France
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Chez Ferro France, « ils ont vidé nos caisses pour éponger les dettes »

Ils n’ont jamais vu le vrai visage de leur propriétaire et savent simplement que leur avenir se joue quelque part dans un bureau vitré anonyme à New York. Lorsque les salariés de Ferro France ont appris que le fonds d’investissement américain qui avait racheté leur usine comptait supprimer un tiers des emplois (48 postes sur 151), ils n’ont été qu’à moitié surpris.

« Au moment du rachat, je savais qu’il y aurait de la casse, assure Jean-Marc Adamski, élu au CSE de Ferro. Nous connaissons les pratiques des financiers américains ; la seule surprise concerne l’ampleur du plan… »

Emblématique des ravages provoqués par la financiarisation de l’économie

Basée à Saint-Dizier (Haute-Marne), l’usine fabrique notamment des colorants industriels. Son histoire est emblématique des ravages provoqués par la financiarisation de l’économie. Ferro France appartient au groupe Vibrantz, produit du rapprochement entre trois entités : Ferro Corporation, Chromaflo et Prince. Ces deux dernières entités étaient déjà tombées dans l’escarcelle du fonds American Securities lorsque celui-ci a décidé d’acquérir également Ferro Corporation en avril 2022. Montant du rachat : 2,1 milliards de dollars. Ensuite, le fonds a fusionné les trois entités pour créer l’actuel Vibrantz.

Le problème, c’est que cette acquisition a été réalisée au moyen d’un LBO (leveraged buy-out, ou « rachat par endettement ») : dans ce type d’opération, l’acheteur emprunte de l’argent auprès d’une banque et impose ensuite à la société rachetée de rembourser elle-même l’emprunt en dégageant le maximum de cash. Une pratique à risque qui essore parfois les entreprises rachetées et leurs salariés, contraints de mettre les bouchées doubles pour payer l’ardoise.

En l’occurrence, le LBO s’est chiffré à 1,5 milliard de dollars, ce qui a eu pour conséquence de faire bondir la dette de Vibrantz à des niveaux astronomiques et d’augmenter les frais financiers de plusieurs dizaines de millions de dollars par an.

« 60 % de la production vont être délocalisés en Espagne et au Mexique, où les coûts de production sont plus faibles »

« Nous soupçonnons le fonds d’avoir vidé les caisses pour éponger les dettes liées au rachat, martèle Jean-Marc Adamski. Et, à présent, ils veulent nous licencier pour réaliser des économies et gagner encore plus d’argent. 60 % de la production vont être délocalisés en Espagne et au Mexique, où les coûts de production sont plus faibles. »

« Le LBO a coûté énormément d’argent à l’entreprise, complète l’avocat Ralph Blindauer, qui défend les salariés de Ferro. Le fonds espérait réaliser une juteuse opération financière grâce à la fusion, mais il a endetté l’entreprise au-delà du raisonnable. Désormais, il cherche à faire des économies à tous les étages et ce sont les emplois en France qui vont trinquer. »

La survie du site français en jeu

Créé en 1994, American Securities est un monstre financier gérant plus de 26 milliards de dollars d’actifs dans le monde et employant plus de 150 000 salariés à travers les entreprises qu’il détient. Pourtant, l’avocat assure que les moyens mis en œuvre dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) « sont ceux d’une entreprise en faillite ».

En fin de semaine dernière, il a rencontré les salariés de Vibrantz en Allemagne, confrontés eux aussi à des destructions d’emplois sur fond de délocalisation, avec lesquels il compte mener des actions communes dans les jours à venir.

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« Eux comme nous sommes contraints de discuter avec des porteurs d’eau qui ne sont pas décisionnaires, résume Ralph Blindauer. On a partagé nos analyses et les conclusions sont strictement identiques. Le fait que les salariés se parlent au-delà des frontières est un élément très déstabilisant pour les multinationales qui font des licenciements boursiers. »

Selon le tempo de la procédure lancée par la direction, les personnels visés par ce plan de licenciement devraient être informés nominativement à partir du 22 avril. Mais pour les syndicalistes, au-delà de la bataille pour l’emploi, c’est la survie du site français qui est clairement en jeu : privé de 60 % de sa production, le risque est qu’il ne soit tout simplement plus viable et que les emplois restants finissent par être liquidés.

Pourtant, la situation économique de Ferro France était florissante avant l’arrivée du fonds : selon nos informations, l’entreprise a dégagé 40 millions d’euros d’excédent brut d’exploitation (indicateur financier permettant de mesurer la bonne santé d’une société) depuis 2016. Contacté par l’Humanité, le fonds d’investissement américain n’a pas répondu à nos questions.