’il agite le noir et le bleu, le terrible et l’ancien, le pathétique et l’idéal, le barbare et le blessé. C’est un espace social de réunification que je trouve hors du commun, car rien n’y est binaire. Tout se réunit dans un geste collectif pour rendre compréhensible une aberration humaine.

Et puis vient la pratique. Vient le moment où l’acteur bute sur les quatre coins d’une situation. Un nouveau cartilage se forme ; à chaque rôle joué, c’est une nouvelle ossature d’âme qui pousse à l’intérieur de l’homme. Il éprouve, accueille, il s’ouvre littéralement à l’altérité. J’ai l’occasion de travailler avec des acteurs amateurs et je vois ce bien qu’ils se font en incarnant sur scène d’autres dimensions d’eux-mêmes. La joie profonde quand ils sentent se créer ce lien inexplicable de deux acteurs qui jouent ensemble. Une façon inouïe de connaître l’autre, sans en savoir plus, sans en savoir trop, tout en rencontrant intimement son mystère.