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Ce que les médecins prennent en compte pour prescrire un arrêt de travail

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Fin septembre, le gouvernement a annoncé sa volonté de mettre fin au remboursement des arrêts de travail délivrés lors de téléconsultations avec un autre médecin que le médecin traitant ou qu'un médecin vu dans les douze mois précédents. L'objectif? Lutter contre les fraudes et éviter que certains patients peu scrupuleux ne se voient prescrire des arrêts non justifiés ou ne multiplient les arrêts en enchaînant les consultations à distance avec différents médecins.

«Ce n'est pas le bon mode de raisonnement, tempête le docteur Michael Rochoy, médecin généraliste à Outreau. Selon le mode de pensée du gouvernement, les gens seraient par définition des menteurs et des fraudeurs! Cette décision va encore pénaliser les patients, notamment ceux qui n'ont pas de médecin traitant et ceux qui habitent dans des déserts médicaux.»

Un acte médical

En effet, si des gens consultent en visio un médecin qui n'est pas le leur, c'est souvent simplement parce qu'ils doivent présenter un justificatif de leur état de santé à leur employeur et que leur médecin traitant n'était pas disponible rapidement. Cette solution, qui s'est développée en pleine crise du Covid-19, avait alors permis de pallier l'engorgement des cabinets médicaux, tout en évitant à des patients positifs au SARS-CoV-2 de contaminer d'autres patients dans les salles d'attente.

Or, témoigne ce médecin, les patients se montrent très parcimonieux quant aux arrêts de travail pour maladie, voire rechignent carrément à en prendre. «Très généralement, les gens ne sont pas des fraudeurs, et nombreux sont ceux à décliner l'arrêt de travail qu'on leur propose, notamment les plus précaires.» Entre l'impossibilité de se permettre trois jours de carence et le travail qui s'accumule ainsi que les représentations sociales autour du travail et de la performance, beaucoup vont travailler malades malgré les incitations de leur médecin à être arrêtés quelques jours.

Se pose alors la question des critères qui incitent un médecin à prescrire un arrêt de travail. Car il s'agit bien d'un acte médical, comme le signale le Conseil de l'Ordre des médecins: «La prescription d'un arrêt de travail est tout d'abord un acte thérapeutique destiné à un patient dont l'état de santé le requiert.» Cela implique que cet arrêt «engage pleinement la responsabilité du médecin et doit être effectué dans le respect des règles déontologiques».

Trois jours d'arrêt pour une gastro-entérite virale

Parmi ces règles déontologiques figurent notamment l'interdiction de délivrer un «rapport tendancieux» ou un «certificat de complaisance»; l'Ordre des médecins note à ce sujet que la délivrance du certificat ne peut se faire qu'après examen du patient. Elles précisent aussi, concernant le secret partagé avec les médecins-conseil des organismes d'assurance maladie, que «le médecin doit, sans céder à aucune demande abusive, faciliter l'obtention par le patient des avantages sociaux auxquels son état lui donne droit».

Quant aux documents produits par le praticien, il est précisé à l'article 76 du Code de la santé publique que «tout certificat, ordonnance, attestation ou document délivré par un médecin doit être rédigé lisiblement en langue française et daté, permettre l'identification du praticien dont il émane et être signé par lui. Le médecin peut en remettre une traduction au patient dans la langue de celui-ci.»

Ceci posé, il existe –comme pour tout acte médical d'ailleurs– des lignes directrices destinées à aider le médecin dans la prescription d'arrêt de travail et à faciliter le dialogue avec son patient. Il s'agit des durées de référence, établies après avis de la Haute Autorité de santé (HAS) et proposées par pathologie ou intervention.

«J'adapte [les durées de référence] selon que je connaisse déjà ou non ce patient, ses antécédents, son travail et ses activités, ou encore la nécessité de faire des séances de kiné.»
Docteur Sébastien Demange, médecin généraliste en Occitanie

Toutes sont indicatives et le médecin est libre d'adapter en fonction de la situation de chaque patient, ses antécédents, ses symptômes, ses conditions de travail… Ainsi, il est par exemple recommandé de prescrire 3 jours d'arrêt pour une gastro-entérite virale, 5 jours pour une grippe saisonnière, de 0 à 5 jours pour une lombalgie commune selon l'intensité de la douleur ou encore 14 jours pour des troubles anxio-dépressifs mineurs.

«J'ai tendance à faire de ces durées de référence des outils pour échanger avec mon patient, explique le docteur Sébastien Demange, médecin généraliste en Occitanie. J'amène cela sur la mode de la discussion et j'adapte également selon que je connaisse déjà ou non ce patient, selon ses antécédents, selon son travail et ses activités, ou encore la nécessité de faire des séances de kiné par exemple. En somme, nous essayons de déterminer ensemble quelle est la meilleure durée de l'arrêt.»

L'entretien oral prévaut sur l'examen physique

Souvent, pour un rhume ou une gastro, c'est assez simple et les recommandations sont généralement appliquées à plus ou moins un jour près. «Ce sont des choses que l'on peut évaluer au cabinet comme en téléconsultation», assure Sébastien Demange, tant l'entretien oral prévaut dans ce cas sur l'examen physique.

«Et, si cela ne s'améliore pas, on demande à revoir le patient pour vérifier qu'il n'y a pas autre chose de plus embêtant comme une infection bactérienne qui pourra demander des examens complémentaires et requerra un allongement de l'arrêt», ajoute Michael Rochoy.

Parfois, l'arrêt et sa durée sont davantage soumis à l'appréciation et à la discussion entre le médecin et son patient. Ainsi, pour un mal de dos, tout dépendra de l'intensité de la douleur, mais également de la profession du patient –s'il occupe un poste plutôt sédentaire ou plutôt physique, par exemple.

Il arrive aussi que le patient ne demande pas spécifiquement d'arrêt, mais que le médecin sente que quelque chose «cloche», comme l'explique Sébastien Demange: «C'est notamment le cas des troubles anxio-dépressifs, qui sont souvent très liés au monde du travail lui-même. Je vois bien que le patient n'est pas comme d'habitude, que ce qui était un bruit de fond est en train de s'aggraver. Cela m'amène alors à discuter d'un arrêt.»

Enfin, qu'en est-il des patients qui sollicitent des arrêts à répétition? «Cela peut amener à creuser un peu pour voir s'il n'y a pas quelque chose de sous-jacent», signale Michael Rochoy.

Contrôles et sanctions

Dans tous les cas, des contrôles existent. Si les médecins disposent d'une certaine marge de manœuvre, ils sont, comme nous l'avons vu, soumis au code de déontologie et peuvent être l'objet de sanctions ordinales dans le cas où ils délivreraient des arrêts de complaisance. De plus, l'assurance maladie le précise: «La CPAM peut subordonner, pour une durée maximum de six mois, à l'accord préalable du service du contrôle médical les prescriptions du médecin concerné, si le médecin prescrit plus d'arrêts de travail que ses confrères (en nombre ou en durée) comparativement à ses confrères de la région dont le domaine d'activité est comparable. D'éventuelles sanctions financières peuvent être imposées au médecin.»

En outre, il existe également des modalités de contrôle diligentées par l'employeur. Sans justification, le patient-employé pourra voir ses indemnités journalière suspendues et se verra contraint de reprendre son poste.

Nombreux sont aujourd'hui les professionnels de santé qui prônent une révision des modèles d'arrêt de travail pour maladie pour lesquels il n'y aurait plus nécessairement besoin de passer par un médecin, dès lors que l'on souffre d'une infection virale bénigne ou que l'on voit les symptômes de sa maladie chronique ponctuellement exacerbés. «L'idée d'arrêts de complaisance me fait bondir», lâche Sébastien Demange, qui pense que la confiance prime et qu'un modèle où tous les arrêts ne devraient pas être validés par un médecin –qui plus est par le médecin traitant– permettrait de gagner du temps et de désengorger les cabinets.