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Censure d’Internet : Secoué par des manifestations, l’Iran se repose sur son « savoir-faire »

Des allées de Twitter aux rues pavées et des récriminations d’Instagram aux avenues de protestation, il n’y a qu’un pas. Et le régime iranien l’a bien compris. Le pays est secoué par des manifestations de colère, à la suite de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier, une jeune femme arrêtée par la police des mœurs. Et une répression sanglante. Une centaine de personnes ont été tuées par les autorités, d’après l’ONG Iran Human Rights. Afin de limiter les rassemblements et accentuer sa mainmise sur la population, le régime iranien a fortement limité l’accès à Internet.

« Tuer et blesser dans l’obscurité »

Dès le 19 septembre, trois jours après la mort de Mahsa Amini, le site NetBlocks, qui surveille les blocages d’Internet dans le monde, a noté une interruption du service dans certaines régions de la province du Kurdistan - dont la jeune femme était originaire. « Ce sont des coupures localisées dans le temps et dans l’espace, parfois elles touchent une grande partie du pays, parfois des zones où le régime est sur le point d’engager une répression », décrypte l’historien spécialiste de l’Iran Jonathan Piron.

De nombreuses associations ont accueilli la nouvelle avec angoisse. Sur Instagram, l’ONG Amnesty International s’est inquiétée que ces coupures et censures ne permettent aux autorités de « tuer et blesser plus de manifestants dans l’obscurité ». « Le but du régime est de couper Internet, le téléphone, l’accès des Iraniens au monde libre et de faire ce qu’il veut avec sa population : les tuer », déclare la sociologue et politologue Mahnaz Shirali.

Chasse aux réseaux sociaux

Téhéran restreint l’accès aux réseaux sociaux depuis des années. « Les réseaux sociaux sont très populaires en Iran, surtout WhatsApp, Télégram et Instagram », énumère Jonathan Piron. Dès 2006, les autorités iraniennes étaient accusées de censurer plus de sites que tout autre pays, à l’exception de la Chine. YouTube, Twitter, la BBC, Netflix, TikTok… Tous ces sites ont progressivement été interdits dans le pays du Moyen-Orient - les membres du gouvernement sont cependant nombreux à avoir un compte Twitter. Instagram et WhatsApp, applications internationales qui avaient jusqu’ici résisté à l’implacable censure du régime, ont été fermés à leur tour le 21 septembre.

Mais si de nombreux sites sont censurés par le régime, les réseaux sociaux sont particulièrement ciblés. « Les réseaux sociaux sont devenus à la fois une fenêtre sur l’Iran, permettant de voir ce qu’il s’y passe de l’étranger, mais aussi une fenêtre qui permet aux Iraniens de voir le monde libre, à l’extérieur », image Mahnaz Shirali. « Ces plateformes ont un très gros potentiel pour canaliser la colère des jeunes iraniens depuis quelques années et ça fait peur au régime iranien qui ne veut pas que la cohésion sociale crée une révolution », ajoute l’autrice de Fenêtre sur l’Iran, le cri d’un peuple bâillonné.

« Il n’y a pas de bouton on/off »

Comme en France, les manifestants iraniens s’écrivent en ligne, s’organisent, se donnent rendez-vous. En censurant les médias sociaux les plus populaires et en interdisant l’accès aux magasins d’application (Google Play/Apple Store), le régime iranien silencie une grande partie de la population. Certains Iraniens utilisaient déjà des VPN, qui cryptent le trafic de l’utilisation et le connectent à un serveur distant, ou le réseau Tor pour contourner l’emprise de Téhéran sur le Net.

« La censure était déjà quotidienne en Iran et quotidiennement de nombreux Iraniens la contournaient », souligne Mahnaz Shirali. Mais certains internautes se retrouvent démunis. D’autant que le régime a d’autres cordes à son arc. « Des opérateurs téléphoniques sont désactivés, le régime empêche certains opérateurs de donner accès à Internet à leurs utilisateurs, à l’échelle d’une région ou d’une ville », explique Jonathan Piron. « Les coupures sont sporadiques et assez aléatoires, il n’y a pas de bouton on/off », précise toutefois le chercheur au sein d’Etopia. En fin d’après-midi et en soirée, les restrictions se renforcent, tout comme le risque de rassemblements.

Relayer des images « au péril de sa vie »

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, accuse les Occidentaux - et en particulier ses ennemis jurés que sont les Etats-Unis et Israël - d’avoir fomenté ces manifestations. Les autorités iraniennes estiment qu’Internet est un outil de l’Occident pour déstabiliser le pays. « Depuis très longtemps, le régime iranien a la volonté d’avoir un intranet qui lui permettrait de contrôler tout ce qui circule dans le pays. L’Iran a acquis un véritable savoir-faire en la matière », soutient Jonathan Piron. En 2019 et 2020, lors des grandes manifestations contre l’augmentation du prix des carburants, le pouvoir avait coupé tout accès à Internet durant trois jours. Et réprimé la contestation dans le sang.

Mais cette technique, systématiquement utilisée par Téhéran, est « une arme à double tranchant », explique Mahnaz Shirali. « Toutes les administrations du pays sont branchées à Internet, ils ne peuvent pas couper entièrement sur le long terme puisque toute leur organisation, leur coordination, passe par Internet », illustre la spécialiste de l’Iran. Alors, quand la censure est si forte qu’aucun outil, VPN et Tor compris, ne permet de la contourner, certains Iraniens optent pour la manœuvre physique. « Certains jeunes très habiles s’approchent des bâtiments publics pour se brancher de façon clandestine sur leur WiFi et relayer leurs images de la répression… Au péril de leur vie. » Car malgré tout, ajoute Mahnaz Shirali, « plus on en parle, plus on protège la population ».